Ce billet n’a pas la prétention de se prononcer sur le bien-fondé ou non du « Grand Débat » initié par Emmanuel Macron. S’il apparait pertinent d’échanger, entre citoyens, au-delà des seuls ronds-points ou de la bulle filtrante et pour le moins réductrice des réseaux sociaux, encore faut-il que ce dialogue débouche effectivement sur du concret. L’essentiel réside bien dans les mesures qui suivront ou non cette séquence de dialogue citoyen inédite.
Le mouvement des « gilets jaunes » a révèlé le profond ras le bol d’habitants qui ont le sentiment légitime de vivre dans des territoires déclassés, avec pour seule perspective la certitude de lendemains tristement identiques au moment présent.
Le malaise est général, partagé par beaucoup d’entre nous , et ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, d’autant qu’il a en constitué sans doute même un des principaux terreaux. Des interrogations de fond qui ne sont pas simplement hexagonales, ce qui explique l’intérêt que cette séquence suscite à l’étranger, nous y reviendrons.
Voilà pour le constat, revenons au terrain, comment contribuer localement à cette grande introspection collective ? Je suis de ceux qui pensent que ce mouvement social inédit peut se transformer en véritable opportunité ; encore faut-il que les réponses soient à la hauteur des enjeux.
A Trilport, nous avons d’abord fait « classique » : mise en place d’un cahier de doléances, qui se remplit peu à peu, et après le 15 janvier, d’une urne recueillant les contributions des citoyens aux thématiques proposées par le Président de la République.
Il nous est apparu dommageable de ne pas donner la parole à nos concitoyens pour qu’ils puissent débattre de problématiques qui empoisonnent leur vie au quotidien, et devenir forces de propositions, afin de promouvoir enfin dans notre pays une démarche de type « bottom up ».
L’objectif est de revenir au cœur des questions qu’ont soulevé notamment les gilets jaunes, dont celles portant sur les mobilités dans les territoires ruraux et péri urbains. Cette question des mobilités est l’étincelle qui a déclenché ce mouvement, ce qu’a rappelé le journal Ville, Rail et Transport dans le reportage qu’il a consacré au débat organisé à Trilport.
Il nous est apparu légitime de proposer aux collectifs d’usagers de la ligne P, très actifs au quotidien, de prendre en charge l’animation et la restitution de la réunion, avec notamment pour axes principaux : l’absence d’alternative à la voiture individuelle, les conditions de transport indignes et inacceptables de la ligne P du Transilien.
Nous avons eu la surprise d’accueuillir pour l’occasion une équipe de la télévision publique belge flamande (NWSvrt) venu réaliser un reportage sur le Grand débat.
Avant d’aborder les différentes solutions évoquées, je veux souligner l’activité inlassable des collectifs d’usagers qui au quotidien animent les réseaux sociaux permettant ainsi aux voyageurs d’être informés en temps réel, du moindre aléa d’une ligne qui malheureusement n’en manquent pas, et le font bien mieux que les services de la SNCF, un comble !
Cette question des mobilités apparait emblématique, tant elle aborde de plein fouet, notamment en Ile de France, les contradictions éventuelles de l’action gouvernementale entre la priorité réelle ou non, donnée aux « mobilités du quotidien » vis à vis de projets tel le CDG Express.
Les prochaines semaines seront effectivement cruciales …
Revenons plus précisement sur la réunion qui aura permis aux usagers de faire des propositions concrètes du moins pour ce qui concerne la ligne P du transilien.
La capacité de se déplacer constitue un marqueur social et territorial, de plus en plus présent, y compris en Ile de France. A priori pour un citadin aucune difficulté, alors que pour tant d’autres, elle s’apparente à un véritable parcours du combattant, dont la voiture constitue dans de nombreux territoires le vecteur principal, aucune alternative concrète n’existant aujourd’hui.
Question sociale et fractures territoriales se doivent d’être au cœur des politiques publiques environnementales, l’oublier tient à faire de l’écologie un élément discriminant de plus, un marqueur de classe sociale ou de résidence. C’est intolérable.
D’autant que les conditions de transport actuelles sont inacceptables. La ligne P est la parfaite illustration de l’urgence de faire des mobilités du quotidien la priorité absolue de l’action de l’état et des régions, avant le lancement de tout autre projet d’infrastructure (cf CDG Express).
Les usagers de cette ligne sont transportés dans les pires conditions, victimes quotidiennes des aléas et perturbations continues d’un réseau exsangue et d’un parc roulant littéralement à l’agonie. Dire que certaines infrastructures datent de l’après-guerre et des motrices de plus de 50 ans sont encore en activité !
Les voyageurs sont de plus en plus désespérés, d’autant qu’aucune perspective ne leur est réellement proposé à court, moyen et long terme. Certains se déclarent condamnés à perpétuité à la galère quotidienne.
Les dysfonctionnements successifs et fréquents de cette ligne ont pris une telle ampleur que le lieu de résidence devient véritablement discriminant lors de la recherche d’emploi. Soulignons que certains usagers ont perdu leur travail du fait des retards et pannes récurrentes (notamment sur l’axe de la Ferté Milon).
D’autant que nos territoires sont en plein boom économique et démographique, dans une société de plus en plus mobile dont les habitants utilisent et utiliseront de plus en plus les transports en commun, notamment ferrés.
Actions d’envergure proposées
La priorité absolue est bien celle de rénover des réseaux et de renouveller le parc roulant de la ligne P afin d’assurer un service de qualité minimum, enfin fiable, d’accroitre la fréquence et la capacité des liaisons notamment lors des heures de pointe. « Mettre en demeure l’état » ont indiqué certains usagers en évoquant les risques éventuels (« un nouveau Bretigny sur Orge).
Dans ce cadre l’électrification de la ligne de la Ferté Milon devient également un impératif, notamment pour résorber le flux croissant des gares de Meaux et Trilport. Ce qui permettrait également de simplifier la maintenance du parc roulant d’une ligne qui compte plus de 6 matériels différents.
La modernisation des infrastructures de la Gare de l’Est devient également une priorité trop peu souvent évoquée. Cette gare fait partie des fameux noeuds ferroviaires évoqué par « le rapport Duron ».
Elle abrite actuellement le Transilien, les TER et les TGV, excusez du peu, avec des infrastructures vieillissantes qui méritent d’être modernisés (des ruptures technologiques sont à prendre en compte), sans oublier que cette gare sert également d’exécutoire au traffic de la Gare Saint Lazarre lorsque celle ci fait face à un problème sérieux. Une modernisation qui permettrait d’améliorer l’efficience d’un réseau dans une situation critique, d’augmenter les fréquences et d’aboutir à un meilleur service. Autant dire qu’elle n’est pas dimensionnée pour recevoir le CDG Express.
Mettre en place, une véritable Multi modalité
L’intermodalité n’est pas encore mis en oeuvre concrètement et réellement sur tous les territoires, tant au niveau de la desserte et des circuits de bus. Les périmètres administratifs des intercommunalités ne correspondent pas forcémment aux bassins de vie et encore moins aux bassins de mobilités. Aucune ou trop peu d’interconnections entre les différentes infrastructures ferrés qu’elles dépendent de la SNCF ou de la RATP.
Si l’annonce par Valérie Pécresse de la gratuité pour les porteurs de Pass Naviro des parkings a été salué par beaucoup d’usagers (mais pas tous), le degré de saturation des parkings actuels a été évoqué.
Il y a un vrai sujet bus de substitution ! Les bus qui remplaçent les trains lorsque des travaux sont en cours ou que le réseau est en panne, ce qui arrive fréquemment. Leur circuit est actuellement « organisé » dans des conditions inacceptables et indignes des usagers transportés. A croire que cela devient une marque de fabrique !
Manifestement les cahiers des charges des appels d’offres visent à mettre en place un service bas de gamme, inapproprié aux conditions de fatigue d’usagers qui après une journée de travail et appris que pour divers motifs leurs trains a été annulé, doivent subir quelquefois dans les pires conditions, un retour pour le moins chaotique. Un audit et une démarche qualité sont attendus dans ce cadre.
Les problématiques des territoires « interfaces », coincés entre deux régions et partageant la même ligne, induisent diverses problématiques financières qu’elles concernent l’investissement et le fonctionnement : billetique, conflits d’usage, cohérence … Est il logique que les écrans de visualisation de la ligne P s’arrêtent au seul périmètre de l’Ile de France.
Autres propositions
- Moduler l’offre ferroviaire et l’adapter aux capacités et besoins. Il devient désormais possible de cartographier les flux d’usagers selon les horaires, les gares dans lesquels ils montent ou descendent des trains (Open datas). Il pourrait être pertinent de moduler lors des heures de pointe certaines destinations afin d’adapter au mieux l’offre et de « soulager » certaines liaisons : directs, semi directs, omnibus … Pour la ligne P, sur l’axe de Meaux, beaucoup de wagons à priori sont quasi vides …
- Privilégier les trains longs (9 wagons) lors des heures de pointe, encore faudrait il agir sur la maintenance du parc roulant de cette ligne, dont beaucoup de rames sont dans un état critique. L’annonce par la Région d’un audit mené par un cabinet indépendant a été salué par beaucoup d’usagers.
- Aggraver les pénalités de l’exploitant : les pénalités actuellement versées par l’exploitant SNCF sont symboliques. Il faudrait s’inspirer de l’exemple des conventions passées avec l’ancienne région Picardie permettant d’aboutir à des pénalités réellement dissuasives. L’argent collecté dans ce cadre et réinvestit directement dans la rénovation du réseau ou du parc. Afin que les usagers ne soient pas deux fois pénalisés.
- L’humanisation des gares et des trains ne doit pas être aux yeux des usagers une variable d’ajustement, d’autant qu’elles sont de plus en plus fréquentées et le seront encore plus dans le futur. Ce point ne doit pas êre oublié dans les cahiers des charges des exploitants.