Justice : La France 37 eme sur 43 !

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Les déclarations incendiaires de Nicolas Sarkozy suite à l’affaire Laeticia ont déclenché dans la justice et dans la Police un mouvement de révolte sans précédent. Cette véritable vague de fond, fait notable, est soutenue par une grande majorité de la population.
L’actuel Président fidèle à ses habitudes a tenté de surfer sur l’émotion légitime des français, en oubliant un détail, qui commence à avoir son importance aux yeux des français; depuis 2002 c’est bien lui le premier responsable de notre sécurité, comme Ministre de l’Intérieur puis ensuite Président de la république.
Le candidat qu’il était en 2007 ne déclarait il pas « Si je suis élu président de la République, je résoudrai le problème des multirécidivistes dès l’été 2007 »… Déclaration une nouvelle fois à l’emporte pièce, qui ne résiste pas au simple examen objectif des faits. 

La séquence est désormais connue de tous et parfaitement identifiée : dés qu’un fait divers suscite une vague d’indignation légitime, le Président compatit, puis s’agite en désignant un bouc émissaire à la vindicte populaire et en promettant une loi … Technique efficace jusque là, mais qui ne trompe plus personne désormais, tant la ficelle parait grosse !

Au niveau du nombre de lois, nous avons été servi ! C’est une véritable avalanche législative qui s’est abattue chez les parlementaires puis ensuite dans les tribunaux, avec des textes trop souvent écrits dans l’urgence et aux forceps, techniquement mal conçus car non adaptées (pour cause) et surtout mal préparées, notamment au niveau de leur conséquences et des contraintes liées à leur application au quotidien.

Cependant pour l’exécutif, peu importe semble t’il. L’important n’est pas de régler le problème  mais de coller plutôt à une actualité quotidienne des plus mouvantes. L’action apparente plutôt que l’action efficace !
Constat, ce véritable arsenal judiciaire et pénal ne constitue en aucune manière un rempart efficace du fait notamment de la trés grande misère des tribunaux français.

Une réalité brutale qui devrait rabattre quelque peu la superbe de ce  Président, « Maitre du G20 et du G8 » et grand donneur de leçons devant l’éternel. La France occupe en effet un peu glorieux 37e rang européen sur 43 pays (part du budget consacrée à la justice : rapport 2010 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, CEPEJ), elle se situe désormais derrière l’Azerbaïdjan et l’Arménie, c’est dire …

Une situation que chaque justiciable peut constater tous les jours, trop souvent à ses dépens, notamment au niveau des délais de traitement des dossiers.
Lorsque je me rends au Tribunal, il m’arrive de longer des colonnes de dossiers en attente, entreposés dans les couloirs et représentant un nombre incroyable en  mètres linéaires comme en temps de travail, tant les besoins sont criants en personnel et ce dans toutes les juridictions …  Mais pourtant derrière chaque dossier, combien de victimes dans l’attente d’une réponse adaptée et rapide au regard de leur détresse !

Selon le Ministère, 100.000 peines prononcées ne sont pas exécutées du fait du manque de places en prison, ou de travailleurs sociaux pour en assurer le suivi ! Depuis 3 ans, le concours externe de recrutement de la magistrature est bloqué à 80 places, un seuil qui ne permet plus d’assurer le simple remplacement des magistrats partant en retraite, alors que la France est déjà un des pays européens ayant le plus faible nombre de magistrat par habitant  …

Un contexte qui conduit les magistrats, avec l’accord de leur hiérarchie, et bien malgré eux, à ne traiter en priorité que les faits les plus graves et reconnus comme prioritaires (notamment la délinquance sexuelle), et à mettre de côté ceux considérés comme moins urgents (quelquefois à tort, a posteriori) … C’est ce qui s’est passé à Nantes, soulignons que le service d’insertion et de probation local (SPIP) avait pourtant alerté à de maintes reprises sa hiérarchie devant  le manque cruel de moyens ne lui permettant pas de conduire ses missions efficacement.

Un malaise et un mal être que l’on retrouve dans tous les tribunaux de France et de Navarre, j’en veux pour preuve le Tribunal de Meaux, exemple parmi tant d’autres. Les 3 juges d’application des peines se partagent : 2 762 mesures (Travail d’interêt général, liberté conditionnelle, sursis avec mise à l’épreuve …) auquel il faut ajouter le suivi d’une cinquantaine de délinquants sexuels et les 800 pensionnaires de la prison de Chauconin et dans le même registre, chaque agent du SPIP gère entre 130 et 150 délinquants, arrêtons là ce descriptif …

Mais le mal est encore bien plus profond. A la pénurie actuelle, s’ajoute des atteintes graves à la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu,  pourtant fondement essentiel de notre démocratie, mais également à l’égalité de chaque citoyen devant le droit … 

 

 

 

Dans son action concrète, comme dans ses commentaires, Nicolas Sarkozy ne cesse de remettre en cause, deux principes essentiels à toute démocratie moderne : l’indépendance de la justice et la personnalisation des peines. Ce qui est un comble lorsque l’on sait qu’il est par nature le garant du fonctionnement des Institutions et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. 

Les standards européens d’une justice indépendante ne sont pas respectés en France, du fait de la « soumission » des Procureurs à l’exécutif; situation préjudiciable et contraire à la notion d’autorité judiciaire indépendante prônée par la Convention européenne des droits de l’homme. Notre pays se fait d’ailleurs régulièrement critiqué par les plus hautes juridictions européennes de ce fait.
D’ailleurs les procureurs l’ont clairement signifié aux politiques et au Garde des Sceaux, il y a quelques semaine (conférence nationale des procureurs de la République) ce qui est une première historique et témoigne du malaise actuel de l’institution. Ce ne sont pas des Préfets révocables du jour au lendemain, par simple volonté du Prince et en ont assez de passer pour de simples agents du pouvoir exécutif, notamment dans le cadre d’affaires « sensibles » ! En décembre 2010, la Cour de cassation, plus haute juridiction judiciaire du pays, a reconnu pour la première fois, qu’effectivement le procureur n’était pas en France, une « autorité judiciaire indépendante » au sens européen du terme.

Autre problème de fond, l’égalité de chaque citoyen devant la loi qu’il soit riche ou pauvre. Une chose est certaine, cette préoccupation pourtant centrale n’est pas la priorité de l’actuel Président loin s’en faut.  N’a t’il pas déclaré  « La pénalisation à outrance du droit des affaires est une grave erreur » ?
Sa conception est celle d’une justice forte et dure avec les faibles, et plutôt « cool » avec les puissants ou ses amis. Fort opportunément, des affaires sensibles récentes (Clearstream, Bettencourt-Woerth, attentat de Karachi) ont démontré  à la Nation l’utilité des juges d’instruction indépendants que le Président voulait supprimer, mais ont dans le même temps cruellement souligné en contre point, les conséquences d’une justice « aux ordres » de l’exécutif, et l’affaire Woerth Bettencourt a agit comme un révélateur.

Situation rendue d’autant plus problématique du fait des mulitples attaques d’un Président, pourtant garant constitutionnellement de l’indépendance de la justice et dans le même temps  principal responsable de cette situation et de cette fragilité : moyens humains et financiers insuffisants, contexte juridique incertain devant la prolifération des lois, déclarations intempestives …

Peut on imaginer une telle situation dans une démocratie apaisée, comme en Allemagne, au Royaume Uni, en Europe du Nord ou simplement aux USA ?

J’en doute …

 

 

Il m’a semblé instructif de vous faire part d’une note publiée sur le blog de Maitre Eolas : « Journal d’un avocat », (une véritable référence pour les questions relatives à la justice). ce juriste a réussit à se procurer les éléments de langage distribués par l’Elysée au parlementaires UMP aprés l’affaire « Laeticia » afin qu’ils puissent les décliner sous tous les tons et tous les modes devant les sunligths des médias …

Un élément à charge à la fois très instructif et inquiétant pour ce qu’il signifie.

 

 

 

Les éléments de langage de l’Elysée distribués à l’UMP

 

Avertissement : les mises en page (gras, italiques et soulignés) sont d’origine.

 

 

Premier argumentaire, sur les dysfonctionnement de la justice. Il date du 4 février.

 

 

4 février 2011

ARGUMENTAIRE

 

Affaire Laëtitia et dysfonctionnement dans la chaîne pénale

 

Contexte : 

Le 3 février, à l’occasion d’un déplacement à Orléans consacré à la sécurité, le Chef de l’Etat a réaffirmé son intention que toute la lumière soit faite sur les circonstances ayant conduit à la remise en liberté de Tony MEILHON, principal suspect du meurtre ignoble de la jeune Laëtitia à Pornic. « Le risque zéro n’existe pas, mais tout expliquer par la fatalité, c’est se condamner à l’impuissance » a-t-il ajouté. En diligentant des enquêtes d’inspection, Michel MERCIER et Brice HORTEFEUX ont précisé que « s’il y a eu des dysfonctionnements, ils ne peuvent pas rester sans réponse ». Pour protester contre ces déclarations, les magistrats du TGI de Nantes ont décidé une grève des audiences jusqu’au 10 février et exigé qu’aucune procédure disciplinaire ne soit mise en œuvre.

Éclairage :

1) Devant un tel drame, nous devons aux Français de rechercher ce qui n’a pas fonctionné

En rappelant cette exigence avec fermeté, le Président de la République est dans son rôle de garant du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5 de la Constitution). Il est de son devoir d’exiger que soient précisées les responsabilités des uns et des autres. En l’espèce, le devoir de nos institutions, c’est « de protéger la société de ces monstres » et de tout comprendre, tout entreprendre pour qu’un tel drame ne se reproduise pas ;

Il est tout à fait normal que des rapports d’inspection aient été demandés dès lors qu’il est d’ores et déjà avéré que le suivi des obligations de Tony MEILHON n’avait pas été correctement mis en œuvre. Il n’y a alors rien d’exceptionnel à ce que le gouvernement mobilise, selon les procédures habituelles, les différents services d’inspection compétents (pénitentiaires, judiciaires, police nationale). C’est bien le contraire qui serait choquant ! Ces rapports d’inspection, qui devraient être rendus dans quelques jours, permettront d’analyser objectivement le fonctionnement de la chaîne pénale dans cette horrible affaire. S’ils font apparaître des dysfonctionnements manifestes, des procédures disciplinaires seront alors engagées.

Sans attendre, le gouvernement veut apporter de nouvelles réponses au fléau de la délinquance sexuelle et violente : création imminente d’un Office opérationnel de suivi des délinquants sexuels ; mise en place dans chaque département d’une Cellule de synthèse et de recoupement concentrant ses efforts sur le suivi des multirécidivistes ; renforcement des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Ces réponses passent certes par un renforcement des moyens mais ne s’y résument pas. Ainsi, dans le cadre de la LOPPSI, le recours au bracelet électronique sera facilité de même que les rapprochements judiciaires entre des affaires traitées par différents services.

2) Dans un État de droit, indépendance de la justice ne veut pas dire irresponsabilité

– Dans cette affaire comme dans d’autres, le principe de responsabilité de l’autorité judiciaire peut être légitimement posé. Qui pourrait accepter que ce grand service public régalien se dédouane de toute responsabilité au prétexte de l’indépendance que la constitution lui confère (article 64) ? Comme dans l’affaire Outreau, certains magistrats ont l’audace d’exiger qu’aucune procédure disciplinaire ne soit engagée et qu’aucune responsabilité ne leur soit imputée ! Ce n’est pas notre conception de la république et de la démocratie. Car la justice repose sur la confiance et il n’y a pas de confiance sans responsabilité.

– En refusant « d’exercer les fonctions de magistrat en Sarkozie » (Matthieu BONDUELLE, SG du syndicat de la magistrature), les magistrats grévistes manquent à leur devoir. Et au final ce sont les victimes et les justiciables qui font les frais de cette réaction, illégitime et disproportionnée.

 

Quelques commentaires :

Penser que cet argumentaire émane de l’Élysée est accablant. Le Président de la République est le garant du fonctionnement des Institutions et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Et là, il se retourne contre l’autorité judiciaire, via une présentation des faits tronqués.

Ce n’est bien sûr pas la phrase citée qui a mis le feu aux poudres. C’est cette phrase là, non citée, et pourtant reprise en boucle dans les médias :

« Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle ».

L’argumentaire laisse entendre que c’est la saisine de l’Inspection Générale des Services Judiciaires (IGSJ) qui a provoqué l’ire des magistrats, qui exigeraient avant de connaître les résultats qu’aucune sanction ne soit prise.

L’Élysée ment. Purement et simplement. Car la vérité est que c’est tout le contraire : depuis le début, les magistrats fustigent le fait que par cette phrase ci-dessus rappelée, le Président, sans attendre les résultats de l’enquête de l’IGSJ, affirme qu’il y a eu faute et qu’elle sera sanctionnée, alors même que les magistrats nantais, sachant comment fonctionne leur service en sous effectif criant, savaient bien qu’aucune faute ne pourra être retenue à leur encontre pour avoir considéré comme non prioritaire un dossier de mise à l’épreuve pour outrage à magistrat.

Les lecteurs apprécieront en outre la rétrogradation de la justice, déjà non reconnue comme pouvoir au même titre que l’exécutif et le législatif par la Constitution, qui parle de simple “autorité”, au rang de simple “service public régalien”. On retrouve ici la vision du président de la République, exposée dans son discours d’Épinal de juillet 2007.

Et bien sûr le couplet démagogique sur les magistrats qui refusent de voir leur responsabilité mise en cause. L’Élysée rédige ses argumentaire au zinc, maintenant.

Deuxième argumentaire, sur les moyens et l’organisation de la justice (la célèbre antienne, « C’est pas une question de moyens, c’est une question de méthode », popularisée par Coluche sous la forme « Dites-vous de quoi vous avez besoin, on vous expliquera comment vous en passer ». Il est daté d’aujourd’hui 8 février.

 

 

 

8 février 2011

 

ARGUMENTAIRE

 

Grève des tribunaux et moyens de la justice 

Contexte :

La polémique autour des dysfonctionnements survenus dans l’affaire Laëtitia a servi de prétexte à une « fronde » des magistrats, largement orchestrée par certains syndicats qui se réclament ouvertement de gauche. A leur initiative, le report d’audiences a déjà été voté par une cinquantaine de juridictions. Réfutant toute éventualité de mise en cause de leur responsabilité, les magistrats grévistes concentrent leurs attaques sur le manque de moyens de la Justice en France.

Éclairage :

1) Jamais aucun gouvernement n’a consenti un si grand effort pour le budget de la

Justice 

La Justice n’est pas un budget sacrifié, bien au contraire ! Depuis 2007 (6,27 Mds€), le budget de la justice a augmenté de près de 900 millions d’euros pour dépasser en 2011 le seuil jamais atteint des 7 Mds (7,1Mds exactement). Rien que pour 2011, ce sont 550 emplois nouveaux dont 399 de greffiers. Cette progression continue traduit la détermination du gouvernement à replacer la Justice au cœur de la société ;

Cet effort est d’autant plus symbolique au regard du mouvement de maîtrise des dépenses publiques engagé par ailleurs. Il convient en effet de rappeler que, dans le même temps que le budget de la Justice progressait significativement, l’Etat réduisait son déficit de 40% entre 2010 et 2011 ;

On ne peut pas dire que les gouvernements précédents en avaient fait autant. Les grévistes qui pointent le mauvais classement du budget français en Europe (0,19% du PIB, 37ème rang européen) oublient de rappeler que cette situation à laquelle nous tentons de remédier est le fruit d’un long héritage…Elisabeth GUIGOU, qui fort opportunément joint son éternelle « indignation » à la « colère des magistrats » devrait avoir l’honnêteté de rappeler l’état dans lequel elle a laissé le budget de la Justice en 2002. Il est vrai qu’avec les 35 heures et les emplois aidés, le Gouvernement auquel elle appartenait avait fait d’autres choix pour partager les fruits de la croissance de l’époque…Depuis que la droite est au pouvoir, nous avons redressé la situation : le budget de la Justice a augmenté de 40%.

2) L’efficacité de notre système judiciaire ne saurait se réduire à la sempiternelle question des moyens

– N’en déplaise aux grévistes et aux polémistes, c’est bien à la modernisation de la Justice française que nous nous som

1914 / 1918 : in memoriam

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A l’occasion des célébrations du 11 novembre, nous avons organisé en collaboration avec le Musée de la Grande Guerre et diverses associations locales (Rail Club, association des cartophiles du Pyas de Meaux), une exposition qui a permis à de nombreux visiteurs dont beaucoup d’écoliers et de collégiens de s’informer et pour certains de découvrir ce qu’a été la Grande Guerre. 

Une commémoration qui a également  permis de rappeler la singularité du combat des trop rares pacifistes de l’époque, dont le plus illustre, Jean Jaures, première victime d’un conflit dont il avait annoncé la violence  et l’absurdité bien avant son déclenchement …

Le devoir de mémoire permet de passer au tamis de l’histoire, certaines idées préconçues ou images d’Epinal convenues, de les confronter à un autre point de vue, moins institutionnel et officiel, afin de constater que certaines sont de réelles impostures à des années lumière de la réalité vécue par les combattants ou les populations civiles d’alors … Le tribunal de l’histoire réserve parfois son lot de surprises …

Et si dans l’histoire dite « moderne » un conflit nécessite un inventaire approfondi,  tant sur sa nature, ses causes, que ses conséquences, c’est bien  la guerre de 1914/ 18, car la Grande Guerre a été instructive à plus d’un titre …

 

 

Lorsqu’en 1914, la France, l’Angleterre et la Russie déclarent la guerre à l’Allemagne, peu pressentent le terrible cataclysme qui suivra, excepté la première victime de cette guerre, Jean Jaurès, qui avait décrit peu de mois avant son assassinat, l’indescriptible … 

« Quand on parle, quelquefois à la légère, de la possibilité de cette terrible catastrophe, on oublie, messieurs, que ce serait un événement nouveau dans le monde par l’étendue de l’horreur et par la profondeur du désastre. 

Et qu’on n’imagine pas une guerre courte, se résolvant en quelques coups de foudre et quelques jaillissements d’éclairs, ce sera, dans les régions opposées, des collisions formidables et lentes … 

Ce seront des masses humaines qui fermenteront dans la maladie, dans la détresse, dans la douleur, sous les ravages des obus multipliés, de la fièvre s’emparant des malades, et le commerce paralysé, les usines arrêtées …

Oui, messieurs, terrible spectacle et qui surexcitera toutes les passions humaines. Songez-y bien, messieurs, »

Une thématique déjà abordée dans son célèbre discours à la jeunesse prononcé le 30 juillet 1903 au lycée d’Albi où il avait été élève puis enseignant…

« L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. 

Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres.

 Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication …

Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. 

Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

 

Car les dirigeants de l’époque, comme leurs opinions publiques sont persuadés du contraire … Ce qui explique l’atmosphère des tout premiers jours de guerre, pour le moins guillerette. Pour beaucoup, le conflit sera rapide et annonce l’heure de la revanche … C’est peu de dire que les uns et les autres déchanteront très vite …

Début 1914, une guerre de mouvement s’amorce, les armées allemandes traversent la Belgique, envahissent la France et se dirigent vers Paris. C’est à ce moment clé, que se déroule la bataille de la Marne qui marque un  tournant décisif du conflit et le début d’une guerre de position interminable.

Elle permettra à l’armée française de rétablir une situation compromise, et fut véritablement la première guerre moderne. Un affrontement total, à la puissance de feu inégalée, cause d’une effroyable et intolérable boucherie dans laquelle « les marchands de canon » passeront en revue toutes les techniques modernes militaires, tant sur terre, que dans les mers et les airs! Jamais autant d’hommes n’avaient combattu jusqu’alors et n’étaient tombés sur le champ d’horreur !

Chacun retiendra qu’en septembre 1914, les allemands seront repoussés et n’atteindront pas Paris, les armées s’enterrant dans une guerre de position s’éternisant jusqu’en mars 1918, avant une nouvelle offensive encore stoppée sur la Marne, puis la victoire des troupes alliés menées par le généralissime Foch et la signature de l’armistice le 11 novembre 1918.

 

L’histoire officielle a célébré le nom de maréchaux ou généraux, pour certains grands bouchers devant l’éternel, et quelques clichés pittoresques, tel celui du général Gallieni réquisitionnant 600 taxis parisiens afin d’acheminer 6000 hommes sur le front et mener la contre-attaque contre la Ie Armée allemande de Von Kluck … 

  • N’oublions pas cependant, les mutineries qui durant l’été 1917 touchèrent les régiments français comme les autres armées impliquées dans le conflit, y compris l’armée allemande.
  • Rappelons le terrible bilan de cette catastrophe humaine sans précédent … une génération sacrifiée sous un déluge de feu, de plomb, de gaz et d’obus, 9 millions de morts (en France ou en Allemagne 25% des hommes entre 20 et 30 ans disparaitront), 20 millions de blessés, des milliers de villages et de villes détruites, des pays entiers à reconstruire.
  • Soulignons les  conséquences des conditions de paix imposés aux vaincus (une nouvelle  guerre mondiale, encore plus horrible) ou du conflit : la révolution russe, l’émergence des USA.  C’est une nouvelle carte du Monde et de l’Europe qui se dessine après 1918 …

 

Devant l’ampleur du conflit et son onde de choc, le Devoir de mémoire prend tout son sens …

Ce devoir de mémoire explique la volonté de la Communauté d’Agglomération du Pays de Meaux de créer un musée de la Grande Guerre, ici, sur cette terre qui a tant donné et perdu entre 1914 et 1918 … Légitimité du sang versé …

N’oublions jamais que plaines et vallons du Multien et de Brie, comme le sol de nos champs, de nos forêts ou de nos communes, a été nourri du sang des milliers de morts de toutes nationalités, races ou confessions, tombés au cours de ce conflit. 

Une des missions du futur  musée est bien de rappeler la réalité morbide et dramatique de ce conflit, de cette guerre moche et sale,  comme de nous interpeller sur ses causes réelles et l’ampleur de ses conséquences pour nos ainés et nous mêmes.
Certes le devoir de mémoire est un moment de souvenir, de recueillement et de respect envers ceux qui sont tombés, mais il est aussi et surtout un engagement vers l’avenir, nous  amenant à méditer les leçons souvent douloureuses  de l’histoire,  afin que demain soit plus beau qu’hier et que les hommes ne renouvellent pas sans cesse les erreurs du passé … Comme une fatalité …

 

C’est pourquoi j’ai proposé que le 11 novembre 2011, à l’occasion de l’inauguration du futur Musée, nous invitions les Maires de nos villes jumelées, notamment allemandes,

 

Car un des multiples enseignements de ce conflit, est qu’il n’y a eu ni vaincus, ni vainqueurs, 

Il n’y a  eu que des perdants …

 

 

70 ans ont passé …

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Certaines cérémonies nous éloignent heureusement d’une actualité ou le manque de valeurs républicaines, y compris de nos dirigeants, devient préoccupant, c’est notamment le cas de ce 14 juillet 2010, qui intervient  70 ans après 1940, l’année où tout a basculé, avec l’appel du 18 juin ….

Epoque épique que celle de la 2ème guerre mondiale.
Nous sommes toujours redevables aujourd’hui aux anciens qui ont permis à la France de sortir, non seulement la tête haute d’un conflit mondial généralisé, mais qui l’ont libéré du joug d’une dictature sanguinaire.

Souvenons nous de l’importance de cet appel, lueur insensée, fragile et magique, véritable fanal d’un phare s’adressant à un pays perdu dans la tempête et qui l’a mené peu à peu à bon port.

Saluons la décision  historique de Charles de Gaulle, alors sous-secrétaire d’État à la Défense, qui de retour d’une visite d’Etat à Londres auprès de Winston Churchill le 16 juin 1940, apprend le même jour la nomination du maréchal Pétain, partisan de l’armistice, comme nouveau chef du gouvernement et à l’écoute de l’annonce à la radio, le lendemain, par ce dernier de  l’arrêt des combats décide de  repartir immédiatement pour Londres.

Il y rencontre aussitôt Churchill et lui fait part de son intention d’appeler à la résistance ses compatriotes. Ce dernier, contre l’avis de nombreux ministres britanniques pensant la victoire des nazis inéluctable, l’aide dans cette folle entreprise.
Trop de citoyens ignorent ce que notre pays doit à Winston Churchill. Sans lui, il n’y aurait pas eu d’appel du 18 juin.
Les journées qui ont suivi ont été déterminantes, peu de nos compatriotes ayant entendu le Général alors. C’est jour après jour, pierre par pierre, de bouche à oreille, que ce Général de Brigade à titre temporaire de 49 ans, va bâtir non seulement un destin unique, mais ouvrir de nouvelles perspectives à notre pays grâce à la puissance et au pouvoir des mots légitimes qu’il a prononcé.


« La première chose à faire était de hisser les couleurs, a t’il écrit bien des années après, la radio s’offrait pour cela.

A mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie, celle que j’avais mené dans le cadre d’une France solide et d’une indivisible armée. A quarante-neuf ans, j’entrais dans l’aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries. »

 

C’est avec reconnaissance et émotion que nous nous sommes associés à cette commémoration lors de la fête nationale, dédiée à la République et à ses valeurs, anti thèse de celles défendues par les nazis et les fascistes…
Il est heureux qu’en 1940, les français de souche, de nationalité ou de cœur, de toutes origines, couleurs, cultures, religions, se soient mobilisés contre vent et marées, au péril de leur vie, pour libérer notre pays et nos consciences … Nous n’oublierons jamais notre dette a leur égard !

Un de ces français a illuminé de ses mots simples cette période noire de notre histoire. Son recueil « Poésie et Vérité » parut en 1942 rassemblant des poèmes de lutte a été diffusé à travers toute l’Europe sous le manteau, par radio, ou parachutage, dont le plus fameux, Liberté


Chacun comprendra mon émotion lorsque j’ai honoré au nom de l’Etat français, quatre de nos anciens, qui ont traversé cette période trouble, tumultueuse et dramatique de notre histoire. Il est essentiel, aujourd’hui plus qu’hier, de rappeler leur dévouement et le sacrifice de ceux qui y ont laissé malheureusement leur vie.


Tous, ils ont rendu ses couleurs à notre pays et à notre République : le Bleu, le Blanc, le Rouge et redonné sens aux trois valeurs républicaines : Liberté, Egalité, Fraternité …


 

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Liberté

 

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

 

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

 

Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J’écris ton nom

 

Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l’écho de mon enfance

J’écris ton nom

 

Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J’écris ton nom


Sur tous mes chiffons d’azur

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom


Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J’écris ton nom

 

Sur chaque bouffée d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J’écris ton nom

 

Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J’écris ton nom

 

Sur les formes scintillantes

Sur les cloches des c ouleurs

Sur la vérité physique

J’écris ton nom

 

Sur les sentiers éveillés

Sur les routes déployées

Sur les places qui débordent

J’écris ton nom

 

Sur la lampe qui s’allume

Sur la lampe qui s’éteint

Sur mes maisons réunis

J’écris ton nom

 

Sur le fruit coupé en deux

Dur miroir et de ma chambre

Sur mon lit coquille vide

J’écris ton nom

 

Sur mon chien gourmand et tendre

Sur ses oreilles dressées

Sur sa patte maladroite

J’écris ton nom

 

Sur le tremplin de ma porte

Sur les objets familiers

Sur le flot du feu béni

J’écris ton nom

 

Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J’écris ton nom

 

Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom

 

Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J’écris ton nom

 

Sur l’absence sans désir

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écris ton nom

 

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

 

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.

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Paul Eluard

1942, « Poésies et vérité »

La note juste

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Ce samedi, nous avons rendu un hommage mérité à Michel Vallier à l’occasion de sa nomination comme Maire Honoraire.

Exercice de style particulier …
Si nous avons voulu  garder le relativisme des choses afin d’éviter toute flagornerie ou cirage de pompe superflu,  qui serait à des années lumière de la nature profonde de ce qu’est réellement Michel, comment dans le même temps ne pas honorer l’action exceptionnelle qu’il a mené pour notre commune ?

Il y a eu en effet un avant, que j’ai connu comme simple habitant, Trilport était alors une ville sans équipement structurant, services à la population ou projet de territoire, et un après, suite à l’action qu’il a initié de 1978 à 2004 (date à laquelle j’ai pris le relais), et durant laquelle la commune s’est développée autour non seulement de nouvelles infrastructures mais  des liens sociaux qui s’y sont multipliés : vie associative, action sociale, liens multi générationnels …
Plus encore en creusant des fondations solides et profondes, il nous permet aujourd’hui de bâtir un projet de développement de territoire solidaire, en harmonie avec le magnifique patrimoine naturel qui nous entoure et les objectifs environnementaux qui s’imposent à tous.

Il nous semblait important afin de lui rendre l’hommage qu’il mérite d’inviter une personnalité emblématique de la noblesse de l’action publique lorsqu’elle est au service des autres et du collectif.
C’est ainsi que j’ai proposé à Lionel Jospin de venir à Trilport célébrer cet évènement, eu égard à l’admiration que Michel Vallier porte à son action d’homme d’Etat,  mais également du fait des valeurs d’altruisme que représente plus que quiconque l’ancien Premier Ministre, comme aux qualités que chacun lui reconnait : intégrité, respect de la parole donnée, sens de l’action collective, qui sont suffisamment rares dans le monde politique, pour être soulignées.

Lionel Jospin était  certainement le plus à même d’officier en cette occasion.

Il était … la note juste …

 

Plaisir double, car je n’oublie pas que j’ai été son étudiant durant deux années à Sceaux. Incontestablement, il a contribué comme Michel Vallier à mon engagement dans la vie politique. Concernant cette question essentielle de l’engagement, je me retrouve totalement dans ses propos  :

« S’engager, c’est quitter l’état de spectateur pour rejoindre celui d’acteur … à la fidélité aux convictions, il faut joindre la recherche de l’intérêt général. S’engager, c’est prendre conscience que l’on appartient à une société, c’est, plus largement, se vouloir partie prenante de la communauté des hommes.

L’engagement est une dimension essentielle de la condition humaine »

C’est peu de dire que nous avons été honoré par une telle visite.
Beaucoup espèrent et pensent, comme moi, que les graines semées par l’action de Lionel Jospin,  et elles sont innombrables, fleuriront demain jusqu’à devenir de beaux fruits qui porteront  de nouvelles perspectives, perspectives dont nous avons le plus grand besoin  …

 

Extrait du Discours que j’ai prononcé pour l’occasion …

Michel nous pardonnera sans doute de lui avoir fait la surprise de cette venue …

 

 


lionel.jpg«  J’ai réellement découvert Michel Vallier à la fin des années 1980 …

lorsque il a proposé au jeune étudiant et Directeur de Colo que j’étais, d’encadrer avec une partie de son équipe municipale, des séjours dans le Morvan destinés à divertir les jeunes Trilportais.

C’est ainsi que nous nous sommes rendus durant quelques années, à un jet de pierre de l’abbaye de La Pierre qui Vire, à Quarré les Tombes plus précisément … Nom prédestiné s’il en est, pour un pèlerinage …

Nous formions déjà à l’époque un tandem : à moi l’animation et la gestion du quotidien, à lui la partie culturelle du séjour. Un volet culturel du style, intense et dense … du lourd, voir du très lourd … Les jeunes en avaient pour leur argent.

« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » a écrit Malraux, et c’est en vrais conquérants (en car, à pied, par monts et par vaux, par tous les temps), que nous avons découvert ce coin de France magnifique qu’est le Morvan: carrières, forêt, lacs, vestiges romains, églises, tout était source de savoir pour notre guide. Mais 2 thématiques lui tenaient plus particulièrement à cœur :

la géologie, quoi de plus normal pour un Professeur Agrégé (il y tient !), en Sciences Nat’, passionné de l’environnement et des pierres de tout type et de tout poids,
mais également l’histoire, notamment la période charnière de la transition entre roman et gothique, magnifiée notamment par Umberto Eco dans son livre admirable « le Nom de la Rose »,

Michel nous a démontré, que paradoxalement, il pouvait y avoir de la grandeur et de la hauteur dans le roman, comme de l’humilité, de la retenue et du dépouillement dans le gothique … Tout est affaire de nuances, de relativisme, de passion, et ce dans tous les sens du terme, ou d’engagement spirituel.

C’était le Da Vinci Code avant l’heure … le mystère du verbe qui se fait pierre et qui devient vérité révélée…

Signalons, juste pour l’anecdote, deux autres temps forts, d’ordre plus récréatif : la toilette matinale dans les eaux de la rivière locale, le Trinclin, très revigorante, et la chasse au dahut … un moment attendu de tous, jeunes et moins jeunes. Cette « quête du Graal » donnait lieu à une véritable expédition nocturne dans la forêt, vu la timidité légendaire de l’animal recherché. Moments partagés inattendus qui nous ont permis de découvrir un Michel plus intime, «libéré » en quelque sorte …
Notamment, lorsqu’à une heure avancée de la nuit, il sortait d’une de ses innombrables poches, un élixir mystérieux, très certainement à l’origine de sa sérénité, de sa sagesse reconnue de tous et de sa longévité … La consommation de cette mixture, élaborée à partir d’un mélange d’alcools et de fruits, dénommée « confiture de Vieux garçon », digne d’une vraie A.O.C et à laquelle la main bienveillante de Paulette ne devait pas être étrangère, et qui nous a donné l’occasion de « Changer la vie » et de refaire le monde, en de maintes occasions !

Ces instants privilégiés m’ont permis de découvrir l’homme, sa simplicité et ses valeurs et sont à l’origine de mon implication à ses cotés lorsque j’ai décidé un beau jour de m’engager en politique dans la vie locale.

J’ai alors intégré sa liste municipale et ce fut le point de départ d’une collaboration étroite de plus de 20 années, émaillée de combats électoraux, victorieux ou non, d’un engagement croissant comme élu local à ses cotés, aux services des autres, de tous les autres, sans distinction ou préférence politique. 20 ans de passion partagée dans le respect mutuel et les valeurs communes.

Depuis, mon parcours c’est quelque peu étoffé, j’ai rencontré nombre d’hommes ou de femmes politiques, élus ou pas, toutes catégories et tendances confondues, du poids plume au poids lourds … voir même au très lourd …

Michel Vallier est un cas unique, atypique, ce que ses électeurs ont toujours pressenti et jamais oublié, ceci explique peut être cela … Au delà de ses convictions il a mis au premier plan l’humain, le sens de l’écoute, l’esprit de dialogue, le respect des autres et du service public. Il a beaucoup de similitudes avec le personnage principal du remarquable film de Franck Capra « Mr Smith au Sénat », œuvre magistrale qui interpelle avec justesse la classe politique sur le sens des valeurs, l’altruisme, la profondeur des engagements, et la différence fondamentale entre la fin et les moyens.

Toutes ces années auprès de lui, m’ont renforcé dans ces convictions et sont à l’origine de mes choix d’élu mais aussi d’homme … Entre le virtuel, le miroir aux alouettes, l’éphémère, voir l’instantané, et le concret, le durable, le réalisé, j’ai choisi.
Certains apprennent leur « métier d’élus » dans de grandes écoles spécialisées en technocratie et communication, sans aucun service après vente pour les citoyens, moi j’ai eu le bonheur de l’apprendre aux cotés d’un artisan passionné, sur le terrain, au quotidien et au concret, école d’humilité et de devoirs s’il en est et je lui en suis reconnaissant …

Il nous semblait important avec l’équipe municipale que je représente, de lui rendre un hommage sincère, appuyé, et surtout mérité. Il nous fallait inviter pour cela une personnalité emblématique de la noblesse de l’action publique, lorsqu’elle est au service des autres et du collectif.


Connaissant l’admiration que Michel a pour votre action, je vous ai proposé Monsieur le Premier Ministre de venir à Trilport, et je vous suis reconnaissant d’avoir accepté notre invitation …

Cependant, permettez à un de vos anciens étudiants, promo 1978 / 1980, d’évoquer quelques souvenirs plus personnels.

Je ne reviendrais pas sur l’excellent professeur que vous étiez, même aux yeux d’un jeune rocardien, et à l’époque c’était chaud. Sachez cependant que si vos cours d’économie politique nous passionnaient, votre itinéraire politique, non médiatique j’insiste, c’était une autre époque, nous interpellait et nous rendait fiers tout à la fois, et ce toutes tendances politiques confondues.

Avec vos étudiants, vous avez toujours brisé l’armure.

Je me souviens de votre arrivée dans l’amphi, au retour d’un congrès du PS dans lequel François Mitterand vous avez appelé à ses cotés. Devant la standing ovation que nous vous avions réservé, y compris les étudiants de droite c’était déjà l’ouverture, vous aviez eu deux remarques avant de débuter votre cours … « je vois que vous lisez les journaux et vous en félicite … » puis peu après … « Vous savez il faut toujours relativiser, ma femme m’a rappelé qu’à la Maison également, j’étais le numéro 2 »…

Un autre jour, vous m’aviez pris en stop devant l’IUT, pour m’amener de Sceaux à la Cité U d’Anthony dans une 2 CV qui avait manifestement de nombreuses heures de vol. Je me suis retrouvé à coté d’exemplaires tout fripés de BD, dont une « Tartine » qui devait appartenir à l’un de vos enfant et n’est pas ouvert la bouche du voyage, littéralement tétanisé par l’émotion ! Comme quoi la vie transforme les individus, et j’aurais du savoir « qu’une personne qui roule en 2 CV, est forcément quelqu’un de bien … »

Quelques mois après, jeune appelé au 10 eme RCS de Montmédy, installé devant une télé, je regardais la cérémonie au Panthéon. Devant l’interpellation d’un officier me demandant ce qu’il y avait de si intéressant, manifestement il n’était pas au 7eme ciel, je lui ai désigné mon ancien Professeur … Cette simple information m’a permis de terminer 1ere Classe sans l’ombre d’une corvée, ce dont je vous suis encore reconnaissant …

Nos routes se sont ensuite croisées à de maintes occasions du fait de nos opinions politiques communes, et des diverses campagnes heureuses ou non qui ont ponctué ces années d’engagement …

Concernant cette question essentielle de l’engagement, je ne peux résister à l’envie de vous citer …

« S’engager, c’est quitter l’état de spectateur pour rejoindre celui d’acteur … à la fidélité aux convictions, il faut joindre la recherche de l’intérêt général

S’engager, c’est prendre conscience que l’on appartient à une société, c’est, plus largement, se vouloir partie prenante de la communauté des hommes.

L’engagement est une dimension essentielle de la condition humaine »

 

Sachez Monsieur le Premier Ministre, que toutes les graines que vous avez semé, et elles sont nombreuses, demain refleuriront et deviendront de beaux fruits qui nous ouvriront de nouvelles perspectives, nous en avons particulièrement besoin en ce moment …

Eu égard, à ce que vous avez apporté à l’action publique et politique, aux valeurs d’altruisme et collectives que vous représentez plus que quiconque, et au respect que vous avez toujours eu de la parole donnée, vous étiez certainement le plus à même d’officier en cette occasion.

Vous étiez la note juste …


C’est pour toutes ces raisons Messieurs que je suis particulièrement honoré d’être aujourd’hui, entre deux élus « d’un tel acabit » comme le chanterait Brassens … Deux élus dont d’ailleurs des villes portent le nom, c’est dire …

Jospinet pour l’un, Ville Vallier, et même Saint Vallier pour l’autre, ce qui en ce jour revêt une signification toute particulière, chacun en conviendra, même si cette cérémonie est avant tout et surtout, une cérémonie républicaine.

 

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Racines identitaires …

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Le passionnant dossier du Nouvel Observateur consacré à l’immigration, sous le titre « Comment ils sont devenus français » constitue un vrai bol d’air après des mois de débats frileux, voir nauséabonds consacrés à l’identité nationale … Débats qui reconnaissons le nous ont pas mal  pollué l’atmosphère ces derniers temps !
Ce dossier apporte un regard frais, voir un peu décalé, sur les racines de la France d’aujourd’hui et d’hier, qui sont multiples, et a suscité chez moi une certaine émotion vu mon parcours familial. Cette question des origines et de l’identité étant en effet pour certains d’entre nous quasi existentialiste car fondatrice, et nous touchant jusqu’à l’intime …

Avant d’aller plus loin, une autre interrogation est également possible, un citoyen français d’aujourd’hui a t’il une ou plusieurs identités ?
A l’époque ou l’on peut quasiment faire le tour de son avatar en 3D, le titre du film de Cameron est évocateur, comme à l’heure de la mondialisation, qui met à mal beaucoup de nos repères, cette véritable quête identitaire mérite qu’on y consacre une réflexion plus générale au regard de la place qu’elle occupe et occupera toujours dans l’espace public demain …

D’autant que si cet excellent dossier est consacré à la valeur ajoutée inestimable apportée par certains  émigrés célèbres, qui ont incontestablement marqué notre pays, notre histoire ou notre culture, (rappelons que 5 des 7 personnalités françaises préférés des français sont issues de l’immigration), une autre étude, l’enquête « trajectoires et origines (dite Téo) » menée conjointement par l’INSEE et l’INED en 2008 apporte un lot d’informations quantitatives instructives qui mettent à mal certaines théories entendues concernant  les « français de souche ».

La France comptait en 2008 (date de l’enquête) 5 millions d’émigrés, soit 8% de sa population. Plus on remonte au fil des générations, plus cette proportion grandit contrairement à celle des «français dits de souche » qui elle diminue … 11% de la population a un parent au moins d’origine étrangère (6,5 millions) dont 3 millions deux parents,  si nous remontons jusqu’aux grands parents nous approchons la barre des 20% !

Une situation qui m’interpelle singulièrement puisque c ’est la mienne … Je suis né fils d’immigré ce que je n’oublierais jamais, tant je dois à mes grands parents comme  à ce pays …

Mes grands parents Mariano, Miguel, Salvadora, Grégoria ont vécu toute leur vie avec  un certificat de réfugié et une carte de séjour, dans ce pays qu’ils avaient choisi avec la passion du navigateur qui après avoir affronté bien des tempêtes et des aléas, décide un beau jour de poser son sac, devant un rivage qui lui fait soudain signe et se dit « ca y’est c’est ici » …
Ils s’y sont installés, fuyant une dictature sanguinaire à pied avec enfants et troupeaux (ces derniers bloqués à la frontière) lors de la fameuse  « retirada » (nom donné à l’exode des républicains espagnol ). Nouvelle vie, nouveau départ, espérance en des jours meilleurs pour leurs familles et leur enfants dans ce pays qu’ils nous ont appris à aimer tant et tant.

Une terre d’accueil choisie avec le coeur, qui dans la tourmente leur a ouvert ses bras. Ce que je n’oublierais jamais …

 

Mais l’identité c’est encore bien plus …

 

 

 

Je suis un fils de la République, issu de son école, façonné au creuset des quatre valeurs fondamentales qui caractérisent la France, fruits de la révolution de 1789 …  Liberté, égalité, fraternité mais aussi laïcité …

Des valeurs auxquelles je suis viscéralement attaché et qui font que chaque homme, chaque femme de ce territoire est par essence, un citoyen libre de son devenir, membre d’une communauté qui lui donne  le droit de pratiquer ou non et surtout librement son culte dans un cadre digne et dans le respect d’autrui. Valeurs qui ont servi de matrice à notre socle constitutionnel qui au fil des années s’est enrichi et font ce pays : solidarité sociale, services publics, indépendance de la justice,  organisation territoriale … Fondations d’une citoyenneté assumée dans laquelle chacun dispose de droits mais aussi et surtout de devoirs …

Mais l’identité c’est encore et toujours bien plus, elle intègre ce supplément d’âme que l’on nomme culture  … « Ma patrie c’est la langue française » écrivait joliement Camus …

Je me souviens avec nolstalgie de mes premières émotions littéraires dans ma petite école méditerranéenne à Hyères, à la lecture des livres de Pagnol qui chantait si bien ma terre natale, ses odeurs, ses couleurs et ses attraits multiples …

J’ai vibré ensuite avec les textes de Villon, Ronsard, Verlaine, Baudelaire, Hugo, Rimbaud puis Aragon, Prévert, les chansons de Brassens, Brel ou Gainsbourg … A la ligne mélodique de leurs mots, au rythme de leurs vers et à la percussion, la chaleur et la lumière de leurs textes.

J’ai grandi avec les romans de Malraux, Camus, Saint Exupéry et Céline … Ouvrant autant de perspectives vers un monde à construire, des solidarités à bâtir et la nécessité de s’engager pour changer la vie …

J’ai tremblé  à l’évocation de l’histoire contrasté de ce pays, pour ses ombres, mais surtout ses lumières innombrables,

Je me suis passionné pour sa géographie en découvrant vallons, plaines, rivières, montagnes, sommets et océans qui sont autant de richesses fragiles et authentiques et font la richesse et la diversité de cette terre …

J’ai chanté la Marseillaise avec Platini, Zidane, Blanc ou Thuram … même si le sang impur qui abreuve nos sillons m’interpelle toujours et encore … La vitalité de notre patrie s’est nourrie de la diversité, « Black, Blanc, Beur »; en avoir peur aujourd’hui, c’est  avoir peur en soi même et perdre bcette énergie positive créatrice …

Depuis ses origines et de par sa position géographique, la France est en effet une terre de mélange, ce qui en fait à la fois sa force, sa particularité et la richesse de son identité …  Ici, point de notion de race privilégiée, de religion officielle, mais plutôt  et surtout de communauté nationale épanouie, forgée au creuset républicain, communauté de culture, de valeurs, de destin et de destinée mais aussi et surtout d’harmonie …

C’est tout cela qui fait que je suis profondément français, car il est vrai que je ne suis pas né français ce que j’ai tendance à oublier depuis toujours …

 

Pour autant, doit on  limiter une identité à un seul rivage … Aujourd’hui plus qu’hier, nous sommes la résultante de diverses citoyennetés qui s’interconnectent et s’entremêlent … Le local, le pays, le continent, la planète …

Comme Hugo, je me sens profondément européen ainsi que l’étaient mes grands parents qui ne savaient pourtant ni lire ni écrire. L’Europe est une réalité qu’il nous faut toujours construire …

Vu l’état de  la planète qui nous héberge, notre responsabilité ne peut se limiter à la seule question des frontières et des humains … Nous sommes  plus que jamais citoyen d’un monde qui ne nous appartient pas, dépositaires en tant que tel d’une lourde responsabilité envers qles générations futures ou le devenir de notre planète et de tous les éléments qui le peuplent  …  l’éco citoyenneté doit s’imposer à tous et en urgence !

 

Notre identités est composite, dans l’attente des identités virtuelles (avatar, clone …) que le futur nous réserve sans nul doute. Cependant la matrice des valeurs qui nous façonne et nous anime est  la même … Questions d’invariants … Droits, devoirs, respect d’autrui …

L’identité ne peut pas être que nationale, elle n’est pas non plus figée une fois pour toute. C’est une dynamique qui se construit et se transforme tout au long de l’existence dans le respect de certains invariants, nos valeurs …

 

Vaste programme, non ?

 

 

To be or not to be ?

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That is the question …

Une problématique toute personnelle que l’actuel Ministre de l’immigration et de l’Identité Nationale (il fallait vraiment vouloir assumer la responsabilité d’un ministère portant cet intitulé) doit apparemment se poser dans son fort intérieur …
Car pour exister, du moins médiatiquement, il se donne un mal de chien, ou de ministre, cet homme, en multipliant les initiatives les plus diverses et en courant le moindre plateau télé … sans grand succès ma foi, et heureusement, car au niveau exemplarité …

Un de nos philosophes les plus fameux a écrit que l’identité est une trajectoire. Lorsque l’on voit la trajectoire fulgurante de ce Ministre, beaucoup se demandent jusqu’où s’arrêtera sur l’échiquier politique la dérive de celui qui donne de la politique une image aussi sulfureuse.
Comme quoi, parfois un homme est la proie de ses vérités …

Mais là n’est pas le problème. Le plus grave dans cette affaire est d’avoir mêler immigration et identité nationale au sein d’un même ministère. Une décision qui m’interpelle, me choque et me révulse. Il y a la question de l’immigration et il y a celle de l’identité, différentes par nature, elles méritent chacune des approches différenciées.
Si l’on se réfère à notre histoire contemporaine, les périodes où le politique a mêlé la question de l’identité et celle de l’immigration ne sont pas parmi les pages les plus glorieuses; pourtant, paradoxe, la France serait elle réellement la France, sans immigration ? 
Tous les Français, disait Braudel sont fils d’immigrés. La faute à l’histoire mais surtout à la Géographie qui a fait de notre pays un carrefour européen et méditerranéen …

Mener un débat sur l’identité nationale dans les préfectures à la demande du chef de l’état est une confusion des genres regrettable dont les  raisons politiciennes, à proximité immédiate des élections régionales, n’ont trompé personne. C’est pourquoi je ne me rendrais pas au débat organisé ce jour par le Sous Préfet.

Pourtant, cette problématique est centrale. Si la question identitaire est une interrogation majeure pour un individu, c’est une interpellation politique et philosophique essentielle pour une communauté. Y répondre collectivement nous éloigne de la fourmilière, et fait que l’homme est homme … Encore faut il mener sérieusement cette réflexion de fond. Ce débat exige profondeur, clarté et  sérénité. Il s’agit d’une quête identitaire qui transcende les  clivages politiques et peut se résumer en une phrase simple : que signifie aujourd’hui dans ce monde globalisé et éclaté dans lequel nous vivons  être français ?

Lors d’un interview l’historien Fernand Braudel a apporté une contribution lumineuse que je vous propose de lire ou relire … Une contribution parmi d’autres, car le sujet mérite que chacun s’y arrete, et apporte sa pierre à l’oeuvre collective, que l’on soit puissant ou non, « sachant » ou non …

 

 

L’identité française selon Fernand Braudel

 

mediterranee.jpgJe crois que le thème de l’identité française s’impose à tout le monde, qu’on soit de gauche, de droite ou du centre, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite.
C’est un problème qui se pose à tous les Français. D’ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l’histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu’elle accepte ou qu’elle n’accepte pas, qu’elle transforme ou auxquels elle se résigne.

Mais, enfin, c’est une interrogation pour tout le monde.

II ne s’agit donc pas d’une identité de la France qui puisse être opposée à la droite ou à la gauche. Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité.

Vous me demandez s’il est possible d’en donner une définition. Oui, à condition qu’elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. Pour moi, l’identité de la France est incompréhensible si on ne la replace pas dans la suite des événements de son passé, car le passé intervient dans le présent, le « brûle ».

C’est justement cet accord du temps présent avec le temps passé qui représenterait pour moi l’identité parfaite, laquelle n’existe pas. Le passé, c’est une série d’expériences, de réalités bien antérieures à vous et moi, mais qui existeront encore dans dix, vingt, trente ans ou même beaucoup plus tard. Le problème pratique de l’identité dans la vie actuelle, c’est donc l’accord ou le désaccord avec des réalités profondes, le fait d’être attentif, ou pas, à ces réalités profondes et d’avoir ou non une politique qui en tient compte, essaie de modifier ce qui est modifiable, de conserver ce qui doit l’être. C’est une réflexion attentive sur ce qui existe au préalable. Construire l’identité française au gré des fantasmes, des opinions politiques, ça je suis tout à fait contre.

Le premier point important, décisif, c’est l’unité de la France. Comme on dit au temps de la Révolution, la République est « une et indivisible ». Et on devrait dire : la France une et indivisible. Or, de plus en plus, on dit, en contradiction avec cette constatation profonde : la France est divisible. C’est un jeu de mots, mais qui me semble dangereux. Parce que la France, ce sont des France différentes qui ont été cousues ensemble. Michelet disait : c’est la France française, c’est-à-dire la France autour de Paris, qui a fini par s’imposer aux différentes France qui, aujourd’hui, constituent l’espace de l’Hexagone.

La France a dépensé le meilleur de ses forces vives à se constituer comme une unité ; elle est en cela comparable à toutes les autres nations du monde. L’oeuvre de la royauté française est une oeuvre de longue haleine pour incorporer à la France des provinces qui pouvaient pencher de notre côté mais avaient aussi des raisons de ne pas désirer être incorporées au royaume. Même la Lorraine en 1766 n’est pas contente de devenir française. Et que dire alors des pays de la France méridionale : ils ont été amenés dans le giron français par la force et ensuite par l’habitude.

II y a donc dans l’identité de la France ce besoin de concentration, de centralisation, contre lequel il est dangereux d’agir. Ce qui vous suggère que je ne vois pas la décentralisation d’un oeil tout à fait favorable. Je ne la crois d’ailleurs pas facile. Je crois que le pouvoir central est tel que, à chaque instant, il peut ramener les régions qui seraient trop égoïstes, trop soucieuses d’elles-mêmes, dans le sens de l’intérêt général. Mais c’est un gros problème.

La seconde chose que je peux vous indiquer, c’est que, dans sa vie économique, de façon curieuse, depuis la première modernité, la France n’a pas su réaliser sa prospérité économique d’ensemble. Elle est toujours en retard, pour son industrialisation, son commerce. Cela pose un problème d’ordre général. Et d’actualité, si cette tendance est toujours valable. Comme si, quel que soit le gouvernement, la France était rétive à une direction d’ordre étatique.

Or la seule raison que je vois qui soit une raison permanente est que l’encadrement capitaliste de la France a toujours été mauvais. Je ne fais pas l’éloge du capitalisme. Mais la France n’a jamais eu les hommes d’affaires qui auraient pu l’entraîner. Il y a un équipement au sommet, au point de vue capitaliste, qui ne me semble pas parfait. Nous ne sommes pas en Hollande, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Japon. Le capitalisme est avant tout, pour moi, une superstructure et cette superstructure ne réussit pas à discipliner le pays jusqu’à sa base. Tant mieux peut-être ou tant pis, je n’en sais rien. Mais l’inadéquation de la France à la vie économique du monde est un des traits de son identité.

Dernier trait : la France ne réussit pas au point de vue économique ; elle réussit au point de vue politique de façon limitée parce qu’elle triomphe, précisément, dans ses propres limites. Toutes ses sorties en dehors de l’Hexagone se sont terminées de façon malheureuse, mais il y a un triomphe permanent de la vie française, qui est un triomphe culturel, un rayonnement de civilisation.

L’identité de la France, c’est ce rayonnement plus ou moins brillant, plus ou moins justifié. Et ce rayonnement émane toujours de Paris. Il y a aussi une centralisation très ancienne de la culture française. Bien sûr, il existe bien d’autres conditions : triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d’un nombre considérable d’étrangers. Il n’y a pas de civilisation française sans l’accession des étrangers ; c’est comme ça.

Le gros problème dans le monde actuel est de savoir comment la société française réussira ou non à accepter ces tendances et à les défendre si nécessaire ; si vous n’avez pas, par exemple, une politique de rayonnement à l’égard de l’Europe et du monde entier, tant pis pour la culture française.

La langue française est exceptionnellement importante. La France, c’est la langue française. Dans la mesure où elle n’est plus prééminente, comme ce fut le cas aux XVIIIe et XIXe siècles, nous sommes dans une crise de la culture française. Avons-nous les moyens de remonter la pente ? Je n’en suis pas sûr, mais j’ai quelque espoir. L’empire colonial que nous avons perdu est resté fidèle à la langue française. C’est vrai aussi des pays de l’Est, de l’Amérique latine.

L’identité française relève-t-elle de nos fantasmes collectifs ? Il y a des fantasmes et il y a autre chose. Si j’ai raison dans ma vision de l’identité française, quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente de la culture, de la politique de la société française. J’en suis sûr. Cette réalité rayonnera ou ne rayonnera pas, mais elle est. Pour aller plus loin, je vous dirai que la France a devant elle des tâches qu’elle devrait considérer avec attention, avec enthousiasme. Elle est devenue toute petite, non parce que son génie s’est restreint, mais en raison de la vitesse des transports d’aujourd’hui. Dans la mesure où, devenue toute petite, elle cherche à s’étendre, à agripper les régions voisines, elle a un devoir : faire l’Europe.

Elle s’y emploie, mais l’Europe s’est accomplie à un niveau beaucoup trop haut. Ce qui compte, c’est de faire l’Europe des peuples et non pas celle des patries, des gouvernements ou des affaires. Et ce ne sera possible que par la générosité et la fraternité.

 

Cet entretien, publié dans les colonnes du Monde les 24-25 mars 1985, a été réalisé par Michel Kajman.