
Les mobilités des espaces péri -urbains et ruraux commenceraient elles à devenir un enjeu ?
Deux réunions auxquelles j’ai récemment participé semblent le confirmer : le lancement du « Lab des mobilités » du département de la Meuse, les « Assises des transports dans la ruralité » organisées par la région Ile de France il y a quelques jours.
Déployer des mobilités inclusives dans les territoires dits « peu denses » constitue aujourd’hui une promesse républicaine non tenue.
Si la capacité de se déplacer librement est vitale pour travailler, étudier, se soigner, mener une vie sociale épanouie, le faire sans entrave dans une société de plus en plus mobile est devenu un véritable marqueur social ou de résidence ; et ne pas en bénéficier peut mener au déclassement, à l’assignation à résidence, à l’exclusion.
Dans la majorité des territoires la voiture particulière reste incontournable vu l’absence d’alternative concrète réelle, or la mobilité constitue désormais la principale cause d’une fracture territoriale qui s’accentue devant la disparition de nombreux services publics, la multiplication des déserts médicaux, le vieillissement inexorable de la population.
Avoir ou non la capacité de se déplacer donne accès ou pas au travail, aux études, à la santé, aux loisirs. Déployer des alternatives à l’automobile là où elle reste l’unique moyen de se déplacer constitue une priorité absolue, notamment pour celles et ceux qui n’en bénéficient pas ou plus ; dans le même registre rappelons que toute mesure d’exclusion, dès lors qu’il n’existe pas de réel choix de mobilité, n’apporte aucune solution, constitue un déni grave de la réalité, aggrave la fracture territoriale, attise colères et ressentis légitimes.
Aucune fatalité à cette dépendance, des solutions existent, elles nécessitent de faire pivoter le modèle actuel, de le penser à partir des territoires et des besoins de leurs habitants.
Il faut voir à la fois plus global sur l’ensemble du continuum de mobilités et apporter les réponses les plus adaptées à l’échelle de sa maille la plus fine …
Je vous propose deux notes sur le sujet, la première histoire de poser quelques repères clés et de dresser un constat sur les tendances de fond émergeant, la seconde proposera certaines pistes d’exploration, qui si elles s’adressent principalement à la région capitale, sont adaptables ou réplicables à bien d’autres territoires …

Lancement du Lab des mobilités du département de la Meuse
Répondre à la question, « Qui pilote nos mobilités ? », n’est pas aussi simple qu’il parait, tant la réponse dépend de l’endroit où vous vous trouvez, parfois même du moyen de transport utilisé.
Ce n’est que depuis 2019 et la loi d’Orientation des Mobilités qu’un chef de file officiel, à savoir la Région, est désigné en qualité d’Autorité Organisatrice de Mobilités (ou AOM) ; à ce titre il lui revient d’organiser et coordonner les transports du quotidien en concertation avec les départements, syndicats mixtes, ou intercommunalités de leur territoire.
Unique exception, l’Ile de France, dotée par l’état d’une AOM depuis 1959 du fait de son rôle de nœud ferroviaire central du pays. Le réseau francilien, transporte effectivement 1 français sur 5, ses 6 gares parisiennes interconnectant la majorité des TGV, Intercités et TER.
« Ile de France mobilités » (IDFm) se distingue par sa dimension, son expertise infra, un périmètre d’action qui s’étend aux trois espaces régionaux : métropolitain, péri urbain et rural et bénéficie d’un atout majeur la perception du « versement Mobilité » payé par les entreprises, sa principale ressource, alors que dans les autres régions elle reste fragmentée voir facultative.
Si l’on découpe, schématiquement, l’Ile de France en 3 cercles nous obtenons : un hyper centre bénéficiant des réseaux métro et bus parmi les meilleurs de la planète depuis des décennies, sa périphérie proche, moyennement desservie selon les lieux, la « grande couronne » à la desserte insuffisante lorsqu’elle n’est pas absente.
Pourtant depuis les années 2000 l’action d’Ile de France mobilités s’adresse à chacun de ces espaces !
Rapide retour en arrière … La gestion, le développement et le suivi des réseaux ferrés (transilien, métro, RER) était effectué uniquement par les opérateurs historiques (c’est toujours partiellement vrai), IDFm se concentrant sur la gestion du mass transit et le rabattement des lignes ferrées vers les réseaux bus de grande banlieue.
L’AOM s’est organisée au fil du temps sur un modèle « silotique », en mode top down descendant, dupliquant quelque peu l’organisation de la SNCF et priorisant une logique « verticale » (métier ou ligne) sans prise en compte des spécificités de chaque territoire, s’abstenant de toute horizontalité.
Hors du mass transit et des logiques de rabattement vers une gare, point de salut pour les habitants des espaces peu denses condamnés à la voiture particulière.
4 tendances de fond vont cependant faire bouger considérablement les lignes :
• 1/ Paris perd chaque année des milliers d’habitants, contrairement à la grande couronne confrontée au phénomène inverse. Mouvement de fond qui modifie considérablement la donne et pas seulement dans le domaine des mobilités
• 2/ Le paradigme initial entre offre et demande a pivoté. L’usager qui hier encore devait s’adapter à l’offre fait valoir désormais son droit à la mobilité où qu’il vive. C’est désormais à l’offre d’évoluer ;
• 3/ Nos territoires subissent des évolutions sociétales majeures : disparition de services publics de proximité (excepté ceux déployés par les communes), désertification médicale, vieillissement de la population, lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de GES ;
• 4/ Un nouveau Schéma Directeur Régional (dit SDRIF e) pour l’Ile de France qui redessine la carte des polarites d’une région de plus en plus polycentrique, à partir des réseaux ferrés structurants et du futur réseau du Grand Paris Express, afin de renforcer l’intermodalité et réduire la dépendance à la voiture ;
Ce bouleversement des usages et des réalités territoriales se répercutera inévitablement sur l’organisation et le mode d’action d’une AOM apparaissant aujourd’hui, aux yeux des élus et usagers de la grande couronne, quelque peu éloignée de la réalité du terrain et trop décalée vis à vis des besoins et demandes de territoires péri urbains en pleine mutation qui exigent attention, agilité, adaptabilité, souplesse et contextualisation de l’offre de mobilités à déployer jusqu’à la maille la plus fine.
Il devient dès lors essentiel d’envisager le continuum de mobilités dans sa globalité et pas uniquement au niveau modal et d’agir sur tous les maillons de la chaîne de transport pour remettre l’équité au centre de l’équation, surtout là où le service n’est pas au rendez-vous, en se préoccupant enfin du 1er et du dernier kilomètre.
C’est ce que nous verrons dans la prochaine note.
Il faut insister sur le temps et la lourdeur de la transition du mode de gouvernance des mobilités au niveau national. Passer d’une logique sectorielle et centralisée (état) à un modèle territorialisé et multimodal a nécessité beaucoup de lois, d’énergie, d’allers / retours, de temps perdu , y compris après les lois de décentralisation de 1981.
La situation locale dépend du contexte où l’on se trouve, le périmètre d’action de chaque AOM, excepté Ile de France mobilités, correspondant à celui de la structure exerçant la compétence négociée avec la Région (intercommunalité, syndicat), y compris si certaines collectivités l’exercent elles de plein droit : métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération, métropole de Lyon, lorsqu’elles n’ont pas transféré leur compétence à la région.
Il m’a semblé pertinent de rappeler l’évolution des textes concernant cette gouvernance.
Hors Île-de-France
La Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI, 1982)
Elle pose les principes du droit au transport, de la coordination entre les différents modes et de la planification territoriale. Le rôle de l’État reste central, mais les régions et départements se voit attribué un rôle dans l’organisation des transports non urbains (TER, cars interurbains). La fragmentation des compétences nuit à la cohésion et la cohérence globale de la chaine des mobilités et de empêche toute lecture intermodale.
Les lois de décentralisation (1983-2004) et SRU (2000)
Elles font évoluer progressivement ce modèle. Les régions deviennent autorités organisatrices des TER et transports interurbains (loi SRU, 2000) les agglomérations de plus de 100 000 habitants prennent la responsabilité des réseaux urbains (bus, tramways), pour les autres territoires tout reste à faire …
Les lois MAPTAM (2014) et NOTRe (2015)
Ces textes renforcent le rôle des métropoles (Lyon, Bordeaux …) qui deviennent Autorité organisatrice de transport urbain (AOTU) sur leur espace, leur champ de compétences est élargi aux mobilités douces.
La région devient chef de file pour la coordination des mobilités de son espace mais n’a aucun pouvoir hiérarchique, ce qui renforce la complexité du modèle et provoque de fait la superposition des compétences.
La loi d’Orientation des Mobilités (LOM, 2019)
La LOM clarifie enfin le rôle de chaque acteur dans la gouvernance des mobilités territoriales : les régions deviennent Autorités organisatrices des mobilités interurbaines (TER, cars), coordinatrices des politiques de mobilité et négocient avec les intercommunalités, les syndicats et les départements pour ce qui concerne notamment les transports scolaires et les routes. Se pose toutefois la question du financement des mobilités des espaces péri urbains et ruraux et le déploiement d’un véritable continuum de mobilités, reposant sur une chaine de déplacement réellement multimodale et intégrant les différentes ruptures de charge.,
En Ile de France
Depuis sa création l’Autorité Organisatrice des Mobilités d’Ile de France a connu trois identités successives, correspondant peu ou prou au gradient de décentralisation : Syndicat des Transports parisiens (STP, 1959), Syndicat des Transports d’Ile de France (STIF, 2000), Ile de France Mobilités (IDFm, 2017) :
• Syndicat des Transports Parisiens (STP, 1959-2000)
Il regroupe l’État, la Ville de Paris et les départements de la petite couronne, organise et finance les transports en commun de Paris et sa proche banlieue, avec des compétences limitées vis-à-vis des opérateurs historiques des réseaux (RATP et SNCF) et un périmètre d’action restreint. Conçu pour répondre aux priorités des « trente glorieuses » et du « mass transit » popularisé par le slogan : « métro, boulot, dodo ».
Il s’agissait de transporter les millions d’usagers des réseaux SNCF et RATP, en mode pendulaire en gérant la crise des heures de pointe. C’était à l’usager de s’adapter aux contraintes et d’arriver jusqu’aux gares menant à la capitale avec pour la grande couronne une offre plus que limitée, ajustée aux heures de pointe du matin et du soir (amplitude, fréquence, week end) ;
• Syndicat des Transports d’Île-de-France (STIF, 2000-2017)
Sa création marque la sortie progressive de l’État de la gouvernance des transports en commun en Île-de-France, l’élargissement des missions et des compétences décentralisées à la région et un périmètre d’action étendu à tous ses espaces. Le STIF prend en charge officiellement la planification, le financement et la coordination des transports franciliens, y compris celle des réseaux de bus, métro, RER et tramways, et commence le long mouvement d’amélioration des mobilités de la grande couronne tant au niveau tarifaire qu’offre en matière ferrée : cadencement, élargissement de l’amplitude et de la fréquence, rénovation du matériel roulant …
Ce qui occasionne une montée en charge qui souligne les fragilités et le manque de fiabilité d’un réseau ferré obsolète et dégradé.
• Île-de-France Mobilités (depuis 2017)
La nouvelle AOM intègre tous les modes de transport (mobilités douces, covoiturage …), évolution qui marque une nouvelle étape dans la décentralisation des compétences, y compris vis-à-vis des grands opérateurs (RATP, SNCF, SNCF Réseau), lancement d’un « new deal » bus permettant d’irriguer les territoires bien au-delà du réseau ferré et d’accroitre ainsi considérablement l’offre aux usagers.
Il faut souligner également les évolutions sur la billettique et l’adoption d’une politique tarifaire enfin équitable pour les usagers de la grande couronne. Enfin, les investissements historiques consentis dans la rénovation et le développement d’un réseau ferré (infra, nœuds ferroviaires, infrastructures, matériel roulant …) délaissé durant des décennies et trop longtemps considéré comme la variable d’ajustement des investissements publics en ce domaine.
L’objectif est bien de rattraper un retard de plusieurs décennies afin de passer du réseau des années 1970 à celui de 2030. Il faut souligner dans ce cadre que les opérateurs historiques (SNCF, SNCF Réseau et RATP) ont toujours un rôle central dans le pilotage du réseau ferré comme des travaux initiés et que le futur déploiement du nouveau réseau du Grand Paris Express constituera une étape décisive et ouvrira de nouvelles perspectives.
L’offre de transport en Ile de France est financée par :
• Les recettes liées à la vente des titres de transport (y compris la contribution des entreprises pour le remboursement des forfaits Navigo à 50 %) qui représentent près d’un quart du budget global de l’autorité organisatrice (25%).
• Le Versement Mobilité, versé par les employeurs (taxe basée sur la masse salariale) qui représente plus de la moitié du budget global d’IDFM. Une taxe acquittée par toutes les entreprises franciliennes de plus de 10 salariés avec un taux dégressif dépendant de la localisation géographique de l’entreprise : Paris, petite couronne ou grande couronne
• Les concours publics provenant des différentes collectivités locales (départements, région…) au titre d’un « pacte financier » établissant leurs quotes parts respectives, et des dotations de l’État qui représentent près de 20 % du budget global.
• Les différentes taxes captées par IDFM et autres sources de revenus (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE –, Contrats publicitaires…
