Au moment ou l’Europe vit des heures difficiles, l’itinéraire de deux européens qui nous ont quitté cet été démontrent que cette grande idée a surmonté par le passé des périodes bien plus sombres. Elle survivra sans doute à cette séquence délicate, qui paradoxalement lui permettra d’avancer, cette crise risquant de tout emporter est aussi une nouvelle occasion historique pour l’Europe de progresser.Ce qu’elle fait à chaque fois qu’elle est au pied du mur.
Voici une première note consacrée à l’un de ses deux européens …
Où la rencontre improbable entre un petit fils de bergers espagnols anarcho syndicaliste avec un des descendants de Sisi et de Charles Quint …
J’ai rencontré Otto de Habsbourg en septembre 2003, à Engen notre ville jumelée qui organisait une exposition des trésors de l’abbaye hongroise de Pannonhalma (leur autre ville jumelée). Le Prince, très attaché à ce lieu, où repose désormais son cœur (voir après), s’était déplacé pour l’occasion. Ce qu’il faut savoir est que du fait de leur double couronne (Autriche et Hongrie) les héritiers impériaux avaient des précepteurs hongrois issus de ce Monastère, Centre Universitaire reconnu en Europe Centrale.
Un des sujets à l’ordre du jour à ce moment, était la Constitution Européenne, dont Otto de Habsbourg était un des auteurs. Ce traité a connu bien des visicitudes aprés son adoption par les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays membres de l’Union européenne en juin 2004 et son rejet par notre pays lors du référendum de mai 2005.
Nous avons discuté et débattu, lui dans un français exquis, trés Quai d’Orsay, sur les racines « chrétiennes » de l’Europe. Notre pays avait obtenu que la Constitution Européenne, ne fasse pas référence aux « origines chrétiennes de l’Europe ». Concession lourde de sens pour beaucoup de pays voisins, alors que pour un athée comme moi, cela allait de soi. Manifestement Otto de Habdbourg avait accepté cette inflexion, mais avec déchirement. Discussion passionnante venant aprés un prêche oeucuménique ou tant le prêtre que le pasteur avait enfoncé le clou sur ce point. Une mesure semblant mineure aux yeux de beaucoup de mes camarades thuriféraires de ce Traité. Mais l’Europe c’est aussi et surtout la découverte des différences, culturelles, géographiques ou simplement des histoires des uns et des autres et de la perception de la « grande histoire commune », passée ou restant à écrire.
Incontestablement, construire l’Europe, c’est d’abord se découvrir pour mieux se comprendre. C’est ce que souligne un autre grand européen, Joschka Fischer dans un interview récent.
« Les Allemands restent un peu provinciaux et manquent de confiance en eux. Leur nostalgie d’une monnaie forte?? Songez à leurs efforts économiques, psychologiques, financiers après la réunification. Certes, cette réunification, financée par un impôt spécial, a été le ferment de nos réformes et de notre rebond. Mais elle a exigé beaucoup de sacrifices, généré beaucoup d’humiliation. Nous avons été longtemps la lanterne rouge de l’Europe et je me souviens encore du jour – en janvier 2000 – où José María Aznar [ancien Premier ministre espagnol] est venu sermonner Schröder en lui demandant de mieux gérer l’économie allemande. Quand les Allemands disent qu’ils ont assez payé, il faut les comprendre. […]
Mme Lagarde a fait une erreur en déclarant que l’Allemagne devait être plus coopérative. Elle oublie que dans notre histoire l’Etat a failli. Depuis notre retour à la démocratie, l’économie est au cœur de l’Etat et de la société allemande. Elle a une résonance émotionnelle énorme, absorbe toute notre énergie et est devenue le point focal de notre politique. C’est dans ce sens que nous avons parfois du mal à en partager les fruits. En sens inverse, il faut que les Allemands comprennent la psychologie des Français, plus souverainistes, qui vivent avec le souvenir d’un passé glorieux. […] »
C’est ce que déclarait également Otto de Habsbourg : « Pour être un bon Européen, il faut assumer son passé, tout son passé ».
Cet homme était effectivement histoire et actualité.
Caveau dans lequel repose le coeur de Otto de Habsbourg à l’abbaye de Pannonhalma
Une vie unique
Né en 1912, il est devenu chef de la maison de Habsbourg en 1922, après la disparition de son père, Charles Ier qui après la mort de son grand-oncle l’empereur François-Joseph (le François Joseph de Sisi), a été le dernier empereur d’Autriche et dernier roi de Hongrie et de Bohême.
Otto de Habsbourg, adversaire du régime nazi s’était opposé à Hitler lors de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par les armées d’Hitler (par vengeance ce dernier baptisa cette opération du nom de code « Opération Otto »); puis à Staline, dés 1944, sans plus de succès. Il vécut successivement au Portugal, en Espagne, en Belgique, en France et aux Etats-Unis et ne rentra en Autriche qu’en 1966.
Partisan de l’unité européenne, il a été député au Parlement européen de 1979 à 1999 (représentant du Land allemand de Bavière au sein de la formation conservatrice CSU). Au début de l’année 1989, il récupère la nationalité hongroise, comme il vient fréquemment dans ce pays, dont il parle courrament la langue, des partisans lui proposent d’être candidat à la présidence de la République, il refuse.
il a été successivement autrichien, allemand, suisse, croate a étudié en Belgique, en France, aux USA, défenseur acharné de la démocratie à l’est, il a œuvré pour le démantèlement du rideau de fer en 1989, en organisant le pique nique pan européen de Sopron.
Ce grand européen disparu à 98 ans, a eu les funérailles dignes d’un chef d’Etat, tant à Vienne qui pour l’occasion a renoué avec les fastes des siècles passés, puis lors d’une cérémonie plus intime à l’abbaye de Pannonhalma, où repose désormais son cœur.
Construire l’Europe
« Il a toujours su qu’il y a plus de choses qui nous rapprochent, sur le continent européen, que de choses qui nous séparent », a déclaré le président du parlement européen, le polonais Jerzy Buzek. Car il faut nous rapprocher.
Mais laissons la conclusion, à Joschka Fischer, et qui résume en partie la vie de Otto de Habsbourg
« Quiconque s’interroge sur l’avenir de l’Europe devrait passer un week-end à Venise. La ville est magnifique. Mais y dormir une nuit est une expérience déprimante.
Quand la foule des touristes se retire, les fondations décaties de cette grande puissance maritime méditerranéenne sautent aux yeux. Les boutiques sont vides.
C’est ce que vous voulez pour l’Europe?? Allemagne, France, les différences n’existent pas pour le reste du monde qui ne voit que l’Europe.
Cette crise peut être l’occasion de nous faire prendre conscience que nous n’existons que par une Europe à laquelle il faut donner de la substance »
Chronologie
1912, naissance à Vienne
1916, son père devient empereur d’Autriche roi de Hongrie et de Bohème,
1918, exil de la famille impériale
1919 bannissement de la famille impériale qui ne doit plus mettre les pieds en Autriche. Exil à Madère
1922, mort de son père. Otto de Habsbourg devient le prétendant au trône
1938, il s’oppose à Hitler au moment de l’Anschluss
1940, il se réfugie aux USA pour échapper aux allemands
1961 Renonciation à la couronne
1966 autorisé à rentrer en Autriche, 47 ans après son exil (famille)
1978, naturalisé citoyen ouest allemand sous le nom de Otto Habsburg-Lothringen.
1979 Elu député européen (l’Union chrétienne-sociale bavaroise,CSU (conservateur), il y siègera durant 20 ans.
1989, organisation du pique nique pan européen, de Sopron. Il reprend la nationalité hongroise. Refuse de se présenter aux élections de Président de la République
2007, renonce à son rôle de prétendant au trône
2011, décès.