La tragédie du Collège de Camus est insupportable à plus d’un titre, elle me touche également pour des raisons plus personnelles : j’ai fréquenté ce Collège de la 6eme à la 3eme, dans deux ans mon fils entrera en sixième, beaucoup de mes proches ou connaissances sont profs d’EPS, ou chefs d’établissement, certains même dans ce Collège, enfin je travaille dans le Lycée Professionnel voisin, classé également en ZEP.
En cette période de Noël, je pense à ces familles dont la vie est brisée … Celle du petit Carl, en premier lieu, de ces deux camarades de classe également, 11 ans, mis en examen, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », et du professeur d’EPS, qui ne se remettra jamais de ce drame.
Soyons clair l’objet de cette note n’est pas d’ouvrir une polémique politicienne ou syndicale de plus, elle serait indécente, comme il serait irresponsable également de ne pas donner à cet événement l’importance qu’il mérite.
S’abriter derrière la cause du « stress émotionnel ayant entraîné un arrêt cardiaque subi », et arrêter là l’analyse serait une grave erreur car la violence est dans l’école, depuis des années et ce de la primaire à la terminale …
Une situation qui ne peut plus durer …
Une bagarre comme tant d’autres
A Camus tout est partie d’une bagarre banale, comme tant de profs d’EPS en rencontrent, l’occasion de rappeler que ces enseignants assurent souvent seuls non seulement leur cours, mais aussi le convoyage des élèves (fréquemment hors établissement scolaire), le rangement du matériel (poteaux, ballons, maillots …) et que leur surveillance ne peut être totale. Un incident de plus depuis la rentrée, les enseignants de ce Collège s’en étaient inquiétés officiellement auprès de leur hiérarchie demandant « des moyens supplémentaires ».
Enclavé entre Beauval et la Pierre-Collinet, deux quartiers classés en zone urbaine Sensible (ZUS), le collège Albert Camus de Meaux est un des 249 établissements classés « Ambition réussite ». Il fait donc partie des « mieux dotés » de l’éducation prioritaire » selon l’administration.
Rien de plus normal quand on connaît cet établissement et les problèmes de violence qu’il traverse depuis des années. « Ambition réussite » avait vous dit ? Rappelons que ce dispositif avait été décidé dans l’urgence en décembre 2005, il y a tout juste un an, après la crise des banlieues, juste avant la fin de l’état d’urgence, afin de doter les établissements les plus difficiles de moyens supplémentaires et de renforcer la présence d’adultes ; la suppression des emplois jeunes ayant eu des conséquences négatives dans beaucoup d’établissements du Primaire au Secondaire, nous y reviendrons …
Peut on traiter la violence sans évoquer la question des moyens
Je ne me permettrais pas de commenter les propos de Monsieur de Saint Girons, Recteur de l’Académie de Créteil, assurant que ce Collège disposait des moyens suffisants pour « permettre un fonctionnement normal, où la violence n’a pas sa place », n’ayant pas ses compétences pour analyser et décider des seuils pertinents en ce domaine.
Partant d’un vécu quotidien, je me contenterais de conseiller respectueusement à ce haut fonctionnaire, à beaucoup de ses proches collaborateurs, à certains politiques nationaux de venir partager le quotidien des enseignants en postes dans ce type d’établissements. Ce qui permettrait peut être d’amender certains constat, analyse et grille de lecture : tant sur la pertinence des seuils d’adultes formés et compétents permettant à l’école de remplir sa mission mais également sur l’évolution nécessaire de la profession d’enseignant et l’obligation d’élargir la focale d’action, l’école n’étant que la chambre d’écho des graves fractures et du mal être réel de notre société.
Gilles de Robien, peut bien prôner la « tolérance zéro qui doit s’appliquer contre toutes les formes de violence, y compris verbale » encore faut il sortir de la communication et de l’incantation et entrer dans le monde du concret ; quelquefois à des années lumières de la rue du Bac.
Concernant la présence d’adultes dans les écoles, évidemment qu’il en faut plus ! Encore que le facteur qualitatif ne soit pas à négliger. Le gouvernement actuel l’a admis après quelques tergiversations. Reconnaissons cependant que le dispositif des assistants pédagogiques résiste mal à la comparaison avec le précédent, celui des emplois jeunes. L’institution a beaucoup mal à trouver des candidats ayant le bon profil acceptant les conditions proposées (20 heures de travail pour ½ SMIC), puis à les garder ensuite …
Mais tout ne se résume pas simplement à cette question de nombre d’adultes ; car les racines de la violence sont profondes et les problématiques soulevées complexes
Peut on traiter la violence sans évoquer une nouvelle distribution des rôles ?
Les élèves qui arrivent aujourd’hui en Collège, ou au Lycée, sont pour beaucoup, et ce depuis la Primaire, sans repères, totalement déconnectés de notre société, de ses valeurs, de ses règles … Faillite des familles mais également de la collectivité et de l’Etat.
Constat partagé désormais par nombre de politiques, toutes tendances confondues. Rappelons qu’il y a moins d’un an, nous avons vécu un état d’urgence, suite aux émeutes urbaines qui ont embrasé le pays. Si rien depuis n’a changé dans le paysage institutionnel ces évènements ont considérablement marqué les esprits et les inconscients de tous, notamment des jeunes.!
L’Ecole, désormais, avant d’aborder la difficile question des savoirs ou des savoir faire, doit gérer en priorité les savoir être des élèves et c’est là que le bât blesse, les enseignants n’étant pas formés pour cela ! Paradoxalement, la diminution du nombre d’élèves, élément démographique justifiant pour certains une diminution de moyens, s’est accompagnée d’une multiplication des problèmes individuels et de leur gravité.
De la gestion d’un groupe classes, nous glissons de plus en plus à un « coaching individualisé » (terme très à la mode dans certains milieux politiques car très managérial). Une évolution non reconnue officiellement par l’Institution, car demandant de revenir nécessairement sur la question des moyens, des compétences, de la formation continue des personnels, comme sur celle des contenus mais qui fait peur également à la majorité des enseignants.
L’Ecole n’est plus le sanctuaire passé mais devient un lieu de confrontation, révélateur des tensions multiples qui parcourent notre société (consommation : fringues, portables, lecteur MP3 ou vidéo …, communautarismes …) et ce dés l’école Primaire où les incivilités augmentent.
Pour la petite histoire, dans ma commune, nous avons instauré il y a deux ans un système de permis à points afin de sensibiliser enfants, parents et agents territoriaux à la montée des incivilités, lors des temps de cantine. Un électrochoc salutaire mais qui n’aurait certainement pas suffit si nous n’avions lancé en parallèle un Contrat Educatif Local qui nous a permis d’intégrer dans nos effectifs sur les temps de repas des animateurs expérimentés. Une arrivée qui a permis de réellement changer la donne et de faire baisser les incivilités. Nous avons donc affecté de nouveaux moyens, en axant la priorité de notre action sur la qualification à l’animation.
L’Ecole ne peut plus tout. Il faut admettre que certains élèves, ne sont plus du ressort des structures traditionnelles. Plutôt que voir certains élèves « difficiles » tourner entre différents collèges ou Lycées qui se les font passer à tour de rôle, confortant ainsi les ferments de l’échec et du rejet de l’institution, il faut mettre en place des structures adaptées et variées permettant de proposer une piste de sortie positive.
Si le déterminisme social est une réalité, il ne doit pas être une fatalité ! Mieux vaut avant de « victimiser » ses élèves et d’assister impuissant à leur inexorable descente aux enfers, agir avec efficacité et sans tabou afin de les faire sortir de cette spirale de l’échec et permettre à certains d’éviter la prison, qui est une autre forme d’école. Il y a urgence …
Concernant le choix des structures adaptées, avant de réinventer l’eau chaude, n’oublions pas qu’il en existe déjà, dépendant notamment de l’Education Spécialisée et du Ministère de la Justice. Il faut surtout leur donner les moyens (budgétaires notamment) d’être plus efficace et réactif, afin de mettre en place un panel de solutions, permettant pour certaines de sortir de manière cœrcitive, si nécessaire, le jeune de son milieu (mesure judiciaire alternative …) grâce à des structures ou opérateurs complémentaires. De nombreuses pistes, selon la nature et la gravité des cas rencontrés peuvent être explorées; concernant la voie militaire, je ne saurais trop conseiller de faire déjà un Bilan des expériences en cours, celle notamment des « Centre Défense Seconde Chance » tel celui de Montry, dont nous reparlerons un jour.
Le maintien de la situation actuelle n’est plus acceptable. Il met à bas, l’exemplarité de la peine, son application immédiate, son suivi et suscite la récidive. Les outils actuels sont sans commune mesure avec les besoins croissants du terrain.
La violence à l’Ecole , n’est pas une fatalité, mais une conséquence, dont les causes sont plus à chercher dans le monde des adultes que dans celui des enfants auteurs des coups. L’ampleur médiatique suscité par ce drame démontre l’importance de la question soulevée qui ne concerne pas qu’un Collège de banlieue et la place accordé à l’Ecole ou à la justice dans nos priorités et notre budget mais nous interpelle plus globalement.
La question n’est plus seulement : quelle école voulons nous pour notre pays ? Mais quel modèle de société voulons nous promouvoir, le modèle américain que certains veulent nous proposer est porteur de violence, nous ne devons pas l’oublier dans les mois à venir …
Notes précédentes sur ces thématiques
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