8 mai 2015 : Une journée particulière

8-mai-1945.jpgDepuis 2010, à Trilport nous associons la cérémonie du 8 mai 1945 à celle du 9 mai, journée de l’Europe pour commémorer la déclaration fondatrice de Robert Schuman, véritable acte de naissance de l’Union européenne.
Deux dates intimement liées, tant l’émergence de l’Europe politique est le fruit direct de cette horrible guerre comme de la nécessité absolue pour la France et l’Allemagne de se réconcilier, enfin, pour construire une amitié solide et sincère, unique dans l’histoire humaine.
Il n’est pas si fréquent que deux nations jusque là ennemies irréductibles, d’un commun accord et en bonne intelligence, décident de sceller une amitié inaltérable car directement issue des liens du sang et de la douleur partagée, afin d’apporter  la paix à leurs habitants et enfants. Cette décision historique nous oblige. C’est pourquoi, à chaque commémoration du 8 mai, nous avons toujours une pensée émue et sincère pour nos amis allemands d’Engen, notre ville jumelée, notre ville de cœur.

Cette année 2015, cette double commémoration du 8 et 9 mai, a revêtu une signification et symbolique toute particulière et à plus d’un titre …

Commémorer un 70 eme anniversaire, n’est pas rien. C’est accomplir un devoir de mémoire, toujours plus utile chaque année, afin que que les jeunes générations n’oublient pas toute l’horreur nazie, le racisme, la Shoah, les camps de concentration, ces morts innombrables et qu’ils se souviennent  surtout du mécanisme qui a mis cette machine infernale en route, ayant commencé par des élections démocratiques.
C’est aussi rendre hommage au courage et au sacrifice de ces femmes et ces hommes partis rejoindre Charles de Gaulle et les forces de l’armée française libre, ou ayant dans l’ombre choisit la résistance, qu’ils soient français de souche, de cœur ou simplement de conviction, comme ceux du réseau Manouchian (l’Affiche rouge) …

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant »

Souligner surtout, que quelque soit leur couleur, conviction politique ou religion, ou nationalité pour beaucoup, ils sont morts pour la France et défendre nos valeurs républicaines comme la conception qu’ils avaient de la liberté.

 

 Je le disais cette double commémoration du  cérémonie du 8 et 9 mai 2015 a revêtu une signification toute particulière …
Il y a tout juste un peu plus de 20 ans, le dernier Président Français ayant connu les horreurs des 2 guerres mondiales, François Mitterrand, prononçait un de ses ultimes discours, comme on peut délivrer un testament politique, consacré, justement, à l’Europe … 20 ans après, chacun de ses mots résonnent toujours avec autant de gravité, d’intensité mais aussi malheureusement d’actualité…

« II se trouve que les hasards de la vie ont voulu que je naisse pendant la 1ere Guerre mondiale et que je fasse la seconde. J’ai donc vécu mon enfance dans l’ambiance de familles déchirées qui toutes pleuraient des morts et qui entretenaient une rancune et parfois une haine contre l’ennemi de la veille.
Mais ma génération achève son cours, ce sont ses derniers actes, c’est l’un de mes derniers actes publics.
II faut donc absolument transmettre.

Vous êtes vous-mêmes nombreux à garder l’enseignement de vos pères, à avoir éprouvé les blessures de vos pays, à avoir connu le chagrin, la douleur des séparations, la présence de la mort, tout simplement par l’inimitié des hommes d’Europe entre eux.
II faut transmettre,

 Non pas cette haine, mais au contraire la chance des réconciliations que nous devons, il faut le dire, à ceux qui dès 1944-1945, eux-mêmes ensanglantés, déchirés dans leur vie personnelle le plus souvent, ont eu l’audace de concevoir ce que pourrait être un avenir plus radieux qui serait fondé sur la réconciliation et sur la paix.
C’est ce que nous avons fait.

 Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire et pourtant si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera : le nationalisme, c’est la guerre !
La guerre ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir,
et c’est nous, qui sommes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ! »

 La cérémonie du 8 mai 2015 s’est révélée toute particulière, à son issue nous sommes partis avec une importante délégation de Trilportais fêter le 15 eme anniversaire de notre jumelage avec Engen, ayant choisi cette date en commun pour célébrer cet anniversaire pour toute sa force symbolique et ce qu’elle représentait, tant pour le 8 que le 9 mai.

Construire l’Europe, c’est avant tout, bâtir l’Europe de l’humain, de la proximité et du concret, celle des citoyens, de la culture et de l’amitié …
Pour que plus jamais nous n’ayons de nouveau 8 mai à commémorer mais aussi et surtout pour célébrer l’idée européenne …

 

Poème de Louis Aragon : « strophes pour se souvenir » (l’affiche rouge)

 

 

 

 

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Strophes pour se souvenir

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

 

Louis Aragon, « Strophes pour se souvenir »,
dans Le Roman Inachevé, 1955