Companero Presidente

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Il y a soixante aujourd’hui, disparaissait Salvador Allende, lors du coup d’état 

« Travailleurs de ma patrie !

J’ai confiance au Chili et à son destin.

D’autres hommes dépasseront les temps obscurs et amers durant lesquels la trahison prétendra s’imposer. Allez de l’avant tout en sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues sur lesquelles passeront des homme libres de construire une société meilleure. »

 

Salvador Allende, Palais de la Moneda
11 septembre 1973

Les derniers discours prononcés par le Président Chilien

 

 

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Le Président de la République du Chili Salvador Allende lance un appel sur les radios chiliennes à partir de 7 heures 55. Mais très vite, une à une, les antennes seront bombardées. Il restera à partir de 9 heures Radio Magellanes et ses lointains relais de Patagonie. C’est la seule radio qui diffusera son discours jusqu’au dernier mot.

 

7 : 55 Radio Corporación

 » Le Président de la République vous parle depuis le Palais de la Moneda. Des informations confirmées signalent qu’un secteur de la marine a isolé Valparaiso et que la ville est occupée, ce qui signifie un soulèvement contre le Gouvernement. Gouvernement légitimement constitué, gouvernement mis en place par la constitution et la volonté du citoyen.

Vu les circonstances, je lance un appel à tous les travailleurs. Qu’ils occupent leur poste au travail, qu’ils courent ensemble à leurs usines, qu’ils y maintiennent calme et sérénité. Jusqu’à maintenant, à Santiago, il ne s’est produit aucun mouvement anormal des troupes et selon les informations que m’a fourni le chef de la garnison, tout est normal à la caserne de Santiago.

De toutes façons, je reste ici dans le Palais du Gouvernement et ici me tiendrai, prêt à défendre ce Gouvernement que je représente par la volonté du peuple. Ce que je désire essentiellement, c’est que les travailleurs restent en alerte et vigilants et qu’ils évitent les provocations. 

Comme première étape, nous devons considérer la riposte, que nous espérons positive de tous les soldats de la Patrie qui ont juré de défendre le régime établi, expression de la volonté citoyenne et qu’ils agiront selon la doctrine qui représente le Chili, le prestige et la conscience professionnelle des forces armées. Durant ces circonstances, j’ai la certitude que tous les soldats sauront accomplir leur devoir. 

De toutes manières et fondamentalement, le peuple et les travailleurs doivent rester activement mobilisé, mais sur leur lieu de travail, à l’écoute des appels que je pourrai leur faire et des instructions que leur donnera leur camarade Président de la République. »

 

8 :15

 » Travailleurs du Chili !

C’est le Président de la République qui vous parle. Nous avons eu jusqu’à présent des informations qui nous révèlent l’existence d’une insurrection de la Marine dans la Province de Valparaiso. J’ai ordonné que l’infanterie se rende à Valparaiso pour étouffer cette tentative de coup d’état. Vous devrez attendre les instructions qui émareront de la Présidence. Soyez certains que votre Président restera en permanence au Palais de la Monnaie et défendra le gouvernement des travailleurs. Soyez certains que je continuerai à respecter la volonté du peuple qui m’a octroyé le mandat de gouverner la nation jusqu’au 4 novembre 1976. Vous devez rester vigilants sur vos lieux de travail en attendant mes instructions. Les forces, représentant la loi et respectant leur engagement envers les autorités, en se joignant aux travailleurs organisés, écraseront le coup d’état fasciste qui menace la patrie. »

 

8 :45

 » Camarades qui m’écoutez !

La situation est critique. Nous sommes devant un coup d’état auquel participent la majorité des forces armées. En ce moment d’aveuglement je veux vous rappeler certains de mes propos tenus en 1971. Je vous disais calmement, avec une absolue sérénité : je ne suis pas bâti de la manière dont on fait les apôtres et les messies. Je n’ai pas l’envergure d’un martyr, je suis un lutteur social qui accomplit la mission que le peuple lui a confiée.

Mais que ceux qui veulent faire régresser l’histoire et ne pas reconnaître la volonté de la majorité des citoyens chiliens le sachent bien : comme je ne suis pas construit de la chair des martyrs, je ne leur offrirai pas l’opportunité de faire un autre repas.

Qu’ils le sachent, qu’ils l’entendent, qu’ils le gravent en profondeur : je ne laisserai la Moneda qu’à la fin du mandat que m’a donné le peuple, je défendrai cette révolution chilienne et je défendrai le gouvernement car c’est le mandat que le peuple m’a confié. Il n’y a pas d’alternative. Ce n’est qu’en nous criblant de balles qu’ils pourront empêcher la volonté qui est celle de faire accomplir le programme du peuple.

Si on m’assassine, le peuple suivra sa route, suivra son chemin même si les choses seront plus difficiles et plus violentes. Et ce sera une leçon objective très claire pour la majorité de ces gens que rien n’arrête. J’avais tenu compte de cette éventualité, je ne leur offre pas la facilité. Le progrès social ne va pas disparaître parce que disparaît un de leur dirigeants. Il pourra demeurer, se prolonger. Mais on ne peux le renfermer ni le mettre à genoux.

Compagnons, soyez attentifs aux informations sur vos lieux de travail. Sachez que leur camarade Président n’abandonnera pas son peuple ni son lieu de travail. Je resterai ici, à La Moneda, même au péril de ma propre vie. »

 

Radio Magallanes 9 :03

 » En ce moment passent les avions.

Il est possible qu’ils nous bombardent. Mais qu’ils sachent que nos restons ici et que par notre exemple nous montreront que dans ce pays il y a des hommes qui savent accomplir les obligations dont ils sont investis. Je le ferai de par le mandat du peuple et de par le mandat d’un Président conscient digne de la charge à lui octroyée par le peuple durant des élections libres et démocratiques. Au nom des intérêts les plus sacrés du peuple, au nom de la patrie, je vous appelle tous par vous dire d’avoir confiance. L’histoire ne se détient pas par la répression et le crime. Cette étape sera dépassée.

C’est un moment dur, difficile. Il se peut qu’ils nous écrasent. 

Mais le lever du jour appartient au peuple et sera celui des travailleurs. L’humanité avance pour la conquête d’une vie meilleure.

Je paierai de ma vie la défense de principes qui sont chers à cette patrie. La honte tombera sur ceux qui ont renié leurs convictions, failli à leur propre parole et rompu la doctrine des forces armées. 

Le peuple doit rester vigilant et en alerte. Il ne doit pas se laisser provoquer ni se laisser massacrer mais défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec ses propres efforts une vie digne et meilleure. 

Une parole pour ceux qui se sont  » autoproclamés  » démocrates et se disent représentants du peuple : ils ont incité ce soulèvement et ont entraîné le Chili dans un gouffre, d’une manière frauduleuse et insensée.

Au nom des intérêts les plus sacrés du peuple, au nom de la patrie, je lance cet appel pour vous dire de garder en vous l’espoir. L’histoire ne s’arrête ni avec la répression, ni avec le crime. Cette étape sera franchie. Ce que nous vivons est un passage dur et difficile. 

Il se pourrait qu’ils nous écrasent mais l’avenir appartiendra au peuple et aux travailleurs. L’humanité avance pour la conquête d’une vie meilleure.

Compatriotes ! Il est possible que les émissions radio soient arrêtées. Je prends congé de vous. En ce moment des avions nous survolent. Ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous sommes là pour donner un exemple : dans ce pays, il y a des hommes qui savent remplir leurs fonctions jusqu’au bout. 

Moi je le ferai en tant qu’élu du peuple et en tant que président conscient de la dignité de sa charge.

C’est peut-être la dernière possibilité que j’ai de m’adresser à vous. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de Radio Portales et Radio Corporación. Mes paroles n’expriment pas l’amertume mais la déception et ces paroles seront le châtiment de ceux qui ont trahi le serment qu’ils firent.

Soldats du Chili, commandants en chef et gradés. Amiral Merino…. Méprisable Général Mendosa qui hier encore avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement et qui s’est nommé ‘directeur général des services de l’ordre’ aujourd’hui même.

Face à ces événements, je peux dire aux travailleurs : je ne renoncerai pas. Impliqué dans cette étape historique, je paierai de ma vie ma loyauté envers le peuple. Je leur dis que j’ai la certitude que la graine que nous sèmerons dans la conscience et la dignité de milliers de Chiliens ne pourra germer dans l’obscurantisme.

Ils ont la force, ils pourront nous asservir mais nul ne retient les avancées sociales avec le crime et la force. L’Histoire est à nous, c’est le peuple qui la construit. 

Travailleurs de ma patrie ! Je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez accordée à un homme qui a été le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, les dernières paroles que je voudrais vous adresser sont les suivantes : j’espère que la leçon sera retenue.

Le capital étranger, l’impérialisme réactionnaire ont créé ce climat afin que les Forces Armées brisent leurs engagements : Schneider nous l’avait signalé et ce fut confirmé par le Commandant Arayak. Victimes du même secteur social qui à partir de ce jour resterez dans vos demeures : avec l’aide des mains étrangères ils attendent de s’emparer du pouvoir afin de continuer à protéger leurs privilèges et l’exploitation des richesses de la terre.

Je voudrais surtout m’adresser à la femme modeste de notre terre, à la paysanne qui crut en nous, à l’ouvrière qui a travaillé dur, à la mère qui s’est toujours préoccupée de l’éducation ses enfants. Je m’adresse aux professionnels de la patrie, aux patriotes, à ceux qui depuis un certain temps voient se dresser au devant d’eux la sédition provoquée par leurs collègues, leurs camarades de classe, qui n’ont fait que défendre les avantages d’une société capitaliste. 

Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur combativité. Je m’adresse au Chilien, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme était présent depuis un certain temps déjà par les attentats terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, complices du silence de ceux qui avaient l’obligation d’intervenir… L’Histoire les jugera !

Il est certain qu’ils feront taire Radio Magallanes et le métal de ma voix calme ne vous rejoindra plus. Cela n’a pas d’importance, vous continuerez à m’entendre. Je serai toujours auprès de vous et vous aurez pour le moins, le souvenir d’un homme digne qui fut loyal envers la patrie. 

Le peuple doit se défendre et non se sacrifier. Le peuple ne doit pas se laisser cribler de balles, mais ne doit pas non plus se laisser humilier.

 

Travailleurs de ma patrie ! J’ai confiance au Chili et à son destin. D’autres hommes dépasseront les temps obscurs et amers durant lesquels la trahison prétendra s’imposer. Allez de l’avant tout en sachant que bientôt s’ouvriront de grandes avenues sur lesquelles passeront des homme libres de construire une société meilleure.

 

Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs !
Ce sont mes dernières paroles.
J’ai la certitude que le sacrifice ne sera pas inutile.
Et que pour le moins il aura pour sanction morale :
La punition de la félonie, de la lâcheté et de la trahison. »

 

Florange, l’arrêt des fourneaux

 

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Dédicace

« Tirons notre courage de notre désespoir même »

Sénèque

 

 

Les mains d’or (Bernard Lavilliers pour les sidérurgistes de Florange)

 

 

 

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Les mains d’or

 

Un grand soleil noir tourne sur la vallée

Cheminée muettes – portails verrouillés

Wagons immobiles – tours abandonné

Plus de flamme orange dans le ciel mouillé

 

On dirait – la nuit – de vieux châteaux forts

Bouffés par les ronces – le gel et la mort

Un grand vent glacial fait grincer les dents

Monstre de métal qui va dérivant

 

J’voudrais travailler encore – travailler encore

Forger l’acier rouge avec mes mains d’or

Travailler encore – travailler encore

Acier rouge et mains d’or

 

J’ai passé ma vie là – dans ce laminoir

Mes poumons – mon sang et mes colères noires

Horizons barrés là – les soleils très rares

Comme une tranchée rouge saignée rouge saignée sur l’espoir

 

On dirait – le soir – des navires de guerre

Battus par les vagues – rongés par la mer

Tombés sur le flan – giflés des marées

Vaincus par l’argent – les monstres d’acier

 

J’voudrais travailler encore – travailler encore

Forger l’acier rouge avec mes mains d’or

Travailler encore – travailler encore

Acier rouge et mains d’or

 

J’peux plus exister là

J’peux plus habiter là

Je sers plus à rien – moi

Y’a plus rien à faire

Quand je fais plus rien – moi

Je coûte moins cher – moi

Que quand je travaillais – moi

D’après les experts

 

J’me tuais à produire

Pour gagner des clous

C’est moi qui délire

Ou qui devient fou

J’peux plus exister là

J’peux plus habiter là

Je sers plus à rien – moi

Y’a plus rien à faire

 

Je voudrais travailler encore – travailler encore

Forger l’acier rouge avec mes mains d’or

Travailler encore – travailler encore

Acier rouge et mains d’or…

La Seine-et-Marne est désormais vue du ciel, s’il existe ?

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C’est avec tristesse que je viens d’apprendre que Christian Bartillat vient de tourner avec élégance la dernière page de sa vie, afin d’écrire de sa belle écriture déliée le mot fin …

Et des pages on peut dire qu’ il en a connu … écrites avec passion, rigueur et humilité de sa plume alerte et précise, ou découvertes en provenance de tous les horizons et de tous les continents …
Ce diplômé en sciences politiques, essayiste et écrivain, a surtout été pour la majorité d’entre nous un éditeur de premier plan.

Je devrais plutôt dire « à géométrie variable »,  tant il a accordé autant d’importance, de considération et de respect à des auteurs majeurs tel Karen Blixen, Anais Nin, Virginia Woolf ou Henry Miller qu’il a contribué à faire connaître en France, qu’à des historiens locaux anonymes dédiant leur existence, à la petite histoire des petites gens d’antan ou à leur territoires .…

Cet éditeur reconnu de la place de Paris, directeur général des Éditions Stock, avait en effet décidé de consacrer la dernière partie de sa vie, à contribuer à nous rappeler l’importance et la qualité d’un patrimoine historique, culturel local, trop souvent méconnu, oublié ou même ignoré … Un des livres édités par les presses du village, ne s’appelle t’il pas « La Seine et Marne vue du ciel » ?

Il l’a fait en présidant notamment aux destinées de la Société d’histoire et d’art de Meaux, mais surtout en créant les éditions « Christian de Bartillat », puis les Presses du Village qu’il a dirigé durant vingt-huit ans, jusqu’en 2010, lors de la cessation d’activités d’une maison d’édition,  atteint par la maladie 

 

Cela a été une si belle aventure …

 

 

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Pour faire vivre de telles sociétés d’éditions, il faut non seulement du talent, de la passion, mais aussi des moyens financiers, car ce sont bien les économies de ce mécène qui ont permis aux Presses du Village, de fonctionner tant d’années.
Il avait eu cette heureuse formule lors d’un interview accordé à Bernard Pivot « En tant qu’éditeur, je ne créé pas, je procréé » …

Et des enfants de papier, il a en eu, à foison …

Un interview émouvant, qui m’a permis d’entendre pour la première fois, sa vraie voix, une belle voix grave, profonde et précise, où chaque mot était à sa place et pesé.  Lors de nos rencontres, j’avais été frappé par l’altération de cette voix brisée par la maladie, mais qui malgré la déformation due à l’appareillage, était littéralement habitée par la passion et la flamme communicative qu’il consacrait à tous ses auteurs …  

Nous avons mené à terme à l’époque un projet commun, qui sans son concours désintéressé n’aurait jamais pu voir le jour : la réédition  d’un livre, qu’une de mes concitoyennes Michele Bardon, auteur des « Presses du village » et historienne locale reconnue, avait consacré à ma ville, Trilport. J’ai aujourd’hui une pensée émue, pour luises proches, mais aussi Michèle Bardon, qui nous a quitté il y a déjà quelques année et qu’il a tant soutenu dans ses travaux.

Je  tiens à associer à cet hommage un ami toujours en activités, Damien Blanchard. Depuis des années il se bat et se débat pour faire vivre, lui aussi, une maison d’édition dédiée à l’histoire locale : les éditions Fiacre. Ce n’est pas pour rien que Christian de Bartillat lui avait d’ailleurs proposé de reprendre les rênes des « Presses du Village ».

Pour perpétuer son souvenir,  chacun peut contribuer à ce que  Damien Blanchard poursuive son activité de « passeur » et d’éveilleur qu’il partage avec ce gentleman de culture et d’histoire locale qu’était Christian de Bartillat, pour qui le mot culture s’écrivait au pluriel, avec humilité, considération, ouverture et respect, tant de l’oeuvre, que de ou des auteurs mais aussi et surtout des lecteurs.

 

 

 

Voilà ce que je déclarais lors de la présentation du livre de Michèle Bardon 

Il est essentiel à l’heure d’Internet, du zapping et de l’instantané, de saisir tout le poids du passé, et de prendre le temps de la réflexion. Un élu qui aime son territoire et dispose de la dose d’humilité minimale, le sait … Les leçons de l’histoire se conjuguent au présent, souvent au futur et quelquefois au conditionnel .

C’est le sens de l’engagement de Christian de Bartillat, à qui je veux rendre hommage et sans qui nous aurions eu beaucoup plus de mal à boucler ce projet.  Cet homme de passion, de valeurs et de fidélité, a choisi il y a 25 ans d’implanter dans un village voisin, Etrépilly, une société d’édition dénommée « Les Presses du Village ».  Le choix de cet érudit, dirigeant de grandes maisons d’édition ( le Seuil, les Presses de la cité) loin des canapés et des petits fours des milieux intellectuels parisiens en a surpris plus d’un. C’était un choix du cœur,  qui s’est révélé au fil du temps précurseur … Le Développement Durable c’est aussi cela !

Avec sa société d’édition, il a contribué plus que quiconque à faire revivre l’histoire de cette région, mais également à permettre à de nombreux historiens animés d’une passion commune à la faire partager. Plus que jamais, je pense qu’il n’y a pas de petite histoire ou de grande histoire, il y a l’histoire … il n’y a pas non plus de petites gens sans importance, mais des hommes et des femmes qui passent , s’épanouissent et marquent parfois leur passage ici bas, d’une empreinte fugitive ou monumentale, qui peut surgir soudain au détour d’un quartier…

C’est également ce qu’écrit avec ses mots, Michelle Bardon :

 « Peut-être faut-il savoir, par delà le temps, retrouver la présence des amis disparus, avoir savouré la douceur qui inonde de sa paix champs et bois aux derniers rayons du soleil vespéral, la joie des matins de Pâques, fleuris d’oiseaux et d’arbres fruitiers, lorsque se répondent dans le ciel d’un bleu très pur, tous les clochers d’alentour,. les murmures bruissant du silence de la forêt, les jeux du vent dans les mais et dans les blés, la sérénité altière de la Marne ou encore, après la pluie, les pleurs des roses des jardins, peut-être faut il avoir goûté la quiétude de ces lieux pour s y attacher profondément et en apprécier la beauté toute simple?

 

Semprun, « rouge espagnol de l’armée en déroute »

semprun.jpgJorge Semprun est mort à l’âge de 87 ans, il a été inhumé en Seine-et-Marne, le 7 juin 2011 revêtu du drapeau républicain espagnol », rouge, jaune, violet …
Sa vie a été plus qu’un roman, tant elle était improbable, de sa naissance à sa mort il a participé à tous les bouleversements et soubresauts traversés par nos pays le siècle dernier … Il a eu plusieurs vies …

Ce fils de diplomate a été successivement réfugié, résistant, déporté, militant, responsable politique, écrivain, scénariste, ministre …
Les différentes identités qui ont rythmé le fil de sa vie, espagnol de naissance et de langue maternelle, français par le lycée, la Résistance et le coeur, allemand par philosophie, sont autant de fleuves qui l’ont mené jusqu’à sa « mère » nourricière, l’Europe …

Car Jorge Semprun est indéniablement et avant tout un européen, citoyen éclairé d’un continent victime des grandes déchirures et fractures politiques et idéologiques du XXe siècle …
Son dernier livre « une tombe au creux des nuages », marque la fin d’un cycle de conférences prononcées en allemand et en Allemagne ces vingt dernières années. L’allemagne ce pays qui l’a tant marqué …

Entre le souvenir lancinant des cheminées de Buchenwald et l’arbre de Weimar, qui aurait inspiré Goethe parait il, ce survivant de camp de concentration, après un long temps de réflexion, a fait son choix et ne s’est souvenu que de Goethe … Jorge Semprún croit en l’homme, malgré et avant tout, son parcours individuel en est l’illustration la plus complète.

« Mais ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont certains êtres que tu as connus. Les livres, la musique, c’est différent. Pour enrichissants qu’ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d’accéder aux êtres » (Le grand voyage)

Le témoignage que constitue son œuvre littéraire, a une portée collective. Il constitue un relais tendu, et transmis aux nouvelles générations, avec pour objectif, de défendre non une vie, des idées ou des idéologies, mais l’héritage humaniste et démocratique de ces valeurs et de ces cultures qui composent et font l’Europe.
Nos pays ont vécu, expérimenté et ressenti la douleur apportée par le coté obscur de la force, celui des totalitarismes… larmes, sang, haine …  ils ont appris à dominer leurs sentiments légitimes de révolte et de colère, puis à rebondir, à se rencontrer de nouveau, avant de se projeter dans l’avenir ensemble, enfin  …

Le titre de son dernier livre est extrait d’un vers du poème de Paul Celan « Todesfuge » (« Fugue de la mort »), il aborde un contexte que Semprun a trop bien connu, celui des camps de concentration.

« il crie, plus sombres les archets, et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré »

L’auteur utilisant pour métaphore l’expression employée par les déportés des camps, qui ne se disait pas entre eux : « un tel copain est mort », mais simplement « il est parti en fumée ».

« Tout m’était arrivé, rien ne pouvait plus me survenir », écrivait-il …

Si ce n’est l’Europe …

 

 

 

 

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Une vie d’européen …

La vie de Jorge Semprun éveille en moi des échos profonds, ceux de mes racines familiales. Je suis petit fils d’émigrés espagnols, simples bergers anarcho syndicalistes originaires de Fraga, qui se sont réfugiés également en France entre les années 1936 et 1938.

Lui est né en décembre 1923 à Madrid, fils d’une famille républicaine de la haute bourgeoisie, son grand-père ayant été à plusieurs reprises président du gouvernement espagnol. Durant la guerre civile  et la victoire inexorable de l’armée de Franco et de ses alliées, les forces nazis de la légion Condor, son père diplomate choisit l’exil et rejoint avec femme et enfants la France en 1939.

Jorge Semprun devient pensionnaire au lycée Henri-IV à 16 ans, puis suit des études brillantes de philosophie et d’histoire à la Sorbonne; devant l’occupation nazie, il rejoint la Résistance française et adhère en 1941 aux réseaux des Francs Tireurs et Partisans, puis au Parti communiste d’Espagne.

En septembre 1943 à 19 ans, il est arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald.

« Je suis emprisonné parce que je suis un homme libre, parce que je me suis vu dans la nécessité d’exercer ma liberté, que j’ai assumé cette liberté ».

Il devient le matricule « 44 904 », responsable des activités culturelles des prisonniers espagnols, puis est  libéré par les chars du général Patton; après son départ de Buchenwald, il décide de ne plus se souvenir, choisissant « l’amnésie délibérée pour survivre ».

Il ne rompra ce silence volontaire qu’en 1963.

« Pour les survivants, la mémoire la plus forte c’est l’odeur des crématoires. Lisez Blum qui parle de « cette étrange odeur » qui lui parvenait par les fenêtres de sa villa du camp de Buchenwald et qui l’obsédait des nuits entières. Comment voulez-vous transmettre une expérience aussi forte en dehors de la littérature… »

Le temps de l’écriture

Rejoignant Paris, Franco étant conforté dans sa dictature, il débute une carrière d’interprète à l’Unesco, avant de repartir en Espagne (1952), et de coordonner la résistance communiste au régime franquiste, sous divers pseudonymes, notamment celui de Federico Sanchez, en charge des relations avec les milieux intellectuels. Il gravit progressivement tous les échelon de ce parti : Comité central puis Comité exécutif (Bureau politique) en 1956.

En 1964, le chef du PCE Santiago Carillo l’exclut du parti pour « déviationnisme ».

Après cette rupture politique, Jorge Semprun renoue les fils avec sa jeunesse littéraire et son douloureux passé, évoqué dans son premier récit, « Le Grand Voyage », qui rappelle les cinq jours de voyage qui l’ont mené de Paris à Buchenwald.

C’est le début d’une nouvelle vie, durant laquelle il « entre en littérature » et écrit de nombreux romans à succés (en 1969, «La deuxième mort de Ramon Mercader» obtient le prix Femina), particularité rarissime, il écrit dans les deux langues : espagnol et français … Puis français …

« Je pourrais vous répondre qu’un écrivain habite sa langue ou plutôt, en ce qui me concerne, le langage. C’est-à-dire un espace de communication sociale, d’invention linguistique. Dans les différentes occasions qui m’ont été données de risquer ma vie, l’idée de patrie ne m’a jamais hanté.

En cela, je diffère beaucoup des intellectuels français qui sont convaincus de savoir non seulement ce qu’est l’identité de la France, mais que cette identité est apparentée à l’universel. »

« Je n’ai pas choisi d’écrire en français, j’ai choisit de maitriser le français. Pour tout le monde j’étais l’étranger, le rouge espagnol de l’armée en déroute. J’étais une ruse de guerre, je voulais être indiscernable

Alors je suis devenu après complètement bilingue. Parce que le français est une langue admirable, l’espagnol est une langue qui a tendance à la grandiloquence, et à l’emphase, une tendance aux chemins de traverse, une complexité baroque » disait il à Bernard Pivot dans une émission d’apostrophes fameuse, avec sa voix si chaude.

Il alterne romans et scenarios de cinéma  avec Pierre Schoendoerffer, Alain Resnais (la guerre est finie), Costa-Gavras (Z, l’Aveu, Section Spéciale), Joseph Losey …

La mort de Franco en 1975, et l’arrivée de Juan Carlos sur le trône d’une monarchie parlementaire, initie une nouvelle séquence durant laquelle il deviendra durant trois ans Ministre de la Culture de Felipe Gonzales. Sa libre parole, son indépendance d’esprit s’adaptent mal à l’activité politique.

Il retourne à ses chemins de traverses, redevint écrivain et membre de l’Académie Goncourt, entre autres …

Le temps d’écrire ses dernières oeuvres, dont « une tombe au creux des nuages »

Puis il est parti …

L’Europe … Verbatim

Pourquoi êtes-vous si réceptif à cette culture viennoise, les Freud, Musil, Broch ?

Parce qu’ils ont contribué à façonner une partie de l’esprit européen. Ce sont ces voix juives, au moment où l’Allemagne s’effondre dans le nazisme, qui sauvent l’âme de ce pays. Aujourd’hui, il ne reste pas grand chose de cette intelligentsia juive européenne. Elle s’est

Buchenwald, le camp ou vous avez été déporté, se situe à Weimar, la ville de Goethe et de la République du même nom… 

C’est un binôme essentiel de la mémoire. Il rappelle que la culture n’empêche pas la barbarie. Les deux peuvent se situer sur le même territoire. Et je vous rappelle qu’après avoir été un camp nazi, Buchenwald est devenu jusqu’en 1950 un camp de concentration soviétique géré par la police de Staline. L’Allemagne reste le seul pays d’Europe à avoir fait l’expérience des deux totalitarismes du XX eme siècle.

Hitler et Staline résument-ils pour vous ce XX e siècle ?

Heureusement non! Mais ils ont marqué ce siècle profondément, bien qu’on ne puisse mettre Hitler et Staline sur le même plan. Ces deux systèmes totalitaires sont comparables du point de vue de leurs conséquences historiques concrètes, mais ils diffèrent sur leurs idéologie et leur finalité proclamée.

Comme le disait le philosophe Max Horkheimer, « celui qui ne peut pas parler du stalinisme devrait aussi se taire sur le fascisme ».

 Ceci dit, le XX e siècle, c’est aussi le cinéma, les arts, la psychanalyse, l’émancipation coloniale, la fin des empires et la libération de la femme qui n’est pas terminée…

L’économie est importante, primordiale, mais la vraie question demeure : l’Europe a-t-elle besoin d’une âme ? 

Je pense que oui. L’Europe, mécaniquement parlant, cela fonctionne. Les jeunes pratiquent tous les jours l’Europe sans même le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Ils se déplacent sans visa, ils peuvent suivent des cours dans différentes universités, ils paient avec la même monnaie.

En revanche, au-delà de cette pratique de l’Europe, il faut la penser. Et là encore, je suis sûr que les écrivains et que la culture ont un rôle fondamental à jouer.

Quel est l’utilité du devoir de mémoire ?

L’expérience des camps nazis est une expérience singulière. En faire un sujet de roman requiert des précautions d’usage, mais je reste persuadé que seule la littérature peut endosser cette mémoire à l’adresse des générations suivante et la rendre vivante.

Il le faut bien et c’est même essentiel puisque bientôt il n’y aura plus de témoins directs de l’extermination qui s’est déroulé dans les camps nazis. Sinon la mémoire va s’éteindre et il y a des histoires que seuls des écrivains peuvent transmettre. Aujourd’hui, pour saisir quelque chose de la guerre de Trente Ans, il nous reste heureusement Mère Courage de Brecht.

Faut-il renoncer à améliorer le monde ?

Sûrement pas ! En revanche, il faut en finir avec l’idée de révolution, de tout changer. Il faut accepter une certaine forme de libéralisme dans laquelle il faut introduire plus de justice, plus de partage.

Tout ceci se fait au niveau des réformes, pas des changements radicaux. Mais je suis conscient qu’il est bien plus difficile de mobiliser les foules sur des réformes que sur la révolution.

« Fugue de mort » (Todesfuge) (Paul Celan, 1945)

Paul Celan a écrit ce poème en mai 1945, à Bucarest, trois mois après la libération du camp d’Auschwitz par l’Armée rouge.

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir

le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit

 nous buvons et buvons

nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens

il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe

il nous commande allons jouez pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez

il attrape le fer à sa centure il le brandit ses yeux sont bleus

enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne

il crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

 te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne

nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons

la mort est un maître d’Allemagne son oeil est bleu

il t’atteint d’une balle de plomb il ne te manque pas

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel

il joue les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

tes cheveux d’or Margarete

tes cheveux cendre Sulamith