Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat

 

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J’entends des petites musiques qui me font froid au dos : le second tour des présidentielles ne serait qu’une formalité, pourquoi s’inquiéter, autant partir en week end faire le pont du 8 mai, non ? ou une autre mélodie, beaucoup plus lancinante et inquiétante, voter Le Pen ou Macron c’est du pareil au même, alors autant s’abstenir … Position qui me rappelle une discussion avec Lucie Aubrac, dont les paroles m’ont marqué à jamais : 

« Face à la montée du FN Jean Michel …
Il faut résister … Il est essentiel de toujours résister …
Devant l’extrême droite, un seul mot s’impose : Résistance »


La France politique est aujourd’hui un véritable champ de mines, la défiance envers les partis politiques est à un niveau rarement atteint jusque là !
Comme tant d’autres, 
je pense qu’il nous faut construire une nouvelle offre politique tenant compte de la réalité du terrain, des enjeux et priorités du monde d’aujourd’hui, non de celles d’appareils ou états majors déconnectés de la vie quotidienne telle qu’elle est partagée par le plus grand nombre.

Les résultats de ce premier tour sont dramatiques à bien des égards, nous avons pourtant évité le pire, mais jusqu’à quand ? La question est posée et mérite une réponse à la hauteur du traumatisme démocratique que nous traversons. Soyons juste, cette réponse ne concerne pas qu’Emmanuel Macron, même si dans le cas ou il l’emporte le 7 mai il sera de sa responsabilité d’y répondre en priorité tant cet enjeu est crucial pour notre pays comme pour l’Europe.

Le vote du pays réel semble en avoir surpris beaucoup, il ne représente pas pour moi un scoop, loin s’en faut.
Comme élu local je connais la détresse de mes concitoyens et leur colère et je l’avais touché du doigt lors des dernières élections qu’elles soient municipales, européennes ou régionales. Concernant cette dernière, le discrédit de l’offre politique proposée à nos concitoyens par les partis « traditionnels » est clairement apparue. Le choix de privilégier des calculs d’arrière boutique ou des stratégies personnelles dans la composition des listes au détriment d’acteurs de terrain représentatifs des territoires les plus délaissés a mené aux résultats que l’on connait.

Le contexte politique ambiant m’a conduit à prendre mes responsabilités afin de contribuer, simplement, à éviter la catastrophe d’un second tour Fillon / Le Pen. Il se serait doublé d’une abstention record, vu le discrédit de la candidature Fillon.

A priori ce second tour ne devrait pas poser de problème, en théorie. N’oublions pas que la France a déjà connu un 21 avril, et que certaines figures emblématiques de gauche, après avoir mené une trés belle campagne républicaine, citoyenne et populaire, se discrédite en ne donnant pas de consigne claire pour faire barrage à Marine Le Pen.
Cette réaction égotique, non dénuée d’arrière pensée (les législatives pointent) me navre car elle touche ce que j’ai de plus profond.

Autant je peux comprendre la déception de militants battus, abattus, leurs rancœurs même, qui n’en aurait pas ?

Autant la position de dirigeants historiques de la gauche faisant croire qu’un second tour Le Pen / Macron, c’est Bonnet blanc et blanc bonnet m’apparaît inconcevable, injustifiable et pour tout dire assez irresponsable ! 

 

Je sais d’où sont mes racines et pourquoi je suis aujourd’hui français en étant né espagnol. Mon éducation politique m’a été inculqué par mes grands parents avec leurs mots, simples, ceux de bergers républicains espagnols, anarcho-syndicalistes de surcroit ! Il m’ont appris viscéralement ou menait l’extrême droite au pouvoir,  Eux, l’avaient expérimenté concrètement et dramatiquement. C’est aussi en puissance le visage de Mme Le Pen et des siens …

Chacun peut librement considérer que la gouvernance versus Hollande n’a pas été trés terrible, trouver Macron pas assez à gauche, trop libéral, certes … mais le 7 mai la question sera d’une simplicité extrême, binaire même : lui ou le FN ?
Toute abstention sera une voix qui manquera aux valeurs républicaines, elle fera nécessairement le jeu de l’extrême droite. Faut il leur rappeler qu’Adolf Hitler a été élu démocratiquement dans les urnes, notamment du fait d’abstentionnistes qui trouvaient les socio démocrates allemands trop timorés ?

A chaque élection sa logique, aprés les Présidentielles, il y aura des législatives. Voter contre Le Pen le 7 mai, ne signifie pas faire un chèque en blanc à Macron, mais aussi le placer face à ses responsabilités historiques, que n’avaient pas su assumer par le passé Jacques Chirac, qui en était pourtant redevable …
Plus il y aura d’abstentionnistes, plus le score de Marine Le Pen sera élevé, cette équation est avérée. Elle pourrait contribuer à délivrer un signal anxyogène pour le pays, l’Europe, la démocratie et la république et laisse la porte ouverte à la pire des catastrophes politiques qui puisse arriver, si jamais, au grand jamais  …

A titre personnel, la situation politique actuelle, y compris au niveau local, va sans doute m’amener à m’impliquer différemment, sur d’autres champs, tant je ne peux me résoudre à accepter ce qui, à mes yeux, ne peut être une fatalité pour mon territoire.

Soyons clair, mon propos n’est pas contre les électeurs qui votent aujourd’hui Front National, je respecte leur vote, parce qu’il est d’abord un cri de colère, de défiance mais aussi et plus que tout de douleur, auquel nous devons apporter des réponses concrètes, quotidiennes, non par le mépris ou la démagogie.
Ce vote exprime une terrible et cruelle désillusion envers la classe politique, qui a failli et se nourrit d’une peur de l’avenir et de la perte d’une identité menacée dans un monde en mouvement et une globalisation qui remet en cause repères, valeurs et un modèle social auquel nous sommes attachés.
C’est un des enjeux auquel Emmanuel Macron se devra de répondre. Sa « start-up » doit faire sa mue, intégrer la nécessité absolue de s’ouvrir aux autres, de ne pas laisser de coté dans ses priorités et actions, les territoires aujourd’hui délaissés commeleurs habitants, abandonnés de la république alors qu’ils sont aussi la France du terrain, la France d’en bas, cette fameuse France périphérique du monde péri urbain et rural, devenu le terreau favori de Mme Le Pen et de ses idées. Il faut privilégier le Faire au Dire, le concret aux promesses, se reconnecter au monde réel et partager la vie quotidienne de ceux qui souffrent le plus, telle qu’ils la vivent et la ressentent …

C’est pour tout cela que le vote « utile » dés le premier tour était important, il nous a évité un second tour Fillon / Le Pen, n’en déplaise aux donneurs de leçons et censeurs, qui sur les plateaux télé le soir du premier tour, nous ont inondé de leurs platitudes, de leurs certitudes et de leur arrogance, en refusant d’assumer une quelconque responsabilité dans le discrédit actuel de la classe politique « d’en haut ». La vie n’apprend jamais rien à ceux qui considèrent qu’ils ont et sont la vérité incarnée, et que « l’enfer c’est d’abord et avant tout les autres » …

La situation que nous vivons n’est pas nouvelle, nos parents et grands parents l’ont surmonté par le passé, au siècle dernier notamment. Combat qui a inspiré poètes et artistes, dont Louis Aragon, il lui a consacré cette magnifique ode à la différence, la tolérance, à la Résistance, qu’est la rose et le réséda …

« Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas »

Ses mots résonnent singulièrement aujourd’hui …
Espérons qu’ils contribuent à ouvrir les yeux aux concitoyens qui doutent, car « quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat » sinon aprés il sera peut être trop tard.

La rose et le réséda

 
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Il coule il coule il se mêle
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda

Louis Aragon