Yannick Morez, Maire démissionnaire de Saint-Brevin les bains devant ses voitures et sa maison incendiées (photo : Jean-Yves Rigaud / correspondant local)
Les raisons qui ont mené mon collègue Yannick Morez, maire de Saint-Brevin à démissionner me consternent. Autant d’engagement quotidien et de dévouement pour un tel retour est inconcevable, inadmissible, au combien décourageant. Sa démission constitue une alerte républicaine qui se doit de nous interpeller tant elle est lourde de sens.
De tous les mandats celui de Maire est certainement le plus passionnant. Nous sommes résolument dans l’action et le concret, alors que tant et tant sont dans les mots et les postures.
C’est aussi le plus exposé, surtout pour un Maire de Petite Ville qui vit dans sa ville, en première ligne et affronte, trop souvent esseulé faute de moyens, les problèmes quotidiens rencontrés, la détresse humaine à laquelle il est confronté, les aléas à surmonter, le manque de moyens pour agir et faire, les combats à mener pour défendre des territoires parfois malmenés, les injonctions contradictoires en provenance de l’état à appliquer … Que ceux qui doutent en parlent à nos familles ou à nos collaborateurs.
La mission d’un élu local est de « faire société » aux coté de ses concitoyens, de les accompagner dans les moments heureux ou la peine, la douleur lorsqu’elle survient, parfois même la colère. Le maire directement accessible, à portée d’engueulade, représente, qu’il le veuille ou non, un symbole d’autorité qui en fait potentiellement une cible privilégiée et le bouc émissaire de tous les maux de la société sur lesquels il n’a pas de prise et ne peut grand chose.
Notre pays est en souffrance, face aux multiples transformations auxquelles il est confronté et qui semblent s’accélérer, il navigue littéralement « entre deux eaux », celui du monde d’avant et celui à venir.
Jamais pourtant nous n’avons eu autant besoin de « faire société » ce qui nécessite le concours de chacun. Les Maires l’ont prouvé au moment du COVID, en redonnant toute sa place à l’action publique de proximité face aux OVNI institutionnels XXL impuissants car totalement déconnectés des besoins et de la réalité du terrain.
Le combat d’un élu local est d’agir chaque jour, afin de mobiliser, animer, impulser les solidarités et dynamiques territoriales qui irriguent un territoire et de combattre inlassablement cet « aquabonisme » mortifère, insidieux, démobilisateur et contagieux.
Ne nous y trompons pas, chacune de nos communes, constitue un Saint Brévin en puissance et peut, du jour au lendemain, devenir la cible d’activistes dont le seul objectif est de semer la discorde y compris s’ils n’y habitent pas.
Parfois, la coupe est pleine et la ficelle casse. C’est ce qui est arrivé à notre collègue de Saint Brévin. Un maire est avant tout un être humain, y compris s’il constitue de fait, encore plus aujourd’hui qu’hier, la clé de voute de la cohésion de nos territoires.
Cette situation n’est pas nouvelle, René Goscinny et Uderzo y avait consacré un album d’Asterix (« La zizanie ») autour de la personnalité de Tullius Détritus, un romain dont la mission était justement de semer la zizanie dans le petit village gaulois. Nous connaissons tous des Detritus en puissance.
Aujourd’hui les bulles captives des réseaux sociaux sont autant de chambre d’échos et de réverbération, comme le développement des chaines d’infos continus promettant à chacun sa minute de gloire « wharolienne » ne font qu’attiser et amplifier ce phénomène exploité par des extrémistes de tout poil désirant semer la discorde sans proposer d’alternative ou de solution.
Notre société devient plus irruptive, violente, voir intolérante, surtout en cette période de clair obscur ou les nuances ont tendance à s’estomper et disparaitre. La responsabilité du Politique dans cet état de l’opinion est réelle, sa faillite au niveau national conduit à ce qui pourrait mener, si l’on y prend garde, à une véritable impasse démocratique.
Qui aujourd’hui est porteur d’un projet fédérateur, positif et constructif, pouvant embarquer nos concitoyens et leur donner envie et désir de construire ensemble du commun et du partagé ?
Si depuis des années les élus locaux ont capté ce désamour croissant et fait remonter au plus haut niveau la distanciation puis la rupture entre nos concitoyens et la politique nationale, ils ne sont toujours pas aujourd’hui écouté par les états majors nationaux.
Cette profonde détresse, ce ressenti, ce sentiment d’abandon des habitants des territoires délaissés de la république est à l’origine du mouvement des gilets jaunes et s’est retrouvé également dans celui des retraites, les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets. On n’humilie pas impunément un pays en souffrance sans conséquence sur l’avenir. Ce n’est pourtant qu’ensemble que nous trouverons la capacité de répondre collectivement aux multiples défis à relever : environnementaux, économiques, sociaux, citoyens ou politiques.
Chacun doit faire sa part du travail et ne pas laisser l’élu local seul et isolé sur le terrain. Ce qui est malheureusement exemplaire dans l’exemple de Saint Brévins est l’incapacité de l’État à protéger, soutenir l’élu menacé et plus grave, à assumer ses responsabilités, et ce au plus haut niveau.
C’est le Maire qui a du assumer, face à la foule, le service après vente d’une décision prise au nom de l’intérêt général par l’état. Chaque élu local sait que l’acceptabilité est une condition de réussite de l’action publique de proximité, l’état se doit de l’intégrer. La vérité des chiffres, des indicateurs, des ratios, des moyennes donne parfois une idée fausse de la réalité du terrain. Il y a moyenne et écarts types !
Rechercher l’acceptabilité signifie tout simplement respecter nos concitoyens, en tenant compte de leurs doutes et interrogations. Si le cap ne change pas pour autant, il peut évoluer de quelques degrés sans dommages et mener encore plus efficacement à bon port. C’est un travail collectif, qui se doit d’être partagé, par le Maire évidemment, mais également par les services de l’État, surtout dès que l’on touche au « vivre ensemble ».
Tout élu local a pu se retrouver un jour devoir défendre devant ses concitoyens des décisions difficiles, imposées par l’État au nom et pour l’intérêt général. Il est important alors que ses services ne soient pas aux abonnés absents au moindre coup de vent et contribuent sur le terrain à expliquer, argumenter, assumer, aménager si besoin.
Encore faut il que les élus locaux soient considéré par l’état et les gouvernements comme des acteurs responsables et traités comme tel, en étant associés en amont aux prises de décision les impactant directement, non abandonnés en première ligne a la première difficulté venue ;
Encore faut il que les élus locaux disposent des moyens nécessaires pour agir concrètement. L’état leur délègue de plus en plus de responsabilités, parfois des injonctions contradictoires, adopte un nombre croissant de normes ou souvent l’accessoire se confond avec l’essentiel, en limitant pourtant chaque année un peu plus leurs moyens d’action ;
Encore faut il que les élus locaux soient respectés par leurs concitoyens à qui ils se consacrent jour et nuit au détriment de leur vie familiale ou professionnelle. Nos habitants deviennent de moins en moins citoyens et de plus en plus usagers, une tendance sociétale qui semble, c’est un comble, encouragée par un état qui va dans le sens du vent : moins d’impôts et de contraintes pour les uns, moins de capacités d’agir pour les collectivités avec toujours plus de responsabilité et d’obligations ;
Les Maires entre le marteau et l’enclume, sont coincés par la démagogie des mots et postures de certains, la pénurie croissante des moyens d’action à laquelle ils sont confrontés et les priorités et urgences nécessitées par la réalité du terrain .
La démission de mon collègue Yannick Morez, maire de Saint-Brevin doit collectivement nous interpeller, il est grand temps de remettre la cité au premier rang des priorités de la nation.
Si “tout le monde veut gouverner, personne ne veut être citoyen. Où est donc la cité ?” écrivait Saint Just. La cité ne peut se limiter au seul Maire y compris si sa mission première est de « faire société » responsabilité avant tout collective et partagée