La réponse de Gutemberg à Google

Un bras d’honneur prémonitoire

Il y a quelques années une affiche faisait les délices des métiers de l’imprimerie et de la presse écrite : « la réponse de Gutenberg à Mac Luhan », elle montrait l’ancêtre des imprimeurs effectuant un bras d’honneur au sociologue canadien Mac Luhan qui avait eu le malheur d’annoncer bien imprudemment la fin de « l’ère Gutenberg » ; force est de constater que 30 ans après les faits ont donné tort au spécialiste canadien.
Bien que l’annonce faite par Google, en octobre 2004, de créer une bibliothèque numérique universelle gratuite ait occasionné beaucoup de réactions passionnées,  elle ne représente pas pour autant, même à titre posthume, la victoire de Mac Luhan, loin s’en faut, le média privilégié étant toujours le support écrit; ceci étant dit la suite des épisodes est encore à écrire.
L’idée développée par Google n’est pourtant pas révolutionnaire, les avantages des supports numériques dans l’archivage électronique sont connus : ils s’affranchissent du vieillissement, de la rareté et de la fragilité du support d’origine (quelquefois de vieux parchemins), sont duplicables à l’infini, accessibles à volonté et possèdent tous les autres avantages liés à l’informatique (indexation, recherche …); il n’y a pas photo !

Un passage obligé cependant, délicat lorsque l’on parle de parchemins ou de vieux ouvrages, le but n’étant pas de les détruire aprés usage (des machines spécifiques ont été élaborées pour réussir cette mission),  la phase de numérisation ;  deux techniques existent :

– le « mode image », qui présente l’avantage d’être rapide et économique mais l’inconvénient de ne pouvoir donner de sens au texte, car il s’agit d’une simple photo de la page scannée,
– le « mode texte », qui possède le double inconvénient d’être plus long et coûteux, il faut d’abord procéder à la numérisation de l’ouvrage, ensuite un logiciel de reconnaissance de caractères (OCR) « traduit » la page scannée et la transforme en fichier texte; ce qui ensuite autorise le traitement de l’information : indexation, recherche, indexation et même traduction … Facile lorsque l’il s’agit de pages déjà imprimées, beaucoup plus délicat lorque l’on scanne des pages calligraphiées ou écrites dans une langue ancienne ou certaines polices de caractères.
Chaque grande nation possède une Bibliothèque nationale où l’on connaît ce style de technique; pourtant jusqu’à présent, excepté quelques expérimentations aucune opération d’envergure de numérisation de fonds documentaire n’avait été menée. Si Gallica, (la bibliothèque numérique de la Bibliothèque de France) compte près de 80 000 ouvrages numérisés, seulement 1 250 le sont en mode texte; or le projet Google Print repose sur une numérisation en mode texte …

on va comprendre tout de suite les raisons de ce choix.

 

La « Porte de Dieu »

L’irruption de Google dans le monde feutré des bibliothécaires a suscité la controverse et des réactions politiques à la chaîne. Réactions compréhensibles  face aux dangers représentés par cette initiative. Il s’agit ni plus, ni moins de la main mise d’une entreprise multinationale privée, américaine de surcroît, sur La bibliothèque universelle. Cette véritable tour de Babel virtuelle agrégeant la somme des connaissances humaines disponible à saciété depuis chaque ordinateur qui était jusque là une utopie poursuivit par des générations de philosophes, de lettrés et de savants.
Rappelons que la tour de Babel (Babel signifiant La porte du Dieu), construite par les descendants de Noé était destinée selon la Bible (genèse 11) à atteindre le ciel afin de permettre aux hommes de s’élever au niveau des Dieux. Devant le danger représenté par cette construction, Dieu créa les langues étrangères … Les hommes ne se comprenant plus ne purent plus travailler ensemble.  Succès sur toute la ligne de la puissance divine qui peut être vérifié à chaque bulletin d’informations !

L’ultime obstacle à la réalisation de ce projet n’est pourtant ni financier, ni technique. Car si la logistique à réunir pour numériser les livres (du haut des rayonnages des différentes bibliothèques c’est plus de 560 années de connaissances qui nous contemplent), notamment les ouvrages anciens, est trés importante ( temps, moyens financiers, techniques) elle n’est pas insurmontable.

A contrario les obstacles principaux sont :

– Juridiques : les droits d’auteur de certains livres n’étant pas encore dans le domaine public, Google a connu des problèmes avec certains  éditeurs américains et européens d’autant que les règles liées au droit d’auteur, à la duplication des oeuvres ou à la consultation (nombre de lignes donnant lieu au paiement d’une redevance ou d’un droit ) différent entre les pays …
– Economiques : du fait du danger de constitution d’un monopole de fait sur la Connaissance Universelle avec plusieurs problèmes derrière : quid des Bibliothèques Nationales, quelle langue privilégiée, la gratuité jusqu’à quand … Des interrogations qui expliquent la contre attaque menée par Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, partisan d’une bibliothèque numérique européenne (BNE), dont l’idée depuis a fait son chemin; il ne reste plus qu’à trouver les financements d’une telle entreprise.
– Culturels : le potentiel technique de Google peut permettre à l’internaute de s’affranchir de l’entité livre et du cheminement de la pensée de l’auteur pour ne retenir que des tranches d’information et d’aboutir in fine à une forme de zapping des mots et des pensées.

 Aujourd’hui, nous n’en sommes qu’à une première phase, (http://print.google.fr) qui permet cependant d’avoir une idée assez précise de ce qui va suivre et de l’avantage concurrentiel possèdé désormais par Google dans la gestion de cet énorme fonds documentaire. Les profits à venir sont colossaux : le modèle économique développé par Google ayant démontré que le « tout gratuit » peut receler des niches à profit énormes et inattendues.
Bien que la réponse d’autres acteurs informatiques et institutionnels tels Microsoft et les bibliothèques nationales ne s’est pas fait attendre, n’oublions pas que …

Pour trouver une aiguille dans une botte de foin à défaut d’avoir une paire de trés bons yeux, disposer d’un bon moteur de recherche est souvent suffisant … à ce jeu Google n’est pas trop mal placé …

 

Notes précédentes sur Google :

Big Google is watching you :
http://jmorer.hautetfort.com/archive/2005/11/12/google-toujours-plus-…-pour-nous-servir1.html

Google, No limit :
http://jmorer.hautetfort.com/archive/2005/11/01/googl…
Google, puissance 80 :
http://jmorer.hautetfort.com/archive/2005/09/21/googl…