« Impose ta chance,
serre ton bonheur et va vers ton risque.
A te regarder,
ils s’habitueront »
René Char
Nicole Bricq était une élue comme il en existe peu, attentionnée, disponible, accessible, sincère, autant dire que sa disparition m’a touché, comme elle en a attristé tant et tant … accessoirement c’était aussi une amie, nos routes s’étaient croisées il y a longtemps déjà et n’ont pratiquement plus divergé depuis.
Elle avait choisi de s’engager en politique autrement, pour agir et faire, laissant aux amateurs d’écume, commentaires et polémiques politiciennes stériles.
Désintéressée, animée d’un réel sens de la responsabilité collective, elle ne la jouait jamais solo préférant de loin le jeu d’équipe. Je me suis totalement retrouvé dans son positionnement basé sur des fondations profondes, bien charpentées, et des piliers solides : travail, rigueur intellectuelle, éthique.
Autant dire qu’elle constituait une véritable énigme auprès des spécialistes es courant internes de congrès et manoeuvres en tous genres, d’appareils politiques de plus en plus déconnectés de la réalité quotidienne !
Passionnée par l’action publique, elle était persuadée que celle ci pouvait et devait améliorer concrètement la vie de nos concitoyens au quotidien et mettait toute son énergie pour contribuer à changer la donne.
Confrontée directement à la misogynie du monde politique, elle s’était forgée une solide carapace et ne s’en laissait pas compter, soulignant souvent avec malice « qu’on dit toujours d’un homme qu’il a du caractère, mais d’une femme qu’elle a mauvais caractère ». Incontestablement, Nicole avait du caractère.
Des orages, nous en avons bien évidemment connu, mais qui ne s’est jamais accroché avec Nicole ?
Il y avait d’abord le tonnerre, l’éclair souvent, la foudre parfois, mais ensuite venait le soleil … C’est une des très rares élus que j’ai connu ayant la capacité de reconnaitre après une prise de tête « carabinée » qu’elle s’était trompée et qui pouvait s’en excuser.
Son parcours politique est d’autant plus exemplaire qu’il résulte de ses seules compétences, soulignons qu’à l’époque aucun quota de parité n’existait dans ce monde d’hommes qu’était le milieu politique. Pour y arriver, une règle simple, comme en solfège, une femme devait valoir deux hommes, c’est dire.
Elle a ouvert la voie, première femme à devenir Sénatrice de Seine et Marne et rapporteure général du budget au Parlement, une responsabilité enviée et disputée s’il en est.
Aucune manœuvre politicienne derrière ces nominations, si ce n’est la reconnaissance par ses pairs de compétences indiscutables, d’une véritable expertise technique doublée d’une honnêteté intellectuelle sans faille, que ce soit sur les questions budgétaires, fiscales ou environnementales dont elle était devenue une grande spécialiste, cheville ouvrière et animatrice du pôle écologiste du PS.
En ce domaine, elle était avant tout volontaire mais pragmatique, avec l’ambition de réconcilier écologie, équité sociale et efficacité économique, loin de tout dogme, lobby ou esprit de chapelle. Ses travaux notamment sur la fiscalité écologique lui ont valut d’être nommée Ministre de l’environnement.
Plus localement, les seine et marnais retiendront que c’est suite à son action énergique que notre département a été durablement protégée de l’exploitation des gaz de schiste. Elle pouvait en ce domaine se montrer inflexible devant les lobbies pétroliers et l’a payé cash en étant démissionné de son poste de Ministre de l’Environnement.
Parlementaire, elle a refusé tout cumul, consacrant son énergie au seul mandat confié par les électeurs, que ce soit au Sénat ou auprès de nos concitoyens, considérant que préparer et faire la loi, analyser les limites de son application au quotidien et sur le terrain pour l’améliorer, de l’amender si nécessaire était bien une occupation à temps plein.
Nicole était persuadée qu’il ne fallait surtout pas oublier de toujours réparer, renouer, retisser afin d’éviter fractures et lignes de rupture et que cette volonté imposait d’être toujours sur le terrain, à l’écoute, en veille …
Si elle a occupé avec simplicité, discrétion et efficacité les plus grandes fonctions de la République, y compris gouvernementales, ses responsabilités ne l’ont jamais empêché de venir notamment à Trilport, laissant de coté tout protocole, alors que tant et tant se perdent avec délectation dans les honneurs et les paillettes des salons ministériels. Elle nous arrivait soudain, conduisant elle même sa voiture, que ce soit pour le repas des anciens, une inauguration, une visite de terrain ou une cérémonie de vœux, fraiche, accessible, souriante, attentive et détendue le plus souvent, toujours fidèle à des rendez vous dont elle appréciait la chaleur humaine, la simplicité et la convivialité.
Appréciée des élus locaux dont elle avait su gagner estime et respect, elle ne faisait aucune différence entre petite ou grande commune, territoire riche ou pauvre, toujours présente en cas de coup dur, à l’écoute de chacun, sans distinction.
C’est avec passion qu’elle a œuvré toute ses années au service de nos territoires, territoires oubliés de la République, ayant appris à aimer leurs contrastes, la diversité et la richesse de leurs espaces, qu’ils soient naturels, agricoles, urbains, péri urbains ou ruraux, devenant une de nos meilleures ambassadrices pour faire remonter nos difficultés, les injustices territoriales se transformant en véritables fractures et nos détresses trop souvent.
Avec sa disparition, la France perd incontestablement un grand serviteur de l’État qui a fait honneur à ses mandats et au pays, une personnalité exemplaire en matière d’engagement, que ce soit au service de ses convictions ou de ses responsabilités publiques, le Sénat une de ses voix les plus libres, une liberté de ton qui lui avait valu le surnom de « dame de pique», tant ses piques pouvaient être acérées et touchaient profonds et juste, Nicole était redoutée des puissants mais toujours à l’écoute des plus faibles.
Trilport voit partir une élue aux qualités humaines rares et authentiques, qui aura œuvré dans l’ombre et avec efficacité pour notre ville et le quotidien de ses habitants.
A titre personnel c’est une véritable amie qui a disparue, une amie fidèle, avec laquelle j’ai partagé tant et tant de combats, victorieux ou pas, une amie qui donnait envie de se battre et de remettre le couvert chaque jour, contre l’adversité, les injustices, afin de construire sur le long terme, de manière collective, durablement, une société plus solidaire en innovant au service d’un territoire qui en a tant besoin, une amie avec un cœur grand comme ça …
Car Nicole, la « dame de pique », était pour ceux qui avait le privilège de la connaitre, une vraie dame de cœur.
« Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ? »
Verlaine
10 juin 1947 : Naissance à La Rochefoucauld (Charente)
1986 / 1992 : Conseillère Régionale d’Ile de France
1997 : Députée de Seine-et-Marne, circonscription de Meaux
2004 / 2012 : Sénatrice de Seine-et-Marne, rapporteur générale du Budget
2012-2014 : Ministre des gouvernements Ayrault, Environnement et Commerce Extérieur
2014 / 2017 sénatrice de Seine-et-Marne