J’étais aux cotés de mon ami Claude Jamet au Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau, avec d’autres, beaucoup d’autres, tant d’autres : anciens salariés, habitants de Bagneaux sur Loing (la ville dont il est Maire), élus … Nous nous sommes retrouvés prés de 400. Une affluence record pour ce Tribunal, autant dire que la salle d’audience était bien trop petite pour accueillir tous les soutiens présents.
Claude est jugé pour « entrave à la liberté des enchères ou soumission par violence ou menace », en fait la justice lui reproche d’avoir perturbé la liquidation de la société Prevent Glass, le 20 novembre 2012. Il s’était alors enchainé symboliquement et risque en théorie pour ce geste, une peine de six mois de prison, 22.500 euros d’amende et la perte de ses droits civiques.
Si lors de l’audience le Procureur a cependant adoucit le trait, demandant pour cette action symbolique, une condamnation symbolique, la partie civile, n’a pas eu cette élégance; le liquidateur réclame 100 000 € de « préjudice matériel » prétendant que Claude lui a fait perdre avec son geste … 5 millions d’euros, sic. De « Maire courage », Claude est devenu du coup « l’homme qui valait 5 millions ».
L’affaire a été mise en délibéré au 11 avril.
Claude fait honneur à son mandat. Un élu ne doit pas être hors sol, pratiquer l’entre soi, ne vivre qu’au travers, par et grâce aux médias, mais au contraire, vibrer et respirer au rythme et à l’unisson du territoire dans lequel il vit et qu’il représente… Agir afin de faire bouger les lignes, de créer des perspectives, agir simplement pour changer la vie de sa ville au quotidien.
S’il se doit d’être à la fois un homme ou une femme d’écoute, de dossier, l’action importe plus que tout.
Le geste de Claude Jamet n’est pas celui d’un Don Quichotte se battant inutilement contre les ailes d’un moulin et le vent, mais celui d’un semeur d’espoir qui ne s’avoue pas vaincu et poursuit sa route bravant l’adversité et les obstacles. C’est ainsi que l’on réconcilie les habitants avec les élus et qu’on leur donne l’occasion, bien trop rare par les temps qui courent, d’avoir de nouveau foi en la politique.
Encore faut il agir avec ses tripes, son cœur et toute son énergie, être connecté à la vie réelle, loin des sunlights médiatiques et des petits calculs des bureaux des états majors parisiens, qui sont loin de tout et surtout des autres.
Claude par son attitude exemplaire, tout au long d’un conflit social qu’il ressentait au plus profond (le Maire de Bagneaux-sur-Loing a travaillé 43 ans comme verrier sur ce même site, depuis l’âge de 14 ans), a réussit à canaliser la révolte et la colère légitime de travailleurs vivant dans des territoires ou l’emploi se meurt, ou le lien social s’éteint peu à peu, ou les perspectives d’avenir s’effacent au rythme des mauvaises nouvelles et des fermetures d’usines.Des lieux à des années lumière des feux de la rampe médiatique, donc loin du cœur des décideurs.
S’il s’est enchainé à la porte du poste de garde, il n’a empêché nullement l’accès à l’usine, démontrant que l’on pouvait, à la fois protester et s’indigner contre une décision contestable et respecter les lois et la justice de la république, contrairement à ce que semble indiquer le Procureur et les parties civiles.
C’est aussi grâce à son action, qu’aucune violence, qu’aucun acte désespéré ou dérapage ne sont à déplorer, cela n’a pas assez été dit ou écrit.
Paradoxalement l’avocat des parties civiles a très bien décrit lors de sa plaidoirie les tensions qui existent dans nos territoires, de plus en plus présentes et pesantes entre lois, décisions de justice, mesures de liquidations, licenciements et pays réel …
Cette France périphérique (qui n’est désormais plus invisible) dans laquelle les extrêmes se développent, surfant sur le sentiment d’abandon ressenti par les habitants de « territoires de relégation et de déclassement » voit proliférer les détresses collectives et individuelles et s’élargir une fracture territoriale de plus en plus palpable, ce qui d’autant vrai dans les terres de Brie, à la fois si loin et si proches des portes de la métropole, de ce Grand Paris si puissant.
Certes un élu est un passeur et doit faire respecter le droit et la loi, y compris lorsque celui ci est difficilement applicable faute de moyens financiers ou humains, mais il est aussi un médiateur qui se doit de préserver plus que tout la cohésion sociale.
Je considère, notamment après cette audience, que Claude Jamet n’a pas outrepassé les limites de son mandat, mais lui a fait honneur; démontrant qu’il avait su gardé et préservé toute sa capacité d’indignation en menant une révolte légitime et plus que tout pacifique. Ce faisant il a fait corps avec ses concitoyens et défendu un territoire si durement touché.
N’oublions jamais que la détresse sociale est trop souvent d’une violence infinie, même lorsqu’elle est peu visible, et brise littéralement des femmes et des hommes, aussi solides soient ils ou soient elles …
Un élu local authentique n’est pas désincarné, mais solidaire, il est fait de chair, de sang, d’émotions et de passion. Sa mission est également de se faire l’écho de la détresse, de la misère, du sentiment d’abandon du territoire qu’il représente, c’est aussi sa fonction.
Cette révolte qui l’anime est un véritable moteur qui alimente le débat collectif mais elle constitue également un modérateur pour des concitoyens qui ne se sentent plus abandonnés mais représentés et défendus.
Ce que la petite histoire de Bagneaux sur Loing retiendra c’est que grâce à l’action entreprise, à l’énergie déployée par Claude, l’ancien site industriel Prévent Glass hier complètement vide, commence à revivre aujourd’hui ; l’usine ayant été racheté par la ville a vu peu à peu revenir des entreprises et des emplois et a rebaptisé ce site Pyrex.
Il est invraisemblable pour lui, pour notre combat commun et quotidien au service de nos concitoyens mais aussi d’une cohésion sociale de plus en plus ébranlée et fragile, ciment essentiel s’il en est pour « faire société », comme il est dommageable également pour la justice qui ne s’honore pas en cette occasion, que Claude Jamet se soit retrouvé à la barre des accusés.
Est il admissible que des élus qui pour s’enrichir bafouent en toute impunité les lois depuis des années ne soient pas inquiétés, alors qu’un élu qui ne fait que ce qu’il estime être son devoir, en osant protester symboliquement, vive durant 38 mois à titre personnel un véritable enfer ?
Ce n’est qu’une illustration de plus des paradoxes d’une société, pour le moins, schizophrène, dans une période troublée ou l’on exige tant des élus, tout en leur ôtant tout moyens d’actions …
Aussi, ce n’est pas une peine minimum, tout juste symbolique que mérite Claude, mais la relaxe pure et simple, ce ne sera que justice…
Claude Jamet, Maire de Bagneaux sur Loing, au Tribunal de Grande Instance de Fontainebleau
La société Prévent Glass, fabriquant de lunettes et vitres autos (pour Volkswagen) se retrouve en liquidation judiciaire courant mai 2012, 219 salariés perdent leur emploi. Cette décision marque la fin d’une tradition séculaire ancrée dans cette terre de Brie. Depuis 1751 date de la création de sa verrerie royale, l’histoire de Bagneaux s’est confondue avec celle du verre. C’est dans cette ville qu’a été soufflé la première bouteille de verre et où l’on a produit de longues années le pyrex. Ce site dans les années 1970 comptait 4 500 employés, il n’en restait plus en mai 2012 que 219.
Les incidences de cette liquidation sur l’emploi dans un territoire déjà très sinistré amené la Préfète de Seine et Marne à réunir les acteurs économiques et institutionnels afin d’étudier la faisabilité d’un scenario préservant emplois et activité industrielle. Dans ce cadre, il est décidé de diligenter en urgence une étude, financée par le Département et la Région (coût : 90 000 €) et d’envoyer un expert au Salon international des machines et techniques de production du verre de Düsseldorf afin de rencontrer des repreneurs éventuels. Il est convenu qu’ensuite une réunion décisive, sur les bases de l’étude, permettrait de prendre les décisions les plus adaptées.
Le mandataire et le liquidateur qui avait accepté et validé ce planning, décident sans aucune concertation, de provoquer une vente aux enchères avant la tenue de la réunion et de vendre les actifs de l’entreprise (principalement les machines), tuant dans l’œuf toute possibilité de reprise. Lors des l’audience, il a été révélé que le liquidateur connaissait depuis le 12 octobre la date des enchères (fixée au 20 novembre) et n’en avait pas informé les autorités (rappelons que sa commission est indexée au résultat de la vente).
Claude Jamet qui apprend incidemment la date des enchères, à le sentiment d’avoir été trompé. Il réalise et distribue alors un tract aux habitants les invitant à venir manifester pour protester et empêcher que cette mise aux enchères se déroule avant la réunion décisive organisée par la Préfète.
Le jour de la vente, il s’enchaîne devant la porte du poste de garde (et non l’entrée de l’usine). Un geste symbolique et pacifique destiné à démontrer sa désapprobation pour une mise aux enchères se déroulant une semaine avant la tenue d’une réunion décisive pour l’avenir du site. Les salariés bloquant l’accès de l’usine sont écartés par les forces de l’ordre qui libèrent les grilles de l’entrée principale, permettant aux acheteurs de pénétrer dans l’usine.
A la surprise générale le commissaire-priseur décide de reporter la vente prétextant que la sécurité des acheteurs n’est pas assurée, ce que témoins et forces de l’ordre contestent.
La salle d’audience, 150 personnes présentes
à l’extérieur, et ils ont attendu prés de 3 heures dehors !!!