
Proposer de vrais transports publics aux habitants des espaces dits « peu denses » devient une véritable urgence, tant bénéficier de la faculté de se déplacer constitue désormais une composante essentielle de la résilience d’un territoire.
Si la loi d’orientation des mobilités (LOM) a ouvert quelques perspectives, les habitants ne disposant pas d’automobiles sont toujours assignés à résidence, celle-ci restant incontournable dans les espaces périurbains (80% des déplacements). Une problématique loin d’être marginale, ces territoires représentent plus de 80% du pays et accueillent 30% de ses habitants.
Accéder aux mobilités est la meilleure garantie pour un habitant, où qu’il réside, de se rendre au travail, étudier, se soigner, se distraire. Plus les services vitaux s’en éloignent, plus un territoire a besoin de transports publics afin de ne plus dépendre de la seule voiture individuelle.
Pour déployer des alternatives il est nécessaire d’agir sur l’ensemble du «continuum de mobilités» et l’effort pour être équitable doit porter sur tous les maillons de la chaîne, notamment et surtout ceux considérés jusque là comme « mineurs ».
Si en Ile de France cette ambition ne devrait en théorie guère poser de problème, Ile de France mobilités intervenant dans tous les territoires de la région (voir note précédente), relever ailleurs ce challenge s’avère bien plus difficile devant la fragmentation des compétences et la diversité des acteurs.
Passer de la théorie à la pratique impose d’articuler et combiner deux approches, trop souvent opposées par le passé, alors qu’elles peuvent de fait être complémentaires pour éviter tout risque d’« hémiplégie » ( les territoires péris urbains étant le plus souvent mal irrigués) :
• Une approche verticale à l’image des réseaux ferrées. C’est la ligne qui fait sens, de son point départ à son point d’arrivée, jusqu’à s’affranchir parfois des limites administratives entre régions,
• Une lecture plus horizontale, à partir des gares desservies qui constituent des têtes de réseau potentielles et devenir le nœud d’un éco système de mobilités irriguant les bassins de vie proches, jusqu’à leur maille la plus fine ;
Au-delà de solutions identifiées suite à de multiples retours d’expériences, il importe de s’interroger sur le « comment faire ».
Il doit tenir compte des spécificités de chaque contexte, car c’est bien de la réalité du terrain que doivent émerger les réponses, or bizarrement dans le domaine des mobilités ce n’est pas toujours le cas, loin s’en faut.

Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile de France
Il n’y a pas si longtemps, ce blog s’en ait souvent fait l’écho, prendre le train pour les usagers de la grande couronne francilienne équivalait à être condamné à une triple peine : « bénéficier » des pires conditions de transport, de l’offre la moins attractive (de très très loin), et du prix du billet le plus élevé … Chercher l’erreur …
La donne a quelque peu évolué grâce aux mesures initiées par Jean Paul Huchon, poursuivies et largement amplifiées par Valérie Pécresse qui ont permis d’instaurer un peu plus d’équité territoriale et sociale en Ile de France.
Rappel de deux actions concrètes :
– La généralisation du passe Navigo (2001), une étape attendue des usagers de la grande couronne. Ce titre de transport permet à chaque francilien, où qu’il vive, de se déplacer dans toute la région pour un prix unique modique. Une mesure d’équité financière bienvenue entre habitants de la métropole et de la périphérie, y compris si ces derniers sont toujours aussi mal desservis au quotidien.
– La digitalisation de la billettique et le déploiement d’une solution de paiement unique généralisée via smartphone, favorisant une « expérience voyageur » plus fluide étendue à toute la région personnalisée et inter opérable jusqu’au covoiturage.
Ces mesures ne portent pas sur l’offre et ne peuvent à ce titre changer la donne, il faudrait y rajouter le plan bus initié par Valérie Pécresse qui ouvre de belles opportunités.
Elles témoignent cependant de la réelle prise de conscience de privilégier enfin une vision solidaire de l’espace régional pour lutter contre les fractures territoriales, générationnelles et sociales.
Être en résonance avec son territoire
Les mobilités constituent une dimension incontournable de l’aménagement d’un territoire qu’incontestablement elles contribuent à façonner. La place prise par l’automobile dans l’espace public, le développement de la ville longue distance en sont la meilleure, ou la pire, illustration.
Vouloir développer les transports publics nécessite de tenir compte des contraintes à lever, des aménagements à réaliser dans la ville au sens le plus global. L’organisation urbaine influe directement sur la performance des réseaux de transport jusqu’à l’échelle la plus locale, l’arrêt de bus.
Une synergie fréquemment ignorée, les mobilités constituant trop souvent la variable d’ajustement alors qu’elle améliore durablement la sobriété, la robustesse et la résilience d’un territoire.
Agir nécessite d’intervenir sur l’espace public, en dynamique et prospective, tant la dimension des transports doit constituer une priorité des documents de planification. Or ce qui est vrai pour les régions (SDRIF), ne se vérifie pas toujours dans les intercommunalités ou les communes (SCOT, PLU), ce qui pénalise le développement des transports publics et de l’intermodalité (emplacements réservés …).
Autre paramètre, majeur en période de disette budgétaire : l’impact financier des aménagements à réaliser.
Faut il rappeler que ces derniers se doivent de respecter les référentiels de standards et de normes en vigueur, établis généralement à partir d’un biais culturel originel : la vision urbaine des métropoles.
Ces référentiels ne tiennent pas toujours compte de la réalité de terrain, telle qu’elle est vécue dans les petites villes et villages, aux trottoirs et rues étroites, souvent saturées, qui disposent de moyens financiers contraints pour aménager l’espace public.
Assouplir certaines de ces normes, y compris de l’AOM régionale afin de les adapter un minimum à l’espace rural, permettrait de lever de sérieux freins au développement des transports publics, des mobilités douces ou de l’accessibilité.
En matière de logistique urbaine mieux vaut parfois faire plus simple, plus sobre, plus économique, que de ne pas faire du tout.
Réussir l’intermodalité
Une citation de Léonard de Vinci «La simplicité est la sophistication suprême » souligne à merveille tout le paradoxe et la complexité du « fait multimodal ».
Si pour l’usager utiliser les transports doit être simple, transparent, fluide, direct, rapide, la mise sur orbite s’avère bien plus complexe à déployer et mettre en œuvre, mobilise plusieurs acteurs, nécessite de multiples expertises auquel il faut ajouter, c’est essentiel, une bonne connaissance du contexte local et de ses contraintes. Attention c’est une dimension clé pour réussir toute intermodalité.
La clé de voute de la multimodalité est la rupture de charge : l’instant où l’usager change de mode de transport (y compris de bus).
Mal conçue elle devient un véritable talon d’Achille provoquant perte de temps, inconfort, exaspération, pouvant même décourager tout voyageur. Bien menée elle se transforme en véritable levier accompagnant et décuplant la complémentarité des modes de transport ce qui permet d’optimiser le continuum de mobilité et d’enrichir l’expérience usager.
Une rupture de charge pour être fluide doit intégrer et réunir tout un ensemble de paramètres (aménagements, synchronisation des horaires, proximité et qualité des différentes correspondances, accessibilité, signalétique …) et cela quel que soit l’importance ou la dimension du hub (gare routière, pôle d’échange secondaire, arrêt bus …).
Il faut privilégier une démarche en mode « responsive » et s’adapter à chaque contexte local. Une ambition qui exige de fédérer diverses expertises, une connaissance fine des besoins et usages locaux, en dynamique (afin d’anticiper les prochaines étapes éventuelles) quel que soit le « hub ».
Il est surprenant à ce titre qu’un des angles morts du réseau du Grand Paris express soit le fait multimodal. Seules 15 des 68 gares seront localisées en grande couronne et beaucoup, malgré le montant pour le moins élevé de leur réalisation, n’ont pas de dimension et de vision intermodale, alors que le futur réseau aura un impact majeur sur l’offre de transport francilienne.
Agir, mais comment ?
Pour être efficace et lutter contre ce véritable fléau qu’est l’assignation à résidence, il est nécessaire d’agir simultanément sur l’offre et la demande de mobilités.
Agir sur l’offre impose de mener au préalable un diagnostic territorial global, allant du réseau « mass transit » aux différents bassins de vie à irriguer jusqu’au « plus lointain », intégrant les différents « paramètres vitaux » que sont l’amplitude, la fréquence de la desserte, l’offre du week-end, l’accessibilité … (Rappel : ils sont vitaux pour tous les usagers) !
Il faut cartographier contraintes, irritants, points de friction, explorer sans tabou toutes les complémentarités possibles, tant la multimodalité doit s’imposer à tous et partout quitte à prendre parfois des chemins de traverse, l’innovation est également sociale.
– Concernant la gouvernance des réseaux ferrés, SNCF Réseau comme les opérateurs (SNCF voyageurs, AOM …) ne doivent plus ignorer usagers et élus des territoires desservis.
Les comités de ligne doivent devenir de véritables instances de concertation et de dialogue abordant priorités, échéanciers, mesures d’accompagnement et de substitution inhérentes à toute maintenance de réseaux, qu’il faut entretenir et développer, ce qui se traduit inévitablement par des contraintes de fonctionnement et d’usages. L’acceptabilité doit être un objectif partagé.
– Pour les réseaux de bus, il apparait nécessaire de combiner les missions de cabotage et de lignes express, en déployant et aménageant des ruptures de charges bien étudiées et des correspondances en complémentarité, permettant à tous les usagers d’accéder à une offre respectant les paramètres vitaux.
– Le transport à la demande (TAD) constitue une alternative solide, souple et efficace, (déjà abordée dans ce blog) qui permet d’adapter l’offre de transport en mode agile aux besoins des habitants et d’assurer une couverture fine du territoire. Préalable, le modèle déployé doit faire l’objet d’un diagnostic territorial mené en profondeur privilégiant une lecture multimodale et faire de la « rupture de charge » un point fort.
– D’autres pistes sont envisageables : le covoiturage, qui peut prendre plusieurs formes, y compris celle de lignes virtuelles et constitue une réponse efficace à l’auto solisme, l’autopartage (ou selon le vélo partage) qui mutualise les équipements, réduit les coûts pour les usagers, c’est l’utilisation qui importe et non la possession mais dont le modèle économique et de gouvernance doivent être calibrés avec rigueur.
Il est possible d’agir sur la demande. Une démarche plus globale tant il s’agit littéralement de « repenser son territoire » à l’aune des transitions à l’œuvre : désertification médicale, digitalisation de la société, vieillissement de la population, évolutions démographiques …
L’objectif est de limiter les déplacements contraints, ce qui nécessite de travailler sur plusieurs axes d’action :
– Développer de nouveaux formats hybrides : espaces de télé travail, tiers-lieux culturels, fablabs … ;
– Déployer des solutions de substitution mobiles (« si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi »Paul Feval). Les maisons France services pourraient notamment avoir une obligation de mobilité et assurer des permanences régulières dans les mairies des villages desservies. Cette, dimension pourrait être déployée dans bien d’autres domaines comme celui de la santé publique ;
– Renforcer l’offre de services de proximité et développer une ville plus intense et hybride, certains urbanistes parlent de « retour à la ville médiévale », à pas d’homme, ou de ville du quart d’heure : points multi-services, hubs connectés au réseau de transport publics ;
L’objectif n’est pas d’énumérer des solutions « clés en mains », mais d’explorer le systématique et privilégier des démarches partant d’un dénominateur commun : un territoire est une terre d’usages, c’est de la réalité des besoins et contraintes des habitants que doit émerger une politique de mobilités digne de ce nom, car contextualisée aux besoins de ses usagers.
Cette ambition nécessite de réunir et fédérer plusieurs expertises, dont celle du terrain, essentielle, en développant des réponses parfois hybrides.
L’AOM doit mener dans chaque territoire à partir du réseau « mass transit » une analyse globale et transversale de chaque maillon de la chaine de transport des bassins de vie desservis, jusqu’à sa maille la plus fine.
C’est la meilleure garantie de fluidité et de cohérence des parcours voyageurs ou que ces derniers vivent.
L’organisation trop « silotique » d’Ile de France mobilité constitue une contrainte évidente. Il lui faudrait adopter un pilotage plus territorial et transversal afin d’aborder de manière horizontale et non plus linéaire les vecteurs potentiels de mobilités en effectuant un véritable 360° sur un territoire donné afin de développer sa capacité multimodale et son agilité pour mieux répondre aux besoins des usagers selon leur lieu de vie.
Le regard de l’ingénieur, du logisticien ou du comptable ne suffisent plus, il faut croiser les approches, y joindre l’œil du géographe, la vision de l’urbaniste et plus que tout la pratique de l’usager du quotidien, à partir des « paramètres vitaux ». Les vérités d’hier doivent laisser place à l’humilité et au doute.
Il est important dans un domaine aussi mouvant et évolutif que celui des mobilités, surtout dans les territoires en transition, de développer une culture de l’expérimentation, de développer sa capacité à s’adapter et évoluer, s’enrichir des retours d’expérience permettant de définir, expérimenter, prototyper et développer de nouveaux formats, parfois hybrides, de les rendre plus agiles et efficients, de contribuer à la vie d’un écosystème aussi dynamique et ouvert que celui des mobilités animé par beaucoup d’acteurs et de jeunes pousses innovantes …
C’est une véritable révolution culturelle, à défaut d’être copernicienne, que doit entreprendre l’AOM, un retour au réel tel qu’il est partagé par toutes celles et ceux qui aujourd’hui n’ont pas accès ou n’utilisent que trop peu les transports publics.
L’assignation à résidence ne peut être ni une destinée, ni une fatalité. Elle pèse lourdement dans le quotidien d’habitants qui n’en peuvent plus et obscurcit totalement les perspectives d’avenir. Il ne faut pas être surpris de les voir ensuite traduire leur colère dans les urnes lors des différents scrutins, tant cette situation est inacceptable.
N’oublions jamais que l’assignation à résidence a également un cout politique.
