Mettre fin aux mobilités (ex)clusives

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Assises de la mobilité #2

 

Il en va des mobilités inclusives comme du déploiement numérique, prévenir ou éviter toute fracture, nécessite le préalable absolu de s’occuper des « tuyaux ». C’est une étape incontournable pour être, effectivement, en capacité d’accéder ensuite aux services et usages. « Gagner » la bataille des infrastructures, notamment et surtout là où elles sont absentes ou le plus dégradées est un impératif d’équité territoriale mais aussi de cohésion sociale.

Vaste défi à relever vu l’état actuel des réseaux (parcs roulants, voies et infrastructures, gares …). Vouloir y répondre impose de revoir les logiques, architectures, clés de lecture qui s’imposaient jusque là ; la diversité de nos territoires nécessitant la mise en œuvre de réponses adaptées à chaque bassin de vie ou de mobilités, allant du transport « de masse » au quasi « sur mesure » et imposant de prendre en compte les évolutions d’une société ou « chaque voyageur devient unique » …

Révolution copernicienne et existentialiste s’il en est …

Avant d’aborder les rivages encore bien lointains des mobilités inclusives, inaccessibles à trop de territoires, revenons sur une phase intermédiaire essentielle, celle de la remise à flot des infrastructures et services du quotidien .. Tant il est urgent de mettre fin en premier lieu aux mobilités (ex)clusives …

Voici quelques pistes de solution concrètes …

 L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) vient de publier il y a quelques jours son premier bilan. Cet état des lieux édifiant souligne la dégradation d’un réseau à bout de souffle, conséquence du désengagement des pouvoirs publics depuis plus de 30 ans et de la priorité donnée au tout TGV.

Rattraper un tel retard impose des efforts exceptionnels, tant il faut également adapter les infrastructures à la montée en puissance de territoires en plein développement et tenir compte des exigences d’une société de plus en plus mobile.

Si la France dispose du second réseau ferroviaire européen après l’Allemagne ou de l’Espagne en ce qui concerne les lignes grandes Vitesse, son bilan est nettement moins glorieux en matière d’efficience, elle ne s’y classe que 10 eme, notre pays dispose d’une réelle marge de progression.

La situation est contrastée selon les territoires : 80 % des circulations se concentrent sur 8000 km de lignes, alors qu’un tiers du réseau est d’après l’ARAFER sous utilisé, semble même menacé. Il est important que les collectivités se mobilisent sur ce dossier et que les élus en charge de ces questions deviennent un brin parano au regard du vent mauvais qui pourrait se mettre à souffler de Bercy et d’ailleurs, tant une ligne de chemin de fer est plus simple à fermer qu’à ouvrir. Certains considèrent toujours l’aménagement du territoire, non comme un investissement pour demain, mais comme une charge du présent.

L’Ile de France, dont le réseau a fait l’objet d’un  rapport de la Cour des Comptes (2016) fait exception ; sa fréquentation progresse en effet sensiblement (+3,8 %) !
Les sages de la rue de Cambon insistent sur la grande fragilité des lignes franciliennes qui représentent 10 % du réseau national mais transportent 40 % des voyageurs. Ils soulignent un état de vétusté alarmant : 40 % des voies et 30 % des aiguillages ont plus de 30 ans, 15 % des caténaires plus de 80 ans et 5 % plus de 100 ans …

illustrations concrètes de l’état de délabrement avancé du réseau, notamment et surtout, en grande couronne. Les usagers d’une certaine ligne P du transilien, comprendront aisément ce dernier point.

 

L’autorité de régulation s’est penchée sur l’évolution des usages en matière de mobilités, les lignes bougent : les français se déplacent de plus en plus (+2,3% en un an) mais délaissent le train (-1,5% sur un an depuis 2011), au profit de la voiture particulière, de l’avion et du du bus qui progressent respectivement de 2,7%, 3,8% et 17%. Dans son rapport l’ARAFER épingle d’ailleurs la SNCF sur le sujet brulant des perturbations quotidiennes subies par les usagers (retards, suppression des trains …) elles apparaissent significatives par leur fréquence et leur amplitude et nuisent à ce mode de transport.

Piste de travail numéro 1 : Remettre à flot les infrastructures du quotidien, notamment le réseau francilien dont l’état de délabrement devient préoccupant notamment en Grande Couronne et calibrer leur montée en puissance pour répondre aux besoins de territoires en plein développement.

Autant le reconnaître, la concurrence entre opérateurs de mobilités « historiques » était la règle, ces derniers s’opposant les uns aux autres au lieu de jouer de leurs complémentarités éventuelles. Cette dernière approche apparait aujourd’hui d’autant plus pertinente que le champ des possibles s’est singulièrement rétréci.

Limiter l’action publique en matière de transport, comme cela a été trop souvent le cas, au seul réseau ferré, mène à une impasse. Les contraintes rencontrées (capacitaire, temporelles, financières, logistiques) constituent des obstacles majeurs qui empêche toute amélioration rapide d’une situation déjà critique. Il faut certes agir, mais garder à l’esprit que la moindre initiative mettra plusieurs années avant de déboucher concrètement sur une amélioration du quotidien. Le degré d’exaspération des usagers atteint un niveau critique, notamment la ou les réseaux sont les moins efficaces.
Il faut arriver à concilier des échelles de temporalité différentes, tant le long terme apparaît aujourd’hui comme un horizon inaccessible … Ce qui est compréhensible lorsque l’on connait les conditions actuelles de transport de Pour  ceux qui chaque jour prennent le train. Attendre le long terme, cela signifie concrètement être condamné à perpét’ à la galère quotidienne du fait de leur lieu de naissance ou de vie … C’est tout simplement intolérable

« Est-ce que les gens naissent Égaux en droits, à l’endroit où il naissent »
Maxime Le Forestier

Les usagers attendent du politique et des opérateurs de mobilités, considération, écoute et respect et des réseaux exploités : souplesse, agilité, adaptation, fluidité et surtout efficience, tant les exigences d’une société dont le « nomadisme » constitue l’un des piliers principaux sont de plus en plus grandes.

Permettre a tous les territoires d’accéder à des mobilités « inclusives » impose de revoir non seulement l’architecture mais aussi toute la logique du système en place qui s’est déployé au fil des décennies sur les tracés des anciennes voies royales, reprenant elles même ceux des « viae publicae » romaines, conçues à l’origine pour permettre aux armées de relier le plus rapidement possible la ville capitale aux frontières de l’empire.

Si depuis la toile d’araignée initiale s’est singulièrement étoffée, la logique radiale du réseau est restée identique, toutes les lignes convergeant vers un unique point central. Le territoire national est ainsi irrigué par de grandes artères (véritables backbones) qui desservent les Régions du Pays, particularité cependant, les lignes ferrées (qu’elles soient SNCF ou RER pour l’Ile de France) ne « dialoguent » pas entre elles et ne développant quasiment aucune transversalité. Or le métabolisme urbain a profondément évolué …

Piste de travail numéro 2 : Créer des lignes de bus régulières connectant les différents réseaux ferrés les uns aux autres afin de créer des liaisons transversales et de faire mieux respirer les territoires.

Les habitants des territoires peu, mal ou pas desservis se retrouvent de fait « assignés à résidence », qu’ils vivent dans des espaces urbains, ruraux ou péri urbains. Si l’on oppose souvent ces territoires entre eux, il existe de profondes similitudes dans les ressentis, sentiments d’isolement, de déclassement de leurs habitants, qui partagent des détresses similaires et se sentent proches de la ghettoïsation et menacés par l’endogamie sociale.

L’enjeu est de faire passer leurs territoires d’un statut d’interstice ( Larousse : « petits espaces vides entre des parties d’un tout ») à celui d’interfaces (Larousse : « limites communes à deux systèmes favorisant les échanges entre eux » ). Objectif louable certes, mais qui impose de les désenclaver afin de mettre en oeuvre des dynamiques urbaines, dont la mobilité constitue une, sinon la, composante essentielle.Avoir la capacité de se déplacer est effectivement synonyme de liberté. La mobilité, au sens le plus large, ouvre de nouveaux horizons, offre des perspectives concrètes d’accès à l’emploi, la culture, le loisir, multiplie le champ des possibles.


Encore faut il tenir compte de chaque situation locale, relever contraintes et potentialités, mettre en place les solutions de mobilités les plus adaptées, concilier des échelles de temporalité souvent à priori incompatibles, tant « devenir mobile » est un impératif majeur de cohésion sociale et d’aménagement du territoire.

Piste de travail numéro 3 : Désenclaver les ghettos d’habitat qu’ils soient urbains, ruraux ou péri urbains, mettre en place des mobilités adaptées à chaque spécificité locale en les connectant au réseau le plus proche

Lorsqu’aucune alternative à la voiture individuelle n’existe (notamment dans l’espace rural et péri urbain), elle demeure un maillon incontournable de la chaine des mobilités ; mieux vaut l’acter, tant constater ne signifie pas se résigner mais simplement admettre une réalité. Il apparait essentiel de ne pas stigmatiser, culpabiliser les usagers qui n’ont aucun autre choix mais plutôt de les accompagner dans une mutation nécessaire qui prendra plusieurs années.

Lien de causalité évident, la problématique de la voiture individuelle ne concerne pas que l’usager, mais également les villes dotées de gares.

Vaste sujet que nous abordons maintenant …

Du lundi au vendredi, c’est un flot incessant de véhicules qui submerge ces communes, flux d’autant plus important que le développement démographique de certains secteurs est une tendance établie depuis de nombreuses années et qui ne ralentit pas !  Toutes ces voitures sont liées à la gare (de fait plutôt à la ligne de transport) comme la marée à la plage.

Villes et élus sont confrontées à des problématiques complexes, consommatrices en services et infra structures (stationnement, sécurisation, entretien ou maintenance…), sans aucune ressource dédiée. Rappelons que le mode de gouvernance en place est lié à un périmètre administratif, trop souvent réducteur, une gare, qu’elle soit routière ou ferrée, étant de fait la tête de pont d’un bassin de local mobilité qui peut relier plusieurs bassins de vie.

Piste de travail numéro 4 : Substituer à une logique institutionnelle de périmètre, « temporaire » (au regard des évolutions territoriales en cours) une logique de réseau (à l’exemple de la gestion des cours d’eau et des rivières qui tiennent compte des bassins versants) et d’éco systèmes locaux interconnectés les uns au autres.

De ce fait, tout le potentiel de ces véritables hubs n’est pas exploité comme il le devrait. Pour l’exploiter pleinement, il conviendrait de réaliser des aménagements urbains favorisant la fluidité des échanges et des flux d’usagers, facilitant les ruptures de charges et en limitant leurs contraintes. Ambition urbaine très visible dans les villes accueillant le TGV, ou la création ou la mutation de la gare a été le déclencheur de réaménagements globaux, amenant les collectivités a redessiner leurs Centre Villes : parvis, espaces piétonniers, pistes cyclables, tramways … et les gares à se transformer en véritables pôles multimodaux, mais également lieux de vie.

Ce qui est vrai pour les grandes métropoles ne l’est toujours pas pour les petites villes ou encore les gares routières ( à l’exemple de celle de Paris Bercy). Les dispositifs contractuels en place, tels ceux des « pôles gares » démontrant ces dernières décennies toutes leurs limites : complexe et long à mettre à place, ils se transforment rapidement en usines à gaz, victime du moindre grain de sable.

Un modèle « kafkaïen » qui refroidit les acteurs les plus dynamiques et se révèle être au final, une véritable prime à l’immobilisme. Il est important de redéfinir le champ des responsabilités, les modes de financement de chaque acteur ou partenaire, afin que le système ne repose plus sur les seules communes et la bonne volonté d’élus qui tel des « Don Quichotte » luttent littéralement, sans moyens, contre les moulins à vent.

Piste de travail numéro 5 : remettre à plat le mode de gouvernance et de pilotage des dispositifs permettant de créer, d’aménager, d’améliorer les Pôles Multimodaux de Mobilités que sont les gares (ferrées et routières). Il doit être à l’échelle, non d’une intercommunalité ou d’un bassin de vie, mais de celui du bassin de mobilité et des logiques de lignes. Privilégier le lien fonctionnel au périmètre administratif.

Nos territoires sont ainsi fait, et la carte des Régions y compris XXL également que des limites administratives ne tiennent pas compte des bassins de mobilités. Les gare connectées à une métropole ou une ville capitale régionale, localisées aux franges d’une Région, sont un aimant puissant pour attirer des flots considérables d’usagers originaires de régions voisines. Il est impératif que des territoires, situés aux lisières, de « l’autre coté du mur », deviennent de véritables interfaces et impliquent des aménagements et des co financements

Piste de travail numéro 6 : Créer des instances partenariales de gouvernance, entre régions, traitant la problématique des franges régionales .

Avant de pouvoir atteindre, sinon le nirvâna, du moins le stade des mobilités inclusives, notre priorité doit être de mettre à plat un système de mobilités, le notre, qui participe à la fracture territoriale, l’aggrave même en attisant la ghettoïsation de quartiers ou territoires qui transforment leurs habitants, de leur naissance à leur mort, en « assignés à résidence ».

C’est un préalable absolu pour un pays dont la devise républicaine repose sur L’égalité, la liberté et la fraternité. Nous devons impérativement rétablir un minimum d’équité permettant de donner à chaque citoyen, où qu’il vive dans la république, de s’épanouir et de s’émanciper afin de choisir librement sa destinée.