Sopron, Hongrie, le 19 aout

sopron4.jpgJ’étais le 19 aout dernier à Sopron, ville-frontière située entre Hongrie et Autriche, à moins d’une heure de l’aéroport de Vienne. Spécialité locale : la médecine dentaire.
Un vrai Eldorado, tant pour les patients, du fait du rapport qualité / prix  qui malgré l’affluence reste inégalé, que pour le pays, le succès croissant du tourisme dentaire entrainant une prospérité économique sans précédent, du au développement de l’activité et du nombre de cabinets de dentistes et de cliniques spécialisées.

Si rien ici, ne rappelle plus le Rideau de fer, cette villeconstitue pourtant un symbole historique fort de cette époque. En 1990, lors des cérémonies célébrant la réunification Allemande, le chancelier Helmut Kolh a d’ailleurs déclaré : «La chute du mur de Berlin a commencé en Hongrie, le premier pas vers la réunion allemande était le pique-nique paneuropéen».

Ce fameux pique nique s’est effectivement déroulé à Sopron le 19 aout 1989, trente ans après la construction du mur de Berlin, des images qui ont fait le tour de monde.

Nous étions sur le site même du pique nique, aménagé comme un lieu de mémoire, j’allais dire de pèlerinage européen, et avons assisté aux cérémonies commémorant la date anniversaire de ce moment symbolique et pacifique qui a contribué à faire émerger l’Europe et fait vaciller le rideau de fer.

 

Les parrains de cette petite fête champêtre et insolite, bucolique cependant, étaient Imre Pozsgay pour l’opposition hongroise, et le prince Otto de Hasbourg (décédé en juillet dernier à qui je consacrerais  une prochaine note) Président du mouvement pan-européen.
Leur carton d’invitation, un simple tract représentant une rose sur un barbelé indiquant le lieu et les horaires de ce moment de convivialité. Tous deux cependant, afin de ne pas compromettre la réussite de cet événement, avaient prévenu les autorités qu’ils n’y participeraient pas personnellement.
Le barbecue organisé autour « de saucisses, des grillades et de la bière » était une première apparemment insensée : entrouvrir durant trois heures la frontière avec l’Autriche fermée depuis quarante ans afin de célébrer officiellement des relations de bon voisinage entre frontaliers.
Les deux pays étaient alors séparés, non par un mur comme à Berlin, mais par un réseau continu de 246 kilomètres de barbelés et de champ de mines. Il est utile de rappeler que de tels murs subsistent toujours sur la planète,notamment en Palestine sur plus de 700 km, et aux USA pour « protéger » ce grand pays des « poors workers » mexicains, un mur de la honte surnommée la « tortilla border » s’étalant sur 3200 km entre Océan Atlantique et Océan Pacifique.

Si à l’époque l’heure est déjà à la détente, les Hongrois ont enfin droit à des passeports qui leur permettent désormais de voyager à l’étranger et depuis 1985 l’URSS a pour dirigeant Mikhail Gorbatchev qui avec la Glasnost va changer la face du monde, l’initiative est tout de même gonflée. Les répressions qui ont suivi les évènements de Budapest en 1956, puis de Prague en 1968 sont encore dans les mémoires.
Le pique nique pan européen, va entrer dans l’histoire comme la 1ere brèche qui va ébranler le mur de Berlin ; trois mois plus tard , le 9 novembre 1989, celui ci s’effondrait.
Profitant de l’aubaine, 661 allemands de l’Est se sont invités au dessert, en jogging ou en Trabant et souvent en famille ils passent à l’Ouest sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré ! L’un des principaux organisateurs de l’événement Laszlo Magas a déclaré lors des cérémonies du 20 eme anniversaire, « C’était comme si le génie sortait de la lampe merveilleuse d’Aladin. C’est comme un gros coup de chance, une ironie de l’Histoire ».
Il n’est reste pas moins vrai qu’à l’été 1989, personne ne pouvait prévoir la suite des évènements …

Ce lieu, cette date, cette manifestation, ont permis sans doute à notre continent de prendre un raccourci de histoire pour libérer enfin, « l’Europe captive » du communisme, comme l’écrivait Milan Kundera.

 

22 ans après que penser d’un tel événement ?

sopron22.jpg

Même si cette histoire est belle, ne nous y trompons pas, le mouvement était déjà lancé, notamment et surtout en Hongrie.

Quelques mois auparavant, en juin les ministres des affaires étrangères de l’époque, l’autrichien Alois Mock et son homologue hongrois Gyula Horn avaient cisaillé symboliquement la clôture de la frontière entre les deux pays devant une foule de photographes. Le démantèlement progressif des barbelés entre les deux pays, et surtout entre l’Ouest et l’Est était dés lors enclenché avec l’assentiment de Gorbatchev lui même.

Un fait symbolique qui marque la fin de la guerre froide, dont l’Autriche constituait une plaque tournante. Le gouvernement « réformateur » de Budapest, au grand dam d’Erich Honecker l’allemand de l’Est, avec ce geste, puis ensuite le pique nique pan européen, initiative cette fois ci non gouvernementale, allait déclencher une véritable lame de fond démocratique.
C’est cette cérémonie entre les deux ministres, qui allait inciter des centaines d’Allemands de l’est à prolonger leur traditionnel séjour estival en Hongrie, notamment au lac de Balaton,  pour à partir de la Hongrie, passer à l’ouest malgré l’expiration de leur autorisation de séjour.

C’est ainsi que le 19 août 1989, profitant du pique nique pan européen, 661 citoyens de RDA forcent le point de passage de la frontière, sans qu’aucun coup de feu ne soit donné.
Le 11 septembre à minuit, le poste frontière est ouvert pour tous les Allemand de l’est, 60 000 d’entre eux emprunteront le même chemin, alors que dans le même temps leur pays verrouillait ses frontières, jusqu’à l’implosion du 9 novembre.

sopron10.jpg

Ce n’est que longtemps après, le 20 décembre 2007, que les derniers contrôles aux frontières entre l’Ouest et l’Est, les pays de l’ancien Rideau de fer, ont été définitivement levés, du fait de l’entrée de ces Etats dans la zone Schengen, abolissant toute entrave à la libre circulation des personnes et des marchandises.

C’est pour toutes ces raisons, mais aussi la ferveur que les hongrois ont dans l’Europe, que cette visite a été émouvante, y compris pour un simple français.

Tout semble simple aujourd’hui en ces lieux, malgré les difficultés économiques, qui touchent nos pays, car le manque de liberté est une atteinte à l’homme à sa dignité et à ses perspectives.
L’Europe est une réalité historique et économique, le nier est un non sens; il faut lui donner maintenant une véritable stature politique, afin que les égoïsmes nationaux ne se développent pas plus, que les atteintes à la dignité humaine et à la liberté de conscience ou de culte ne bloquent une fois de plus la marche en avant de l’histoire.
C’est un combat à mener, au quotidien, en France comme en Hongrie, nous en reparlerons d’ici peu, car ce pays connait une vie politique délicate actuellement.

Les temps sont durs comme le chantait si bien Dylan à son âge d’or, sans doute, pour tous, trés certainement, mais j’ai la certitude que c’est unis que nous changerons la donne.

sopron15.jpg