Nous avons accueilli à Trilport il y a quelques jours le jury régional des villes et villages fleuris, visite traditionnelle depuis 1997, année d’obtention de notre Première fleur (suivie d’une seconde en 2000), dans ce concours qui concerne désormais une commune française sur trois, dont 305 pour la seule Ile de France.
Autant l’avouer, j’avais de sérieuses réserves sur l’utilité d’un tel label. Privilégier un fleurissement ostentatoire, grand consommateur en logistique, eau et produits phytosanitaires, réservé à certains «spots» stratégiques de la ville, ne me semblait pas revêtir de caractère prioritaire.
L’évolution sensible des critères de ce prix m’a depuis fait changer d’avis. Le respect de l’environnement et la défense de la bio diversité y sont devenus prépondérants, le jury évaluant fleurissement (répartition dans la ville, adaptation aux contraintes des sites, diversité et qualité des compositions, entretien tout au long de l’année), pratiques environnementales déployées, dimension sociale et citoyenne accompagnant la démarche de la collectivité. En fait, c’est bien de la place du végétal dans la ville dont il est question, et des actions en faveur de l’environnement engagées, jusqu’au projet de développement initié.
Dans ce cadre, soulignons que Trilport bénéficie d’un patrimoine naturel exceptionnel : bords de Marne, forêt domaniale, écrin de cultures entourant le centre urbain et points de vue sur les coteaux environnants uniques dans la région. Dans le même temps la ville a une configuration urbaine affirmée (présence de zones industrielles, d’une gare et de plusieurs infrastructures routières) et se développe, du fait de la loi SRU. Dualité qui nous a mené à initier un projet de territoire dont l’objectif est de construire une ville durable, qui n’oublie pas cependant d’être aimable à ses habitants.
Notre volonté est de préserver l’intégrité des espaces naturels et agricoles, en limitant l’étalement urbain, piste privilégiée : « construire la ville sur la ville » (plus facile à dire qu’à faire !) mais nous travaillons dans dans le même temps à y renforcer la présence végétale. Ce dernier objectif est à la base de notre engagement dans le label des villes fleuries.
Le but n’est pas de décrocher une 3eme fleur à tout prix, mais bien de défendre une conception de l’aménagement urbain représentative des spécificités de ce territoire, en nous appuyant sur la place qu’y occupe déjà le végétal.
Un nouveau modèle de développement urbain est possible, trouvant ses racines dans les spécificités du terroir local et intégrant très en amont les exigences de l’urgence environnementale en apportant des réponses concrètes et utiles pour faciliter l’adaptation de nos villes aux conséquences de la dérégulation climatique.
L’importance écologique des arbres et espaces verts n’est plus à démontrer (développement de la bio diversité, captation du CO2, régulation thermique lors des périodes de canicule notamment), mais « le végétal » constitue encore trop souvent la variable d’ajustement des opérations d’aménagement, alors qu’il demeure un élément architectural et urbain essentiel. Il apporte à une ville, un quartier, caractère, identité et supplément d’âme, cadence le rythme des saisons et du temps qui passe, sa présence est indispensable à l’épanouissement des habitants de toutes générations, y compris des plus jeunes … Une école sans végétal ou horizon naturel est une école sans ligne de fuite, sans perspectives pour les yeux d’enfants …
Une question fait débat aujourd’hui : le « zéro phyto ». Certains de nos concitoyens s’agacent de voir « proliférer » au long des trottoirs ou des routes, les herbes folles, mousses, pousses de pissenlit et autres, qui sont pour eux autant d’illustrations d’une ville mal entretenue. Aussi, ils ne manquent pas d’exprimer leur mécontentement aux élus et agents des espaces verts par des remarques acidulées, sinon acides. Rappelons simplement qu’au 1er janvier 2017 l’utilisation des produits phytosanitaires sera interdit sur les voiries, espaces verts, forêts et promenades ouverts au public.
Durant des décennies, tout paraissait pourtant si simple ! Un geste, l’application d’un produit miracle et plus de mauvaises herbes ! Rappelons simplement que l’efficacité de tels produits dépend surtout de leur toxicité. Si nos jardiniers ont toujours la main verte, ils ont troqué leurs anciens pulvérisateurs pour des binettes, beaucoup moins efficaces en apparence, et se retrouvent dans l’obligation de s’adapter à une nouvelle donne qui représente une charge considérable de travail supplémentaire. Autant le dire les différentes techniques alternatives qu’elles soient mécaniques, thermiques ou chimiques nécessitent une appropriation difficile et des niveaux de rendus qui seront moins bons que les précédents.
Nous vivons un changement d’époque, ce qui vaut également pour le fleurissement. Il est heureux que notre génération ait enfin pris conscience du danger de certaines de ses pratiques quotidiennes, en apparence inoffensives, pour la planète, que l’on ne soupçonnait pas aussi fragile et périssable.
Comment définir dans un tel cadre, sinon une doctrine en matière de fleurissement, du moins des priorités claires intégrant les contraintes environnementales ?
Avant d’aborder plus concrètement dans une prochaine note l’action engagée sur Trilport dans ce domaine et les pistes explorées pour adapter au mieux nos villes aux conséquences de la dérégulation climatique, il me semble urgent de revenir sur la délicate problématique du zéro phyto …
L’arsenal chimique utilisé jusque là, sous diverses appellations (intrants, produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques, pesticides, engrais parfois), pour l’entretien des espaces agricoles, naturels, de l’espace urbain est au centre d’une controverse révélatrice des contradictions d’une société en quête d’un mode de développement plus respectueux de la planète.
Destinés à protéger les cultures des organismes nuisibles ou parasites (de manière curative ou préventive), et à accompagner une agriculture de type intensive, ces produits ont permis jusque là de préserver potentiel de production et rendement, mais à quel prix ! Leur utilisation n’a pas toujours été marquée d’une grande modération, tant dans la diversité des molécules utilisés, leur degré de toxicité croissant, que la quantité épandue, avec des conséquences graves pour l’homme et les écosystèmes, quelquefois même irréversibles. Problématique que l’on ne peut réduire à de simples effets de seuils de toxicité mais qui comprend également les effets cumulatifs.
Transportés par les eaux de ruissellement ou l’infiltration naturelle, les produits phytos, même épandus en faible quantité, se retrouvent dans les nappes souterraines et les rivières dont ils menacent les éco systèmes. Limiter leur usage est un enjeu sanitaire et environnemental majeur, l’eau potable étant une ressource vitale mais fragile et périssable, y compris dans nos terres. Pour illustrer ce propos, évoquons la nappe phréatique de Champigny, 1ere ressource d’eau potable d’Ile-de-France d’origine souterraine. Son niveau depuis une vingtaine d’années ne cesse de baisser (variations pluviométriques, surexploitation … ), ce qui a pour conséquence d’influer sur la concentration des nitrates et pesticides, dont la hausse est continue depuis les années 50, cocktail détonnant d’anciens produits interdits désormais à la consommation et de nouvelles molécules, tout aussi nocives.
Chacun s’accorde à dire qu’il faudra plusieurs décennies avant que cette nappe retrouve son intégrité. Les mesures prises ces dernières années, grâce aux règlementations européennes, sur l’assainissement des eaux usées ont permis d’améliorer la situation, aujourd’hui cette pollution est majoritairement due aux produits phytos employés dans l’agriculture, le jardinage, ou l’entretien des infrastructures, et implique donc tous les utilisateurs de ces produits.
Il importe de ne pas faire preuve de démagogie, tant auprès des particuliers ou des différents lobbies, aucun retour en arrière n’est envisageable, l’engagement récent des collectivités ne constitue ainsi qu’une première étape et s’étend peu à peu aux stades, cimetières. Le cadre législatif est d’ailleurs sur ce point sans ambiguité aucune, Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte interdit au 1er janvier 2017 l’utilisation des produits phytosanitaires par l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics sur les voiries, dans les espaces verts, forêts et promenades ouverts au public.
Notre société doit adapter objectifs et pratiques à ce nouveau contexte, dont il faut faire partager les enjeux à l’ensemble des acteurs.
Ce qui implique de réviser beaucoup d’anciens standards, de représentation collectives autour de la notion de propreté urbaine, de faire évoluer les niveaux de rendu en tenant compte de leur faisabilité. Dans notre culture urbaine occidentale, la ville s’est construit en opposition au milieu naturel, et la flore spontanée (« les mauvaise herbes ») a toujours été ressentie comme indésirable, car non maitrisé et non maitrisable. Il est enfin temps de prendre en compte de nouvelles priorités peut être moins esthétiques (quoique ?) mais plus vitales, notamment la protection de la ressource en eau, la diffusion de la bio diversité et la prise en compte d’exigences sanitaires minimum.
Cet examen de conscience concerne également les agriculteurs, notamment ceux pratiquant une culture de type intensif, en les incitant à faire du bio et à limiter les conséquences pour les sous sols de certaines pratiques polluantes et très consommatrices en eau (attention au réchauffement), sans oublier les particuliers et les gestionnaires d’infrastructures routières ou ferrées; il serait bon d’imposer par exemple à la SNCF lorsqu’elle entreprend des opérations majeures de rénovation de voie, de ne pas limiter ses mesures préventives aux seuls secteurs de captage d’eau !
Le zéro-phyto n’est qu’une étape dans un processus de transition écologique plus global, qui ne concerne pas que le devenir de la ressource eau, loin s’en faut, mais également le cycle de la vie qu’elle soit animale ou végétale et la diffusion de la bio diversité.
Je vous propose de revenir sur ces problématiques, dont une, majeure pour la prochaine décennie et qui nécessite des actions immédiates et concrètes : adapter nos territoires au réchauffement planétaire et à la dérégulation climatique, dans lequel le végétal a également un rôle central à jouer …