Les 25eme assises de l’Association des Petites Villes de France (APVF) qui se sont déroulées début juin, à mi mandat et un an après les présidentielles, ont lancé le cycle des rendez vous des différentes associations nationales d’élus.
Comme à chaque édition, les débats passionnés se sont succédé et les analyses croisées entre expertises des uns et retours d’expériences des autres ont permis de traiter du fond. Les maires en prise directe avec le terrain et le quotidien sont aussi proches, ce que trop de monde oublie, des solutions concrètes. Des échanges argumentés, cash, vifs, et souvent instructifs.
La thématique 2023, « bâtir des ponts », inspiré évidemment de Millau ville d’accueil de ces assises, était en phase avec l’état d’esprit des élus. Bâtir des ponts constituant à leurs yeux une priorité après les crises systémiques des derniers mois : Covid, guerre en Ukraine, transition climatique et énergétique, sans omettre un conflit des retraites qui a provoqué une fracture profonde entre l’exécutif et le pays.
Il n’est pas si anecdotique que pour une simple réunion annuelle d’élus, une ville comme Millau soit, du fait de la venue de quelques ministres, placée littéralement en état de siège afin d’éloigner tout risque de « casserolades ».
La France traverse une crise de défiance démocratique dont il serait dangereux de sous estimer portée et ampleur. Beaucoup de participants ont souligné lors des ateliers et tables rondes l’urgence de réconcilier le pays à la parole politique, considérablement dévaluée et abimée au niveau national après la séquence des retraites, mais également d’ agir pour que les habitants redeviennent des citoyens responsables.
« Bâtir des ponts » est incontournable si l’on veut combattre l’individualisme, les bulles captives des réseaux sociaux, les complotismes divers et variés ou répondre à « l’archipellisation » croissante du pays, souligné avec justesse par Jérôme Fourquet.
La France oscille aujourd’hui entre deux mondes, celui d’avant et celui qui vient, hybride, incertain, imprévisible.
Pour appréhender les mutations profondes que nous rencontrons, mieux vaut effectivement s’adapter et faire résilience que de se réfugier dans un déni sans perspectives si ce n’est celles du déclassement et de la relégation … Encore faut il dissiper ce « clair obscur » mortifère et inquiétant qui s’installe peu à peu dans le paysage politique national.
La démission du Maire de Saint Mexin, durement ressentie par les élus locaux, a provoqué un véritable électrochoc. Les Maires, à proximité directe de leurs concitoyens étant devenus comme l’a souligné François Bayrou « les paratonnerres d’une société déstabilisée, désaxée, de plus en plus intolérante. Lorsque la foudre tombe, c’est d’abord eux qu’elle frappe» .
Le prochain billet abordera des axes de réflexion qui ont remonté lors de ces assises : les transition écologique et climatique, la désertification médicale, le droit au logement ou aux mobilités, priorités majeures désormais.
Mais il semble essentiel de revenir sur le « vivre ensemble », priorité absolue des Maires et enjeu absolument vital si l’on désire éviter toute dislocation du pays du fait de la montée des intolérances, des égoïsmes et d’un repli sur soi contagieux.
Les Maires, plus globalement les élus locaux, apparaissent aujourd’hui comme les seuls acteurs publics qui soient encore en capacité de « rallumer les étoiles », afin de « faire société » pour partager du commun et construire un projet d’avenir.
Il y a effectivement urgence …
Christophe Bechu, ministre et ancien maire d’Angers a, lors de son intervention aux assises, attribué le nombre record de démissions d’élus locaux à mi mandat au Covid, du fait :
- Du confinement qui, dès le lendemain des élections, a stoppé la dynamique des nouvelles équipes municipales « empêchant durant près de 18 mois la mayonnaise de prendre », le couple Maire / Préfet remplaçant l’action collective ;
- Aux interrogations et doutes d’élus confrontés à la montée subite des individualismes et aux demandes d’habitants plus intolérants, agressifs et moins responsables ;
- Au retard pris dans la concrétisation des projets des élus, entrainant une frustration légitime ;
D’autres critères sont cependant à prendre en compte tel l’incapacité croissante des collectivités et élus à agir, faute de moyens.
Devenir élu local exige un engagement personnel lourd en sacrifices qui déborde largement sur la vie privée et professionnelle, mais n’oublions pas qu’à l’origine de cet engagement repose la volonté d’améliorer la vie quotidienne des habitants, de défendre sa commune et son territoire afin que présent et futur, au delà des contraintes du temps, soient plus supportables qu’hier.
Ne pas pouvoir peser sur le cours des choses est d’autant plus frustrant pour un Maire de Petite Ville qu’il est en prise directe avec les besoins et surtout les urgences du terrain qu’il aborde à 360 degrés. La moindre recherche de subventions auprès de l’État, ne serait ce que pour construire une école, constitue trop souvent un parcours du combattant qui exige le montage de dossiers complexes afin d’obtenir des aides trop aléatoires.
Le paradoxe est que nos concitoyens n’ont jamais eu autant besoin de réponses concrètes à leurs problèmes quotidiens. Pour eux, le maire constitue « le premier recours et souvent le dernier espoir » comme l’a souligné André Laignel.
La dégradation continue de services de proximité aussi essentiels que l’accès aux soins, l’obtention d’un logement décent ou de mobilités efficientes sont autant de signaux négatifs désespérants qui donne l’impression que plus rien ne va. et alimente les extrêmes.
Autre problématique majeure, la citoyenneté. Les Maires des petites villes ont alerté sur les effets délétères de la disparition de la taxe d’habitation, que ce soit en matière d’autonomie fiscale ou bien de citoyenneté.
Dans une ville les habitants sont divisés désormais en deux catégories : les contribuables, de plus en plus ponctionnés, et les autres. Ils sont pourtant usagers des mêmes services et équipements déployés par la collectivité … Situation qui menace la cohésion de nos villes.
Pour l’APVF payer l’impôt est constitutif de citoyenneté et de responsabilité vis à vis de la dépense publique. Les maires des Petites Villes dénonce la démagogie autour de la diabolisation de l’impôt ! L’action publique, les infrastructures et équipements publics mis en place par les collectivités sont indispensables pour les dynamiques et solidarités de nos territoires qui nécessitent d’être financés correctement.
C’est pourquoi l’APVF propose la création d’une contribution universelle minimale pour tous les habitants d’une commune afin de renouer le lien fiscal entre collectivité et citoyens.
Un désenchantement républicain et démocratique abordé en profondeur lors de la table ronde de clôture : « face à la crise démocratique, retisser le lien civique » qui réunissait notamment François BAYROU, David DJAÏZ rapporteur général du Conseil National de la Refondation (« le nouveau modèle français », « slow démocratie »), André LAIGNEL, Jo SPIEGEL et la « philosophe de l’hybridation » Gabrielle Halpern (« Tous centaures »).
Tous partagent le même constat, l’enjeu est de passer d’une démocratie de consommation et d’opinion à une démocratie de construction. Les français de plus en plus consommateurs sont réciproquement de moins en moins citoyens.
Contrairement à la conception simpliste d’un espace public sans aspérité ou contrainte, nous entrons dans l’ère de la société complexe. Pour Gabrielle Halpern tout n’est pas irréconciliable, encore faut il intégrer dans les réponses apportées à nos concitoyens l’hybridation des publics et des usages, à partir d’actions concrètes non anecdotiques.
Elle considère qu’à l’échelle d’un territoire, chaque acteur constitue de fait un eco système et non une juxtaposition d’intérêts ou de statuts. Ces mariages improbables permettent de retisser les liens en hybridant les intérêts particuliers à l’intérêt général . Démarche qui nécessite d’identifier les contraintes des uns et des autres, rechercher des pistes de confluences afin de construire les ponts nécessaires pour décloisonner la société.
« L’hybridation, c’est le mariage improbable, c’est le fait de mettre ensemble des choses, des métiers, des compétences, des générations, des activités, des secteurs, des matériaux, des imaginaires qui sont radicalement différents ou qui semblent a priori n’avoir rien à voir ensemble, et qui, réunis, permettent de créer quelque chose de nouveau: un tiers-lieu, un tiers-secteur, un tiers-modèle, un tiers-métier… De nouveaux mondes, en somme » Gabrielle Halpern
Constat prolongé par les participants, au delà de la complexité de l’espace public, c’est également la notion de « temps long » qu’il convient de réhabiliter afin d’en finir avec la mode de l’éphémère et du zapping.
Travailler sur le temps long permet d’apporter des réponses concrètes « durables » à la fragmentation d’une société ébloui par les mirages de l’instantané et de l’éphémère mais aussi au désir d’enracinement de citoyens ballotés et déstabilisés par le rythme effréné des accélérations permanentes d’une société qui donne l’impression que « notre vie et plus collectivement notre destin nous échappent ».
David Djaiz souligne le clivage entre « gens de n’importe où » (anywhere), favorisés et par la mondialisation, et « gens de quelque part » (somewhere) paumés et largués, analyse proche de celle développée par Christophe Giuly divisant le pays entre France périphérique et France des métropoles. Ces réflexions illustrent la pertinence de l’analyse sur « l’accélération sociale envisagée comme aliénation » développée il y a plus de dix ans par le philosophe allemand Harmut Rosa,
David Djaiz et Jo Spiegel sont revenus sur la nécessité de construire une « slow démocratie » afin de ralentir ce rythme infernal, de renouer avec l’expérience civique et combattre ainsi « l’ode individualiste » qui constitue selon eux une des sources de l’apathie démocratique d’aujourd’hui. Ce constat a rencontré l’adhésion de beaucoup d’élus persuadés qu’il faut ré investir le local afin de pouvoir concrètement influer sur la marche des choses. Encore doit on revisiter les relations entre base et le sommet de la pyramide déconnecté et déphasé.
Le chemin pour atteindre ces objectifs passe par l’action locale. C’est en agissant concrètement sur le terrain qu’il est possible de transformer la vie au quotidien et de passer d’une démarche descendante « top down » à une démarche enfin ascendante « bottom Up « .
David Djaïz, évoquant les travaux du philosophe américain John Dewey estime que « les affaires de la vie quotidienne n’ont pas à être décidées d’en haut, dans des tableurs excel ; elles n’ont pas à être décidées depuis Paris. Les choses peuvent être très largement inventées sur le terrain ». Aucun scoop sur le sujet pour les Maires des Petites Villes dont c’est le combat quotidien.
Pour ce haut fonctionnaire, le rôle de l’État n’est plus de dire ce qu’il faut faire, mais d’accompagner ce qui se fait sur le terrain, propos validés par François Bayrou et André Laignel, Maire d’Issoudun et vice-président de l’Association des Maires de France etant le Covid a été riche en enseignements.
« Nous aurons à réapprendre à voir, à concevoir, à penser, à agir. Nous ne connaissons pas le chemin, mais nous savons que le chemin se fait dans la marche. » Edgar Morin