L’Association des Petites Villes de France, « Villes de France » (fédérant les villes dites « moyennes » jusqu’à 100 000 habitants) et la Mutuelle Nationale Territoriale, ont organisé un colloque consacré à la désertification médicale réunissant élus locaux, professionnels de santé, représentants de l’ARS et de mutuelles, Ministère de la Santé et la Fédération Hospitalière Française via son président, Frédéric Valletoux. Les échanges ont permis d’aborder beaucoup de sujets, tant sur la médecine de ville, que la situation des services d’urgence ou encore bien évidemment celle de l’hôpital.
L’accès aux soins constitue désormais une problématique majeure, de plus en plus anxiogène pour nos concitoyens, tant elle se transforme trop souvent en parcours du combattant du fait de la pénurie de professionnels de santé, conséquence, le nombre d’habitants sans médecin référent est en augmentation constante y compris dans les grandes villes. La fracture médicale rejoint les autres fractures du pays, qu’elles soient numériques ou sociales, qui contribuent d’autant à renforcer les inégalités entre les différents territoires de la République.
L’accès au soin est un des piliers, non seulement de l’aménagement du territoire mais également du pacte républicain. Si les élus actent certaines avancées dans le projet de loi relatif à « l’organisation et à la transformation du système de santé » (création des projets territoriaux de santé, suppression du numerus clausus, recours aux médecins adjoints …), la gravité de la situation exige des mesures d’une toute autre nature, l’urgence doit ici se conjuguer au présent. Aussi les élus regrettent l’absence de mesures de régulation, qui sans être coercitives permettraient d’agir contre les écarts de densité médicale entre territoires . Un débat direct s’est engagé avec les professionnels présents, notamment des internes, très opposés à l’idée même de régulation.
D’autres sujets ont été abordé : quid de la cartographie des hôpitaux de proximité, quels professionnels y travaillent, sur quel mode ? Comment établir des schémas territoriaux permettant d’éviter la concurrence entre maisons médicales quelquefois même de villes voisines se « piquant » des professionnels ?
Des pistes ont été esquissées : mutualisation et développement du travail par équipes pluridisciplinaire, hybridation des solutions mises en place en fonction du contexte local (médecins salariés ou libéraux), diminution de la charge de travail des médecins, certaines missions non « spécialisés » pouvant être effectuées par d’autres professionnels (infirmières en pratique avancée, pharmaciens …) afin de développer les complémentarités dans la chaîne de soins et d’utiliser au mieux les compétences de chacun ….
Quelles propositions émanent des associations d’élus ?
Nouveauté, le travail collectif réalisé par l’Association des Petites Villes de France, et « Villes de France » qui a permis d’élaborer des propositions communes, partagées par les deux associtions d’élus afin de changer concrètement la donne : renforcement du rôle des élus dans la gouvernance (schémas locaux ou conseils de surveillance des hôpitaux), arrêt du conventionnement par la sécurité sociale des praticiens dans les zones en surnuméraire, création de « Territoires prioritaires de santé », mutualisation des praticiens hospitaliers dans les bassins de vie, accompagnement de l’innovation en matière de télé-consultation, télé-médecine…
Le mal semble cependant plus profond, touchant à l’architecture même de notre système de santé. Frédéric Valletoux, Président de la FHF, également élu local, a abordé en creux cette nécessité en parlant de « Jardins à la française » pour décrire notre système … Image assez révélatrice en fait de l’état des lieux.
Je suis intervenu à la fin du colloque pour faire part de ma surprise, devant le manque de vision et de propositions structurelles effectuées. Il faut selon moi avoir le courage d’aborder l’inadéquation de l’architecture même de notre système de santé vis à vis du monde d’aujourd’hui, compte tenu notamment de l’irruption des GAFA sur un marché au potentiel économique énorme, celui de la e-santé. Il est essentiel, sinon d’anticiper (trop tard, le train est déjà parti), de s’interroger sur la place croissante prise par le numérique, compte tenu des avancées technologiques qui s’accélèrent, et pas seulement « versus médecin » (robots médicaux, IA, Big datas, médecine génétique, télé médecine ou télé consultation) mais également « versus patient » (miniaturisation, objets connectés, Assistant, capteurs…) et d’agir au plus vite !
Il faut au plus vite élaborer un nouveau modèle, qui tout en préservant les valeurs républicaines et de solidarités du « jardin à la française », permette de garantir à la fois l’efficience de la médecine de pointe, le développement de la prévention et de la prédiction, tout en évitant les dérives d’une ubérisation de la médecine, et de ne pas avoir à subir la loi des GAFAS (ou BATX), des marchands de molécules ou des assurances privées. Il est essentiel et prioritaire d’accélérer le développement du dossier médical dématérialisé qui pourrait devenir le point d’ancrage d’un nouvel éco système médical basée sur une plate forme pilotée par la sécurité sociale et la puissance publique, et non les multinationales du Data ou encore les assurances privées.
Professionnels, institutionnels ou élus ont du pain sur la planche, mais aussi une responsabilité commune : permettre à chaque français, quelque soit sa condition et où qu’il réside, d’avoir accès à un système de santé performant et équitable. Il nous faut tout à la fois traiter l’urgence de la pénurie des médecins et faire évoluer, ensemble, ce « jardin à la française » qu’est notre système de santé, en préservant son ADN bâti autour de valeurs clés comme la solidarité, l’efficience ou la proximité, mais de lui permettre de répondre aux enjeux du XXI eme siècle.
Faut il encore que les différentes chapelles ou églises qui composent notre système de santé travaillent ensemble et au plus vite.