La consultation citoyenne contre la privatisation du groupe ADP, « affirmant le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris», est importante, c’est pourquoi je tiens à exposer les raisons de mon opposition, tant elle interpelle le citoyen et l’élu local que je suis.
ADP est également concerné par le dossier du CDG Express, maintes fois abordé dans ce blog et la création du nouveau Terminal T4 auquel je suis favorable ; il me semble opportun d’apporter une réponse adaptée à la croissance d’un trafic aérien qui doublera d’ici 2030 sans multiplier pour autant le nombre d’aéroports. Notre Dame des Landes nous a montré ce qu’il convient de ne plus faire.
Cet alignement de planètes vis à vis d’ADP n’est peut être pas si anodin qu’il y parait, j’y reviendrais plus loin. La corbeille de la future mariée est bien garnie …
Notons que c’est la mobilisation de 248 parlementaires qui a permis à cette consultation de se tenir. Certains d’entre eux avaient, rappelons le, soutenu en son temps la privatisation des réseaux d’autoroutes ou la vente d’une part importante du capital d’ADP au privé en 2013 ( 13 % d’actions vendues à 78 €, leur valeur a doublé depuis). Si certaines considérations « tactiques » ne sont sans doute pas à écarter leur initiative donne la parole au citoyen et c’est ce qui importe.
Encore faut-il, que ce référendum puisse se tenir. Préalable, réunir 4.717.396 signatures (soit 10% des électeurs) d’ici le 12 mars 2020. Or nous n’en sommes actuellement qu’à un peu plus de 770 000. Il est donc urgent de se mobiliser.
Certains des arguments échangés, caricaturaux, ne résistent pas à l’analyse : la police et les douanes des aéroports parisiens, quoiqu’il arrive, resteront bien de la compétence de l’Etat, vouloir faire croire que le rôle d’ADP se limite à gérer les galeries marchandes des aéroports revient également à se moquer du monde.
Soulignons, qu’en plus de gérer les pistes, le trafic aérien, la sécurité aérienne à l’approche des aéroports, les dispositifs de sûreté des passagers, et effectivement les centres commerciaux, ADP détient un patrimoine foncier de plus de 400 ha qu’il convient de maitriser !
Ce sont des raisons de fond qui expliquent mon opposition à la privatisation d’ADP. Elles concernent autant l’économique, que le stratégique, l’aménagement de nos territoires ou la souveraineté du politique en matière d’action publique.
Qu’elles sont elles ?
Quid de l’économique ?
L’argument gouvernemental se veut vertueux : financer grâce au prix de vente des actions de l’Etat (50,6%, valeur estimative : 10 milliards €) un fonds dédié à « l’innovation de rupture » et au financement des projets technologiques : intelligence artificielle, objets connectés, robotiques …
10 milliards qui ne seront pas distribués aux entreprises mais placés en obligations d’Etat, afin de générer des dividendes annuels rapportant environ 250 millions d’euros.
Dans son rapport sur le budget de l’Etat (2018), la Cour des Comptes émet de sérieuses réserves sur un dispositif qualifié de «mécanique budgétaire complexe et injustifiée», souligne également le coté peu rémunérateur d’un placement, non « réellement sanctuarisée» pouvant selon les aléas être utilisé par l’Etat à d’autres usages.
Pourquoi ne pas prévoir une ligne budgétaire dans le budget de l’Etat directement affectée à l’innovation et ne pas flécher pour l’alimenter les dividendes d’ADP perçus par l’Etat actionnaire ?
D’autant que Philippe Aghion l’a rappelé « les bénéfices d’ADP ont doublé depuis cinq ans, et la valeur boursière a été multipliée par quatre en dix ans. J’ai l’impression qu’on veut la privatiser pour réduire la dette publique, mais il n’y a pas d’urgence ! ».
La tendance est au beau fixe pour ADP du fait de la conjugaison de deux facteurs majeurs « mécaniques » : la création du nouveau Terminal 4 et la croissance continue d’un trafic aérien doublant tous les 15 ans.
Beaucoup pensent que la volonté du gouvernement est de contenir la dette publique, grâce à cette cession, sous le seuil symbolique des 100% du produit intérieur brut. Cette volonté parait d’autant plus surprenante que les taux d’interêts sont à un niveau historiquement bas et devraient le rester encore longtemps. Autre paramètre et non des moindres, le montant des dividendes à percevoir, mais plus encore de ceux à venir, n’incite pas à se séparer d’un tel capital, qualifié de « poule aux œufs d’or » par beaucoup.
Une autre raison pourrait cependant être à l’origine de cette volonté de privatisation : apporter une compensation au groupe Vinci (déjà propriétaire de 8% d’ADP) suite à l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui a entraîné la résiliation d’un contrat de concession signé en 2010 pour 55 ans.
Rappelons que ce même groupe a été également le premier bénéficiaire de la privatisation des réseaux d’autoroutes et de ces renégociations (voir plus loin), ceci explique peut être cela !
Quid du stratégique et de l’aménagement de l’Ile de France
ADP a l’ambition de faire du CDG sinon le plus grand hub aéroportuaire européen, du moins un des plus importants.
Son rôle est majeur aujourd’hui dans l’attractivité de l’Ile de France et de Paris, que ce soit au niveau de l’activité touristique, économique ou commerciale comme de la sécurité intérieure.
Les hubs aéroportuaires sont au coeur d’une économie mondiale interconnectée, de leurs dynamiques dépend la qualité et l’efficience des réseaux de transports, surtout aériens, qu’ils soient intérieurs ou internationaux.
C’est d’une telle évidence, que le pays même de la « libre entreprise » et du capital, les USA, considère ses aéroports comme des actifs stratégiques et les traite comme tel, les 14 947 aéroports américains étant tous gérés par la puissance publique.
Une autre dimension, plus locale, nous concerne directement : ADP est le 1er propriétaire foncier d’Ile-de-France : aéroports (Roissy, Orly, Le Bourget), locaux « périphériques » en place (hangars, hôtels, bureaux, etc.) mais également du fait d’un patrimoine immobilier de 411 hectares disponibles situés à des endroits stratégiques. Ce patrimoine constitue une véritable mine d’or.
« En Ile de France la maîtrise foncière est un élément-clé, alors que la question des mobilités non polluantes va être essentielle dans les décennies qui viennent, l’Etat se prive d’un levier d’action direct sur l’usage des sols », regrette le géographe Michel Lussault, théoricien de ces « hyper-lieux » de la mondialisation dont font partie les aéroports.
Cette dimension du dossier, liée à l’aménagement de la région nous concerne directement, aujourd’hui et demain, tant comme citoyen qu’élu local.
Au regard des contraintes subies au quotidien par les franciliens, notamment en matière de mobilités, que ce soit au niveau du RER B ou de la ligne P pour ce qui nous concerne, le rôle de la puissance publique (Etat, Région, départements, communes) ne peut être délégué ou subordonné à des intérêts privés, surtout vis à vis d’un acteur aussi puissant qu’ADP.
Il en va de la cohésion de nos territoires, de la qualité de leur développement, de la nécessité de répondre aux besoins urgents de nos habitants, qu’ils résident en petite ou grande couronne, de la priorité à accorder aux politique publiques de solidarité entre les différents niveaux de collectivités, de l’impératif absolu de mettre en place des réseaux de mobilité, enfin efficients, destinés en premier lieu aux usagers du quotidien.
Le feuilleton du CDG Express est là pour nous alerter, chacun connait les priorités et les ambitions d’ADP vis à vis des usagers du quotidien, y compris aujourd’hui avec un groupe « public ». Qu’en sera t’il dans le futur si ADP devient privé, qui pilotera les arbitrages à effectuer et avec quelles priorités ? Intérêt général et collectifs ou intérêts privés ?
La similitude des échelles de temporalité interpelle également, elle en devient troublante : lancement du T4, création du CDG Express, deux insfrastructures majeures financées principalement par de l’argent public, et dans le même temps lancement du processus de privatisation du groupe ADP, un groupe sous valorisé de fait, car n’intégrant pas la rente foncière à venir.
Je ne parle même pas des gares du Futur réseau du Grand Paris qui desserviront le foncier d’ADP, boostant leur valeur foncière, accélérant également leur commercialisation.
ADP constitue de fait une véritable machine à cash en devenir ! Son propriétaire mettra la main non seulement sur toutes les infrastructures présentes et des réserves foncières stratégiques, non encore valorisées. C’est de fait le plus beau patrimoine foncier d’Ile-de-France, est situé à proximité immédiate des aéroports parisiens.
Quid de la souveraineté du politique en matière d’action publique ?
La problématique n’est pas d’être « pour ou contre » le principe de privatisation, de manière dogmatique ou idéologique, mais de définir le périmètre de l’action publique, sérier les priorités stratégiques du territoire en tenant compte de la nécessité absolue de préserver l’intérêt genéral et collectif sur l’intérêt privé de quelques uns. Autre élément et non des moindres, peser sur le développement de nos territoires, aujourdhui, mais plus encore demain. Ne plus sacrifier le long terme à l’autel du court terme.
Certains exemples passés doivent nous amener à la plus grande vigilance, que ce soit celui de l’aéroport de Toulouse dénoncé par la Cour des Comptes, ou le scandale de la privatisation des réseaux d’autoroutes par Dominique Villepin en 2005 (un véritable désastre financier toujours dénoncée 15 ans après) au moment même ou le modèle économique de ces réseaux, arrivant à maturité, devenait enfin rémunateur !
Des autoroutes rappelons le, financés pour l’essentiel par des capitaux publics. Une situation qui a encore empiré suite aux trois « renégociations » menées lors des dix dernières années :
– 2008 le « paquet vert » prolongeant les décisions du Grenelle de l’environnement,
– 2011, le plan de relance autoroutier,
– 2016, le nouveau plan d’investissement autoroutier.
Autant d’épisodes démontrant l’incapacité de l’Etat à défendre l’intérêt général et la faiblesse du pouvoir public et politique dénoncée une fois de plus par les sages de la rue de Cambon face à l’expertise des groupes privés
Dans le dossier de la privatisation éventuelle d’ADP nous retrouvons certains des acteurs qui se sont beaucoup enrichis avec la manne providentielle de la privatisation des autoroutes. Si l’Etat en avait gardé le contrôle financier, il aurait bénéficier de recettes financières substancielles toutes ces années, y compris en rémunérant correctement ses concessionaires. Des revenus qui cumulées auraient contribué à diminuer le déficit public.
Les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets, ne l’oublions jamais, afin de ne pas renouveller les erreurs du passé.
Je considère pour ma part que la privatisation du groupe public ADP constitue une mauvaise affaire pour les finances publiques que ce soit à court, moyen ou long terme, une véritable menace pour le développement harmonieux, solidaire et équitable de notre région et de nos territoires et une faute politique.
C’st pourquoi je vous encourage à signer la consultation citoyenne contre la privatisation du groupe ADP
Merci j2m, j’avais du mal à me faire un avis sur ce sujet, ton point de vue m’éclaire.