Ligne P : l’acceptabilité n’est plus une option

Travaux sur le réseau : SNCF Réseau

La parenthèse des jeux olympiques aura permis aux usagers de la ligne P de retrouver, le temps d’un été, le plaisir d’une vie sociale durant laquelle se rendre à Paris en train pour passer la soirée et en revenir était de nouveau possible. Cette parenthèse est désormais bien refermée après la reprise des travaux sur le réseau et le remplacement des trains de soirée par des bus de substitution.
Soyons clairs, depuis l’accident dramatique de Brétigny-sur-Orge, personne ne conteste l’urgence de régénérer un réseau si vieillissant qu’il a fait l’objet d’un audit sévère de la Cour des comptes, soulignant que l’Ile de France qui ne représente que 10% du réseau national concentre 70% de la circulation ferroviaire du pays et 40 % de son trafic voyageurs et que 40 % des voies et 30 % des aiguillages des 3 700 km du réseau francilien avaient plus de 30 ans d’âge et 15 % des caténaires dépassaient même les 80 années (dont pour 5 % le siècle !).
Régénérer l’infra constitue une priorité absolue pour la sécurité même des usagers. Ce constat m’a mené durant des années à militer pour qu’une rénovation à grande échelle soit lancée, aussi je ne peux que me satisfaire de l’effort sans précédent engagé par SNCF Réseau et Ile de France mobilités dans ce cadre.
Chacun comprendra également qu’intervenir sur des voies ferrés ne peut se faire qu’en l’absence de tout trafic et de préférence sur les créneaux les moins perturbants pour ne pas pénaliser le plus grand nombre d’usagers ; autant dire la nuit, ce qui permet de bénéficier de plages de 5 à 6 heures de travail avant le départ du premier train du matin.
Vu l’ampleur du retard à combler (plusieurs décennies de sous investissement et d’abandon) et les contraintes logistiques afférentes à ce type de rénovation lourde, de tels chantiers se prolongent inévitablement de nombreux mois pénalisant durablement le quotidien des usagers.
Il est bon de rappeler que les usagers de la grande couronne sont les plus touchés par ces chantiers, y compris si ceux ci ne les concernaient qu’à la marge jusqu’à présent, certains étant même très éloignés de leurs priorités (cf CDG ADP Roissy) alors que dans le même temps les demandes d’amélioration les concernant, comme l’électrification de la ligne Trilport / La Ferté Milon, la mise en accessibilité des gares les plus fréquentées apparaissaient secondaires devant les milliards consacrés au réseau du Grand Paris.

Il faut souligner l’impact pour la vie quotidienne de nos concitoyens de la suppression des trains de soirée durant plusieurs années, comme c’est le cas, elle influe durement leur vie sociale, familiale ou professionnelle, d’autant qu’elle se double de weekends successifs de travaux sans trafic. Dans l’inconscient collectif, le mode dégradé devient la norme, attisant un profond sentiment de frustration, d’injustice, d’abandon et pour tout dire de relégation..
La question de l’acceptabilité sociale se doit d’être considérée comme un enjeu majeur, sinon un préalable, vu l’absence de perspective d’amélioration proche pour des usagers qui ne disposent d’aucune alternative pour se déplacer, d’autant que cette situation se prolongera plusieurs années.

Comment rendre compatible l’urgence de régénérer un réseau à bout de souffle, atout essentiel de nos territoires et vecteur de mobilités plus durables pour aujourd’hui ou demain et la vie quotidienne d’habitants qui n’ont pas d’alternative pour se déplacer ? C’est bien le dilemme à résoudre.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre, usagers et élus de nos territoires, n’avaient jamais été associés au moindre arbitrage lié à ces travaux, alors qu’ils en subissent plus que tout autre les conséquences directes.
L’acceptabilité sociale n’apparait pas, comme dans trop de domaines, ou si peu, dans les radars des décideurs, étant tout juste considérée comme une variable d’ajustement devant les priorités logistiques des techniciens. Ce n’est pas acceptable surtout devant l’impact de pour nos vies quotidiennes. Les choix et validations, sans mesure d’accompagnement, ne peuvent se limiter aux seuls priorités techniques mais doivent tenir compte des conséquences sociales plus que déstabilisatrices.
J’avais interrogé Clément Beaune, alors Ministre des Transports, dans le cadre de mes responsabilités à l’APVF, sur une situation que nous jugions intolérable et anachronique, en évoquant les relations « difficiles » des collectivités du pays avec SNCF Réseau.
Nous lui proposions de créer des « Comités d’axes » par réseau ou bassin de mobilités afin d’initier une concertation amont constructive avec SNCF Réseau.
Le ministre nous a rappelé que l’État au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales, n’avait pas à intervenir dans les choix des autorités organisatrices, seules compétentes pour décider du niveau d’offre des lignes qu’elles administrent ainsi, en lien avec la maîtrise d’ouvrage, que des plages travaux retenues pour la modernisation des lignes de RER et Transilien. Dont acte.

Nous étions alors localement (élus du Pays de l’Ourcq, du Pays de Meaux, département de Seine et Marne, Région ile de France) en négociation très difficile avec le gestionnaire d’infrastructures et la Préfecture de région afin d’obtenir l’inscription de la l’électrification de la ligne Trilport / La Ferté Milon au Contrat de Plan Etat Région (CPER)) et confrontés à une vraie situation de blocage. Fort heureusement nous avons obtenu l‘inscription de l’électrification de la ligne au CPER, ce qui a contribué à pacifier nos relations.,Profitant de cette nouvelle donne nous avons exploré avec Transilien différents formats destinés à proposer le cadre d’une concertation constructive.
SNCF Réseau validant le concept d’un « dialogue territorial de la ligne P » avec SNCF voyageurs, Transilien, associations d’usagers de la ligne P, intercommunalités, département de Seine-et-Marne et Ile de France mobilités. Il ne faut surtout pas sous estimer ce que représente pour le gestionnaire d’infrastructure un accord, il constitue une véritable « révolution culturelle », encore faut il que les résultats suivent …

Où en est on aujourd’hui après quelques mois de rencontres ?

Quatre préalables avant ce retour sur le « dialogue territorial » initié depuis mai dernier :
1/ Influer sur des chantiers déjà lancés (échéancier, calendrier et intensité des travaux) préparés plusieurs années en amont, ne peut être immédiat. Cela demandera nécessairement du temps, nous le savons ;
2/ Pour que la démarche soit utile, il est essentiel d’obtenir des améliorations concrètes et rapides pour les usagers. C’est un point de crédibilité majeur, qui peut aller de l’allègement progressif des contraintes liées aux travaux au renforcement qualitatif des mesures d’accompagnement afin de faciliter la vie sociale des usagers ;
3/ Il est essentiel que tous les acteurs mobilisés soient parties prenantes de la démarche, notamment Ile de France Mobilités. L’autorité organisatrice étant l’instance de validation des chantiers lancés, tant de rénovation que de développement du réseau, qui déterminent l’intensité, l’échéancier et le périmètre des travaux et peut intervenir si besoin sur les mesures d’accompagnement des usagers ;
4/ Il est important que SNCF Réseau associe le plus étroitement possible, usagers et élus locaux au suivi du chantier de l’électrification de la ligne Trilport / La Ferté Milon ;

Une fois ces préalables posés, les objectifs des usagers et élus dans cette démarche sont bien connus. Il s’agit non seulement d’échanger, de faire remonter nos demandes, d’obtenir toute la visibilité sur la nature des travaux et leur échéancier, mais également d’être en capacité d’évaluer les différentes options pour pouvoir peser sur les arbitrages, ou obtenir les mesures d’accompagnement nécessaires. afin de rendre les contraintes le plus compatibles avec nos vies sociales, et de ce fait acceptables,

La première réunion (en mai 2024) s’est déroulée en présence notamment de Jean François Parigi, Président du département de Seine et Marne, très impliqué sur le dossier de la ligne P, Jean François Copé Président de la CA du Pays de Meaux, Pierre Eelbode Président de la CC du Pays de l’Ourcq comme des associations d’usagers très actives depuis des années. Ce fut de fait un round d’observation qui a permis de lancer la démarche, valider la méthode proposée et les objectifs attendus, de recueillir les attentes des associations d’usagers et des élus comme leurs questions.
Nous nous sommes retrouvés peu avant l’été, SNCF Réseau présentant sa feuille de route 2025, tant sur la régénération des voies que le développement du réseau, précisant la planification rdes travaux retenue, les impacts pour les usagers et les dispositifs de transport de substitution mise en place. Les échanges ont souligné l’importance d’approfondir et renforcer le dialogue entre les différents acteurs.
En septembre, après une pause olympique et paralympique bienvenue, un nouveau rendez vous nous a permis aux associations d’usagers et aux élus, de faire remonter leurs attentes sur l’allègement des contraintes (périodes de l’année avec des trains en soirée, limitation des weekends successifs sans trafic, informations plus complètes sur la nature et la durée des travaux) et l’amélioration des mesures d’accompagnement souhaitées notamment pour la substitution routière.
Il a été décidé de laisser le temps à SNCF Réseau et Ile de France mobilités de travailler de leur coté afin d’étudier la piste de propositions d’allégement et d’accompagnement dans le contexte contraint d’une feuille de route bien entamée au niveau des chantiers déjà lancés ou en préparation. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvé en février dernier pour une restitution des propositions de SNCF Réseau.

Durant cette réunion, SNCF Réseau a rappelé que ses marges d’action étaient très limitées en 2025 et 2026, du fait des travaux déjà lancés, planifiés et validés par Ile de France Mobilités, dont 2/3 consacrés au développement du réseau (Eole, CDG Express, réseau du Grand Paris, montée progressive des projets régionaux,dont Trilport / La Ferté Milon) et 1/3 pour sa régénération. Les responsables du gestionnaire d’infrastructures ont rappelé les principales demandes des usagers et élus sur :

  • « L’information travaux » et l’organisation : répondre à des questions aussi simples que : « des travaux pourquoi faire et pour qui ? », « Quels sont les bénéfices attendus ? », « Combien de temps vont ils durer ? » , « Où en sommes nous ? »
  • L’organisation des chantiers : éviter autant que possible dates d’évènements majeurs, départs et retour de vacances scolaires, bénéficier d’une soirée en fin de semaine avec des trains jusqu’à la fin de service (semaine, mois ?) , ne pas impacter les premiers trains du matin, limiter le nombre de weekends successifs sans train ;
  • Les substitution par bus : renforcer le jalonnement vers les bus gare de l’est, améliorer information, repérage vers les bus pour permettre aux voyageurs de connaître facilement l’horaire de départ, leur destination et leur desserte, déployer également plus de fréquence, et de meilleures conditions de transport ;


SNCF Réseau a fait une première salve de propositions, s’engageant à tout mettre en œuvre pour ne pas perturber les premiers trains du matin, de ne pas effectuer de travaux lors des dates d’évènements notables afin de maintenir des conditions de trafic normal, à préserver durant les deux semaines de Noël les trains en soirée et de limiter au maximum les weekends consécutifs d’interruption et d’une nouvelle organisation au niveau des bus de substitution tant sur le fléchage, l’information que la fréquence et la qualité de la prestation.
Ces premières propositions devraient être complétés par d’autres mesures, SNCF Réseau indiquant qu’il travaillait en interne pour aller plus loin, à noter cependant la trés grande discrétion d’Ile de France Mobilités sur le renforcement des mesures d’accompagnement.

Affaire à suivre …