N’oublions pas le 22 aout 1914

Il y a un peu plus de 110 ans, le 28 juillet 1914, la 1ere guerre mondiale débutait. De l’année 1914 je retiens surtout une autre date symbolique et dramatique, celle du 22 août : 27 000 Français y sont tués.
La journée du 22 aout est la plus meurtrière de l’histoire de France, de loin …

Plus d’un siècle après, il est important de redire la boucherie qu’a été la grande guerre : 10 millions de morts, 19 millions de blessés dont 10 de mutilés et parmi eux beaucoup de «gueules cassés».

« On oubliera. Les voiles du deuil, comme les feuilles mortes tomberont, l’image du soldat disparu s’effacera lentement… » écrit alors Roland Dorgelès dans son roman « Les Croix de bois »

Les cérémonies qui chaque 11 novembre se déroulent devant les monument aux morts du pays soulignent combien il avait tort, c’est bien mieux ainsi.
Comment oublier cette tragédie et les générations sacrifiées « aux ordres de quelques sabreurs  » ?
La France a porté le poids de cette véritable hémorragie humaine durant des années, ne retrouvant sa population d’avant 1914 qu’au début des années 1950, c’est dire …

Je veux témoigner ma reconnaissance à celles et ceux qui participent à cette cérémonie qui perpétue ce devoir de mémoire qui nous lie aux poilus de 14 et à toutes celles et ceux qui sont tombés pour la France.
Merci aux musiciens de l’harmonie intercommunale qui apporte gravité et émotion à cette célébration et qui lorsqu’ils reprennent la Madelon renouent avec l’esprit populaire des poilus, aux pompiers, à la police, aux anciens combattants, passeurs et transmetteurs de valeurs dont le nombre s’estompent avec le temps, aux enseignants, éveilleurs de conscience et à leur élèves présents qui viennent des écoles ou du collège.
Cette présence des jeunes générations est la meilleure illustration de toute l’utilité de ce moment de partage républicain comme de sa valeur. Elle est à mes yeux essentielle, car si « un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » (F. Foch). Nous devons être fier de notre jeunesse, elle est l’avenir du pays.

Non, nous n’avons pas oublié tous ces morts et la tragédie sans nom qu’a été véritablement la Grande Guerre.
Ce devoir de transmission est la mission que s’est donné également le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux . Un lieu d’aujourd’hui qui nous parle d’avant-hier et qui surtout respecte la dimension éminemment populaire de cette guerre des humbles.
Ce musée, à hauteur d’homme, vient de s’enrichir d’une tranchée reconstituée, une première mondiale.
Du trou d’homme aux boyaux, galeries et casemates, elle rappelle l’importance de ce lieu de vie partagé, qui symbolise à lui tout seul la dimension profondément humaine qui caractérise la grande guerre. La tranchée « lieu si expressif de la mémoire » a dit justement le Premier Ministre, Michel Barnier lors de son inauguration.
La vie dans les tranchées a été un vrai lieu d’inspiration pour les écrivains qui l’ont vécu, un voyage au bout de la nuit dont beaucoup ne sont pas revenus.

Blaise Cendrars, poète suisse mais également poilu,engagé dans la Légion étrangère y a perdu sa main droite. Cette vie dans les tranchées lui a inspiré un court texte, d’une intensité folle : «J’ai tué» publié à la fin de la guerre. Il y décrit son quotidien ponctué par l’attente lancinante, la peur persistante et la mort insistante et prégnante bien trop présente.…

Ces tranchées de 14 étrangement aujourd’hui nous connectent également au temps présent …

Si l’Histoire ne se répète pas, elle bégaye sacrément…

Les tranchées ont fait de nouveau leur apparition en Europe, sur les terres d’Ukraine, stigmates d’une guerre de position que le peuple ukrainien mène courageusement pour résister à l’invasion russe.

Les mots de Cendras prennent soudain une autre dimension, car ils nous parlent d’aujourd’hui …

« … / …
Le rideau se déchire.
Tout pète, craque, tonne, tout à la fois.
Embrasement général, mille éclatements.
Des feux, des brasiers, des explosions.
C’est l’avalanche des canons.
Le roulement, les barrages, le pilon.
Sur la lueur des départs se profilent éperdus des hommes obliques, l’index d’un écriteau, un cheval fou,
Battement d’une paupière,
Clin d’œil au magnésium, instantané rapide.
Tout disparaît.
On a vu la mer phosphorescente des tranchées et des trous noirs.
… / …

Longues heures d’attente,
On grelotte sous les obus.
Longues heures de pluie,
Petit froid, petit gris.
Enfin l’aube en chair de poule.
Campagnes dévastées,
Herbes gelées, terres mortes.
Cailloux souffreteux,
Barbelés crucifères.
L’attente s’éternise.
Nous sommes sous la voûte des obus.
… / …»

Inévitablement les nuages lourds et gris d’une météo bien trop maussade, les jours qui rabougrissent, les mauvaises nouvelles qui s’accumulent, qu’elles viennent de la planète, d’outre atlantique, d’Ukraine, de Palestine ou du Liban nous plongent dans l’hiver et son cortège d’idées noires …

Il nous faut cependant et toujours garder espoir, c’est l’enseignement majeur de la Grande Guerre et des conflits qui se sont succédés depuis … C’est aussi à cela que nous invite Desnos
« Du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas, c’est pour guetter l’aurore qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »


Alors, plus que jamais, guettons l’aurore, qu’elle soit boréale ou non, car …

“L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait.” (Bernanos)