Les tragiques évènements du mois de janvier ont révélé la gravité des fractures qui fissurent notre société ; si le pays est en guerre, il l’est surtout avec lui même, se proclamant égalitaire malgré les ségrégations multiples qu’il génère depuis des décennies.
Deux France s’éloignent ostensiblement l’une de l’autre, fracture territoriale et sociale qui se double d’une crise identitaire douloureuse, car existentielle, auprès de ceux qui se sentent rejetés et exclus de la communauté nationale.
Les images de la fierté et de la joie collective de la France métissée de 98 fêtant la victoire de l’équipe « Black blanc, Beur » qui ont marqué nos jeunesses, sont remplacées depuis dans l’inconscient collectif par celles des émeutes de la France « karchérisée » de 2005. Aujourd’hui les jeunes issus de l’immigration ont toujours autant de difficulté à trouver une place dans la société et à intégrer les valeurs d’une République qui n’est égalitaire qu’en apparence et discriminatoire au quotidien.
Le non respect de la minute de silence qui a tant fait débattre, condamnable, n’est que la conséquence de cette réalité sociale trop longtemps ignorée.
La laïcité, hier encore considérée comme ringarde par beaucoup, a pris une toute autre dimension depuis le 7 janvier ; encore faut il ne pas la réduire à un concept fourre tout, vide de contenu, et entretenir une ambigüité qui ne satisfait plus personne : pour certains elle constitue une forteresse nous « protégeant » de l’Islam, pour d’autres transmettre les valeurs républicaines est totalement inutile ! D’autant que la laïcité qui constitue une quasi «anomalie» en Europe, ce mot n’existant ni en anglais, ni en allemand, suscite à l’étranger beaucoup d’incompréhension.
Comment exiger des enseignants qu’ils soient des « passeurs de valeurs » pour remplir une mission que la société a désertée depuis des lustres, pour laquelle ils n’ont pas été formés et dont les contours changent à chaque nouveau Ministre de l’Education ? Ils sont pour le moins démunis. Dans une salle des profs, si l’on demande à chacun de définir ce que représente concrètement la laïcité, les copies risquent fort d’être toutes différentes !
La laïcité n’est pas un talisman immuable, elle s’adapte au fil du temps et de l’évolution de la société dépassant le cadre des manifestations d’appartenance religieuse, trop réducteur, pour poser la question essentielle de la transmission des valeurs communes à partager, problématique qui concerne l’ensemble d’une société en panne d’intégration.
L’école doit retrouver son rôle de creuset de citoyenneté républicaine autour de la laïcité, véritable «fabrique à faire du commun», en intégrant que la France de 2015 n’est plus celle de 1905 !
Car là est bien la difficulté …
Notre pays abrite les plus importantes communautés islamiste et israélite d’Europe, ce qui pose nécessairement la question des relations entre religions (au pluriel) et Etat.
Contrairement à ce que beaucoup écrivent, cette question s’est posée à tous les cultes, aucun ne se révélant spontanément laïque et tous ayant besoin d’un temps nécessaire d’adaptation plus ou moins long. Il a fallut plus d’un siècle pour la seule religion catholique ! Si la loi n’interdit pas aux cloches des églises de sonner, elle en précise les conditions.
Rappelons que ces dernières sont entretenues par les collectivités, contrairement aux autres lieux de culte, ce qui pose un sérieux problème d’équité républicaine. La France doit s’interroger sur sa relation particulière avec l’Islam, afin d’assumer cette religion avec raison, dignité et surtout respect, arrêtant de la sous traiter à l’étranger, que ce soit à l’Arabie Saoudite, au Quatar ou à d’autres états.
Nous avons besoin d’un Islam de France, pour remplacer celui des caves, des émirats et des obscurantistes en provenance directe des califats. Les imams et aumôniers des prisons doivent être recrutés et formés ici et parler notre langue ! Il n’existe pas au niveau national de communauté musulmane organisée autour d’une autorité religieuse reconnue par tous. Absence préjudiciable qui se traduit par un manque de régulation, de médiation ou de transparence sur les modes de financement. L´Islam n’est présent en France que depuis peu, aussi nous devons intégrer que ce culte, comme les autres avant lui, doit «se formater à la laïcité à la française » et adapter ses pratiques. Encore faut il proposer un cadre concret et non un « entre deux » ambigüe.
Nous devons être vigilants et veiller à protéger la liberté de croire ou non, défendre la liberté d’expression dans toute sa plénitude, réprimer toute acte raciste, anti sémite ou islamophobe et fixer des repères clairs, en définissant une laïcité adaptée à la France de 2015, multiculturelle et multiconfessionnelle, autour de règles de vie partagées et respectées par toutes les communautés. Ne pas agir dans ce sens est faire le lit du communautarisme.
Les attentats du type ceux de janvier dernier, quelque soit leurs motivations, doivent interpeller notre société sur sa capacité à proposer de réelles perspectives aux jeunes générations afin de résoudre la grave crise spirituelle qu’elles traversent.
La question du sens est effectivement essentielle. On ne peut se réduire le projet de toute une vie à l’amélioration de la compétitivité ou de la croissance et à la réduction de déficits.
Les douleurs humaines ne sont pas virtuelles, mais bien concrètes. L’homme a besoin de foi, au sens laïc et philosophique du terme, pour être en capacité de se projeter dans l’avenir, il a aussi besoin de liens sociaux qui lui permettront de se retrouver dans un projet commun et partagé avec d’autres … Ctête aptitude lui a permis de s’élever, puis ensuite d’entamer sa longue marche, pas à pas.
La nature a horreur du vide, y compris spirituel, si rien n’est proposé, le pire peut arriver, d’autant que les jeunes générations sont conditionnées dés le plus jeune âge à la violence la plus extrême, souvent virtuelle, ou l’on oublie que le sang est douleur, que le sang est malheur, que le sang est terreur.
Se poser la question de la laïcité, s’est s’interroger avant tout sur la question du sens à donner à une société qui en manque cruellement et qui peine tant « à faire corps », s’est aussi proposer une vision du monde et une vision de l’humain, conçu et bâti autour de l’émancipation, du respect d’autrui, dans ce qu’il est et dans ce qu’il pense, « délimitation profonde entre temporel et spirituel ».