Vue sur l’écoquartier de l’Ancre de lune
« Le chemin est long du projet à la chose » Molière
J’ai eu le plaisir d’inaugurer les premiers logements de l’écoquartier de l’Ancre de lune en compagnie de Jean Philippe Dugoin Clément, Vice Président de la Région Ile de France, également Président de l’EPF Ile de France et de Grand Paris Aménagement, Guy Brabant Président des Foyers Rémois et Charles Tamazoun Chef du service Habitat et Rénovation Urbaine de la DDT de Seine et Marne, autant d’acteurs qui à des degrés divers ont contribué à cette réalisation remarquable.
Si le prochain billet sera totalement consacré à une réalisation qui constitue une ^remière nationale, il me parait essentiel de revenir avant sur l’aventure urbaine, sociale et environnementale qu’est l’opération urbaine hors norme de l’écoquartier de l’Ancre de lune, authentique projet de territoire porté depuis une quinzaine d’années par un panel d’acteurs de terrain, institutionnels ou non. Ce collectif travaillant dans des domaines aussi différents et variés que celui de la Petite enfance, de l’insertion des jeunes, du 3eme âge, de bailleurs sociaux, de l’environnement, de l’urbanisme, de l’agriculture, du lien social, de l’économique, des mobilités et d’habitants de la ville est à l’origine de l’ADN d’un projet global ayant pour vocation de rétro agir sur le territoire, que ce soit au niveau social, environnemental ou économique.
Nous avions fait notre alors, des préalables incontournables : contextualiser, effectuer l’inventaire des leviers potentiels à activer et contraintes à lever, pour être en capacité d’ouvrir le champ des possibles.
L’objectif était également d’apporter des réponses qualitatives aux obligations quantitatives de la loi SRU (20% de logements sociaux en 2020) tout en préservant espaces naturels et agricoles.
Jusque-là Trilport comme tant de villes avait grandi au fil de lotissements successifs « gagnés » sur les terres agricoles, suivant le modèle dominant de ville « longue distance » consommatrice et grande dévoreuse d’espaces.
Nous avons pris le contre-pied et décidé de reconstruire la ville sur la ville afin de préserver le patrimoine naturel et agricole légué, soit 4/5eme de la superficie de Trilport, en ayant la volonté d’agir sur les différents espaces qui investissent le territoire, de les mettre en résonance, leur donner sens en jouant pleinement sur les synergies potentielles.
Aujourd’hui tout le monde trouve cette orientation urbaine logique, vertueuse et finalement assez banale, mais je peux témoigner qu’en 2004 nous étions plus que disruptifs et totalement « out of the box ». Aussi la mise en musique de la partition a été assez rude et occasionné un combat quasi quotidien.
Reconstruire la ville sur la ville se révèle effectivement bien plus difficile, long, fastidieux et complexe que de l’étendre en consommant les terres agricoles et naturelles environnantes.
Nous avons mené un véritable parcours du combattant, parsemé d’obstacles innombrables, le plus pénalisant étant sans conteste le classement en zone 2 infligé par l’État, totalement injustifié, inadmissible et inique. Il nous a pénalisé 13 longues années durant mais la ville a réussi, contre vents et marées, à le faire modifier en poursuivant l’État au Tribunal Administratif . Trilport étant la seule ville de France à avoir eu gain de cause en ce domaine, par un arrété ministérielle paru en juin 2020.
Heureusement cependant, comme Janus, l’État dispose de deux faces, l’administration centrale parisienne, pour tout dire assez déconnecté et éloigné de la réalité du terrain et ses services déconcentrés seine et marnais qui nous ont toujours soutenu et accompagné dans notre démarche vers la ville durable …
Certains m’interrogent sur les raisons de notre implication. La réponse est simple ; l’Ancre de lune accueillera dans les prochaines années 1 Trilportais sur 5, c’est pourquoi il nous est paru normal de vouloir rester, sinon maitre du développement de notre ville , du moins d’anticiper et accompagner le mouvement en cours, plutôt que de le subir.
C’est aussi pour cela que nous avons limité ces 20 dernières années le développement de Trilport afin de préparer la ville, via notamment l’Ancre de lune, à l’arrivée des nouveaux habitants, en aménageant et construisant de nouvelles infrastructures et équipements publics, et en assurant la montée en puissance des services municipaux.
Comment avons nous pu relever ce véritable défi et qui nous a aidé pour y parvenir ?
Vouloir jauger de la qualité d’un écoquartier en fonction de ses performances techniques demeure un non-sens absolu. La problématique dépasse de loin le filtre réducteur de la technologie et du « green tech » dont tant et tant reviennent aujourd’hui.
L’indicateur qui importe le plus est bien celui des émissions effectives et totales de CO2 et l’impact sur l’environnement et la bio diversité de l’écoquartier. Ce qui pour être estimé nécessite une analyse globale : cycle de vie des matériaux constituant le bâti, mobilités, consommation d’espace, usages de la ville, gestion de l’eau, besoin en énergie du quartier …
A l’aune de cette grille de lecture transversale à 360°, le bilan carbone de l’Ancre de lune est tout à fait exceptionnel.
Encore faut il pour transformer l’essai, réussir la mise en œuvre du projet social. L’originalité et la finalité de la démarche initiée étant celle de « rétro agir » sur la ville et plus globalement le territoire, de devenir un lieu de diffusion et d’innovation, tant sociale qu’environnementale, et non un périmètre d’exception. Nous devons agir pour apporter un supplément d’âme, poser un regard différent sur la vie «de et dans la ville» en nous rappelant que « faire la ville, signifie aussi donner deux ailes à la vie.
Si l’Ancre de lune durant ces quinze années n’a pas été un chemin de croix, tout juste un chemin parsemé d’embuches, elle le doit essentiellement à deux partenaires majeurs :
La Région Ile de France, évidemment et doublement.
En 2009 Trilport a été un des 9 premiers lauréats de l’appel à projet « Nouveaux Quartiers Urbains » (NQU) en 2009. Nous avions alors fait sensation vu la taille de la commune (nous sommes et de très loin la plus petite ville lauréate) et la dimension globale d’un projet s’attaquant à de multiples problématiques. Le dispositif NQU mis en place par Jean Paul Huchon a placé sur orbite l’Ancre de lune.
Notre écoquartier a été ensuite lauréat de l’appel à projets « Quartiers écologiques innovants » initié par Valérie Pécresse en 2016. La Présidente de Région nous faisant l’amitié de venir, elle même, poser la première pierre de l’Ancre de lune. Cette reconnaissance au plus haut niveau a eu pour conséquence directe de convaincre l’aménageur à faire de ce projet une priorité.
Jean Philippe Dugoin Clément l’a rappelé avec beaucoup de justesse dans son intervention, le rôle des élus, notamment lors d’une alternance politique, est bien d’accompagner et assurer la continuité du service public en veillant à l’intérêt du territoire. L’Ancre de lune ayant été défini comme un enjeu régional par les deux présidents de Région Jean Paul Huchon et Valérie Pécresse, belle reconnaissance du travail effectué.
Comment ne pas évoquer le rôle déterminant de l’établissement Public Foncier d’Ile de France (EPFidf) ?
L’EPF nous accompagne depuis 2009, l’établissement public a non seulement permis à une ville sans ressource de mener la veille foncière indispensable afin d’assurer la faisabilité d’un tel projet, mais nous a permis de devenir « maître des horloges » et de maîtriser les différentes temporalités et phases d’un projet reposant nécessairement sur le temps long. L’EPF constitue un partenaire incontournable pour toute commune désirant reconstruire la ville sur la ville.
Nous avons pu dès lors élaborer une véritable stratégie urbaine, reposant sur trois piliers :
- une veille foncière active,
- des documents d’urbanisme en mode défensif permettant de limiter la spéculation foncière
- le développement de l’écoquartier de l’Ancre de lune.
Une démarche globale qui nous a permis toutes ces années, d’initier un développement équilibré de la ville en anticipant les mutations urbaines, tout en respectant les objectifs SRU. Il faut savoir résister à la tentation de mettre une ville sous cloche, une ville est un tissu urbain qui vit, évolue et se doit de se régénérer, il est important d’agir pour éviter que la ville ne se défasse, ne se délite et s’étale sans contrôle. Un maitre mot : anticiper pour ne pas subir.
Ne restait plus pour mener l’Ancre de lune à bon port, qu’à choisir l’aménageur partageant notre volonté de faire de ce projet une ambition commune et partagée en faveur des matériaux bio sourcés locaux et d’une vraie concertation avec les habitants tout au long du process.
Lors de la consultation initiée parmi les quatre aménageurs postulants, nous avons été séduits par la qualité et la vision du projet de Françoise Hélène Jourda pour l’AFTRP, devenu depuis Grand Paris Aménagement.
Au travers de ce qu’elle nous proposait, nous avons retrouvé des valeurs communes et notre volonté de bâtir une ville durable, qui pour être acceptée par ceux qui y vivent, se doit d’être avant tout, désirable et désirée …
Avec l’Ancre de lune, nous avons placé la barre sans doute assez haut, non pour «décroisser la lune» comme le chantait le Grand Jacques, mais pour tout au contraire, l’ancrer et l’arrimer à notre quotidien, avec la volonté de nous rapprocher de ses cycles naturels, de sa puissance évocative, de sa capacité à procurer de l’émotion, afin de construire de nouvelles perspectives pour les habitants, heureuses et harmonieuses.
Françoise Hélène Jourda, pionnière de l’architecture écologique a dessiné le plan masse de l’Ancre de lune en s’inspirant notamment des magnifiques points vues sur les coteaux environnants …
Lors d’un des innombrables interviews qu’elle avait donné, elle avait indiqué
« Mon rêve, c’est de construire un morceau de ville, sur la ville, dans la ville, pour changer la ville et démontrer qu’il est possible de transformer les villes existantes, que ce soit au niveau environnemental, au niveau social, et apporter du bonheur aux gens »
« Apporter du bonheur aux gens », c’est toute l’ambition de l’Ancre de lune, afin de transformer le rêve d’une urbaniste en réalité concrète pour ceux qui vivent dans le quartier qu’elle avait imaginé
Pour aller plus loin
Référentiel durable de l’écoquartier de l’Ancre de lune :
Volet 1 : Document cadre (2010)
Volet 2 : Document stratégique (2012) ayant servi de base à la consultation des aménageurs