19 mars 2015 : « à Claude Gauthier, avec respect … »

dix-neuf.jpgVouloir « effacer » l’histoire est une obsession partagée par tous les obscurantismes et tous les totalitaires, qu’ils soient de l’Etat Islamique ou de métropole, ignorant que le temps est un tamis implacable et que l’homme n’est que sable qui passe.

Robert Ménard, compagnon de route du Front national, Maire de Béziers, en a fait son combat, dévoilant par la même son vrai visage, comme le peu de considération qu’il a de la république.
Sa décision de débaptiser la rue du « 19-Mars-1962 » et de lui attribuer le nom d’un participant au putsch des généraux et de l’OAS, illustre son manque de respect pour la mémoire de ceux dont les noms gravés en lettres d’or ornent nos monuments aux morts et illustre son incommensurable vacuité…  Un élu ne fait que passer et doit quelque soit son ego, prendre en compte cette temporalité, pour le moins éphémère.

Il ne m’appartient pas de juger du bien fondé de donner le nom d’une rue au « Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc », militaire courageux, ancien résistant, qui après avoir participé au putsch des généraux, a assumé ses actes avec dignité, mais je veux faire part de mon indignation devant une mauvaise action destinée à entretenir une polémique partisane indigne et inutile à des fins uniquement médiatiques.

 La commémoration du 19 mars, ne célèbre ni une « repentance », ni la défaite de quiconque, elle honore simplement la mémoire de nos compatriotes tombés pour la France, de l’autre coté de la Méditerranée, comme celle de « Claude Gauthier », habitant de Trilport, dont j’ignore s’il était de gauche ou de droite, partisan ou non de l’Algérie Française, mais dont je sais qu’il est mort loin des siens, au nom de son pays, le notre, dans cette terre de soleil et d’azur ou tant de rêves et de vies se sont fracassés.

 Nous devons plus que tout, combattre de vieux démons enfouis au plus profond, assumer l’histoire de notre pays avec lucidité, assumer ses  ombres comme ses lumières. En rappelant que les évènements d’Algérie ont été un horrible conflit qui a marqué à vie des générations de français : une guerre de feu, de sang et d’horreur, guerre que nos politiques ont trop longtemps refusé d’admettre officiellement et dont l’Algérie ne s’est jamais réellement, elle, remise (cf le texte de Kamel Daoud).
Vouloir instrumentaliser cette douleur collective toujours présente, tragédie humaine ayant si longtemps divisé  le pays par le passé, pour en faire une misérable manœuvre politicienne est du niveau de son auteur : minable … Ce n’est pas non plus le meilleur hommage que l’on peut rendre à Hélie Denoix de Saint-Marc.

 Pour les élus, il s’agit simplement de commémorer pour mieux se souvenir afin d’entretenir ce devoir de mémoire au combien utile, qui nous permet de vivre le présent éclairés des leçons du passé afin de construire un avenir plus serein, dans le respect de la démocratie, deux mots que les obscurantistes ignorent et combattent

 

A suivre un très beau texte de Kamel Daoud, écrivain algérien : « Ni m’exiler, ni me prosterner »

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Ni m’exiler, ni me prosterner

Kamel DAOUD

 

Peut-on sortir de la névrose algéro-française ? Car c’est une névrose.
On la reconnait à ceci : le visage est terne des deux cotés, l’affect est vif, la vérité est ténue, la fable est monstrueuse et l’avenir est une feuille morte photocopiée. La névrose se reconnaît à ses traces de pas dans votre tête : elle tourne en rond pendant que vous tournez à vide. Envie d’écrire le monde, d’élargir la fenêtre à la taille de l’océan.

Que pense de moi le japonais penché sur une rime ancienne ou un moteur nouveau ? Que dit la terre du feu sur mon prénom ? Suis-je connu par les glissements neigeux au pôle ou la femme aux hanches larges à Dakar ? Quelle est l’image de mon algériannité dans le brouhaha des divers et des mesures ? Comment sortir de cette longue guerre qui me remplit la bouche de cendre et de totems jacasseurs ? Je rêve d’un poumon neuf et d’un verbe inné. D’aller marcher pieds nus sur un monde de galets. Comment ? Je pouvais parler de mon livre là où j’allais : mes mots auraient été écoutés, nourris ou écartés comme des feuillages sur un chemin de jungle.

Mais parler en France pour un algérien ou en Algérie pour un Français équivaut à tirer un continent avec ses dents. Tout est lourd, même l’humour. Tout a triple sens et quatre cimetières. Tout est pénible, lent, mouvant, chargé, risible et sent le renfermé. C’est un monde mort qui ne cesse de parler. Un lien pourri. Je ne veux pas refaire la guerre ou m’exiler. Juste raconter sans que cela ne soulève des tombes. Dire la feuille quand elle se courbe. Une aube qui ne trouve personne pour l’écouter et qui s’en va. Un ciel qui cherche son reflet sur toute terre possible. Raconter le monde en commençant par un prénom. Dire des histories d’amour et de rire. Des histoires de quartiers et de voisins. Me libérer.

Car au fond, les colons quittent à chaque fois ce pays mais nous laissent prisonniers de nous-mêmes : arabes, français, espagnols, vandales, ottomans. Ils s’en vont puis ne nous quittent plus et nous enferment parmis leurs morts. Et on les porte et emporte. Je rêve de la libération du verbe et du rêve algérien. De la quiétude souriante en bienvenue. D’une profonde confiance en soi. De la possibilité de regarder la mer comme un seuil et pas comme une porte fermée. Je rêve de désirer le monde, pas une guerre, une vengeance ou un mur ou un enfermement ou un effondrement ou une conversion en ablutions. Je rêve d’un pays dont le présent sera plus imposant que la mémoire. Je rêve de sortir de cette prison qui a le dessin d’une confrontation sans fin. Un pays. Une femme. Une descendance proche et éparpillée.

Pénible. Comment se débarrasser de ce lien morbide ? Raconter le monde dans une autre langue que celle du souvenir voulu ou subi ? Je veux être un écrivain japonais mais étant en même temps un algérien sur de soi et des siens. Difficile à faire comprendre cette nuance irréductible qu’est le rêve de ma libération.

Je ne veux plus de l’Histoire.

Elle veut toujours ma mort et mes mots. Elle ne me tolère pas vivant. Je ne veux pas me protester ni me soumettre.

Je veux juste vivre ma terre. Ni vers l’est, ni vers le nord.

 

? Kamel DAOUD ? Janvier 26, 2015