En quelques semaines un virus issu du monde animal apparu au marché de fruits de mer de Huanan (à Wuham) a contaminé et paralysé la planète entière, ou du moins la société des hommes. Comme quoi un signal faible peut se transformer en véritable tsunami s’il n’est pas appréhendé suffisamment en amont et déclencher un véritable chaos, illustration concrète que « l’effet papillon » n’est pas une simple figure rhétorique.
Cette première crise du millénaire témoigne non seulement de l’ampleur des bouleversements en cours, elle révèle nos faiblesses et accélère la métamorphose à l’œuvre, véritable « création destructrice » pour reprendre l’expression d’Edgar Morin. Le nombre de victimes déjà important de cette catastrophe sanitaire, ne cesse d’augmenter, la pandémie semble respecter une règle clé de la « nouvelle économie », celle dite « des trois V » (velocity, volume, variety). Sa fulgurance et son ampleur frappe effectivement et indistinctement toutes les catégories sociales des pays de la planète, qu’ils soient riches ou pauvres.
N’en doutons pas, les conséquences, systémiques et multidimensionnelles (économiques, sociales, environnementales, financières, géo politiques) de cette crise inédite vont bouleverser durablement nos sociétés, à bien des égards le monde d’après ne sera plus celui d’avant (truisme).
Si l’économie européenne n’est pour l’heure pas détruite, mais « sous cloche », elle le doit principalement :
– aux amortisseurs mis en place auprès des salariés (recours au chômage partiel) et des entreprises (aides financières),
– à l’action énergique des banques centrales,
– à la coordination des politiques publiques européennes.
Un traitement « macro social » qui a permis à nos pays de limiter l’impact structurel de la pandémie et surtout de mieux se concentrer sur l’urgence sanitaire.
Confinés, nous sommes littéralement, dans l’œil du cyclone, chacun pressent que le réveil sera brutal et qu’en sortir constituera une opération périlleuse et délicate, graduelle et progressive. Plus vite le déconfinement sera mené à terme, moins les conséquences de ce « trou d’air » pèseront sur une économie ayant hiberné de longs mois.
Encore faut il agir avec discernement, initier des mesures d’accompagnement adaptées aux différentes réalités territoriales, et tenir compte également de la temporalité de leur mise en œuvre.
Pour d’autres cultures, l’approche diffère, en Chine par exemple le mot « crise » revêt une double signification, étant composé de deux caractères l’un signifiant « danger », l’autre « opportunité » , tout un symbole …
Comment favoriser une reprise rapide qui n’oublie aucun territoire de la république, même ceux jusque là « invisibles », et au delà, rebondir afin de transformer ce profond traumatisme collectif en opportunité pour l’avenir ? Et quelle place pour nos communes dans les réponses à apporter à ce « grand bouleversement » ?
Il convient de distinguer selon moi, la « reprise économique » , ou comment réamorcer une machine à l’arrêt depuis de longues semaines qui nécessite une action immédiate, de la « relance » qui concerne le moyen et long terme. La contribution des collectivités, notamment des communes, sera essentielle pour chacune de ces phases.
A pied d’œuvre depuis le début de la crise sanitaire nos villes assurent la continuité du service public, initient, animent et accompagnent les réseaux de solidarité qui se sont multipliés dans le pays, contribuent également à une allocation des ressources plus efficace afin de surmonter les multiples pénuries rencontrées. Elles sont d’autant plus incontournables que la commande publique constitue un moteur majeur de l’activité économique du pays.
Notre responsabilité collective, cela peut sembler paradoxal ou provocateur, est de sortir plus fort et résilient de cette séquence dramatique. La pandémie a déclenché un effet domino qui a révélé non seulement une crise systémique profonde, mais a souligné une quête identitaire à laquelle notre société est confrontée et se doit d’apporter sinon des réponses, du moins du sens et des perspectives.
Cet enjeu crucial, existentiel et vital remet en cause le modèle culturel, économique et social qui a façonné notre société depuis des siècles …
Pour réamorcer la machine économique et favoriser la reprise d’activité des différents PME, TPE, commerces de proximité qui irriguent et dynamisent nos territoires, qu’ils soient urbains, péri urbains ou ruraux, il faut agir vite, au plus près du terrain, faire quasiment du « sur mesure ».
S’appuyer dès le départ sur les acteurs locaux contribuera à limiter les dégâts économiques et sociaux collatéraux (faillites, chômages) qui menacent et risquent si l’on y prend garde de se multiplier dès les prochaines semaines. Nos collectivités peuvent agir utilement, encore faut il qu’elles en aient la capacité et pour ce faire adopter des mesures qui favorisent leur action durant cette phase clé du « réarmement » de l’économie du pays.
Pour être efficaces ces mesures ne devront pas être homéopathiques, théoriques ou symboliques, mais concrètes, d’ampleur, et coller au plus prés à la réalité du terrain. Leur efficacité dépendra étroitement de la capacité qu’elles donneront ou non à nos communes de mobiliser leurs budgets et rendre opérationnelles au plus vite les décisions prises, ce qui peut contribuer à sauver des milliers d’emplois.
D’autant que le confinement est intervenu au pire moment pour des collectivités locales, il faurt le souligner, celui du renouvellement des exécutifs et qu’il repousse de fait leur installation et le vote des budgets à juin dans le meilleur des cas. Si l’on tient compte de la « pause » liée aux incertitudes des municipales, certains dossiers sont à l’arrêt depuis plus de six mois !
Renforcer la capacité des communes à agir vite et fort, c’est aussi favoriser la reprise de l’activité économique dans chaque territoire, aussi il convient d’éviter tout saupoudrage et de se concentrer sur les dispositifs qui favorisent une mobilisation effective et rapide des actifs financiers de nos collectivités.
L’ Association des Petites Villes de France, dans une contribution à laquelle j’ai participé propose tout un panel de mesures, dont celles notamment d’un assouplissement temporaire de normes relatives à la commande publique, le relèvement des seuils de marchés publics, le remboursement de la TVA dans l’année (comme pour les entreprises), ce qui représente près de 20% de plus d’investissement réinjecté dès 2020 …
Ces dernières semaines, deux maillons faibles sont apparus, considérés par la grande majorité de nos concitoyens comme totalement incompréhensibles et lourds en menace :
– une division internationale du travail insensée reposant sur une chaîne logistique qui voit nos pays s’approvisionner quasi exclusivement en biens de première nécessité et stratégiques en Chine, devenue véritable « fabrique du monde »,
– notre dépendance numérique totale aux GAFAM américaines, dans l’attente éventuelle des BATX chinoises.
Deux situations qui menacent directement la souveraineté de nos pays et la survie même du modèle social que nous portons. Le diable se cachant parfois dans les détails, qui aurait pu prédire, il y a seulement quelques jours que des masques faciaux constituaient un actif stratégique ?
Nous devons tirer tous les enseignements des faiblesses qui se sont révélées ou se révèleront dans les prochains jours, qu’elles soient logistiques, sanitaires, sociales et économiques … Entreprendre un benchmark sans concession auprès de pays voisins, ayant démontré une capacité de résilience de loin supérieure à la notre. Autant d’enseignements qui doivent inspirer les politiques de relance que le pays devra mettre en place.
J’ai la certitude que suite à cet auto diagnostic introspectif, la dimension locale prendra de plus en plus d’importance dans une économie qui se devra d’être circulaire, connectée, inter opérable, collaborative, résiliente pour être réellement en capacité d’apporter des réponses concrètes, rapides et adaptées aux aléas, qu’ils soient sanitaires, climatiques, industriels …
Nos doutes d’aujourd’hui doivent se substituer aux certitudes d’hier, nous sommes entrés effectivement dans le temps de la « société complexe » (cf Edgar Morin).
Nos collectivités peuvent et doivent devenir des moteurs d’un plan de relance ambitieux, pour peu que celui ci ne soit pas un copier / coller du monde ancien, mais la mise en place d’un nouveau modèle de société : circulaire, décarboné, respectueux de la planète et privilégiant circuits courts, agilité et réactivité, sens du collaboratif et intelligence collective.
Pour que nos communes soient partie prenante de cette démarche et totalement mobilisées autour d’objectifs stratégiques communs et partagés, il est essentiel qu’elles disposent de la feuille de route budgétaire la plus claire possible pour les trois ans à venir, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, c’est aussi le sens de la contribution des Petites Villes de France.
Soyons persuadé que toute incertitude dans une période déjà incertaine, constituera un frein à l’investissement public et un handicap de plus dans la réussite d’une relance qui constitue, pour peu qu’elle se double d’une refondation, un enjeu vital non seulement pour notre pays mais pour l’Europe et l’émergence d’une société plus solidaire, équitable et durable.