Pour des mobilités péri urbaines

 

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Si la dégradation des transports franciliens (retards, suppressions, état de propreté, travaux … ) impacte tous les usagers sans exclusive, elle est encore plus mal ressentie par ceux qui y passent le plus de temps. Depuis l’été, une ligne SNCF apparait particulièrement sinistrée (la ligne P) et illustre les conditions de transports quotidiennes, plus que limites, subies par les usagers en 2016, même si ce cas ne semble pas isolé.

Impliqué sur les questions de mobilité depuis plus de dix ans en qualité de Maire d’une ville seine et marnaise de 5000 habitants dotée d’une gare, et Vice Président d’une Communauté d’Agglomération qui constitue un véritable hub pour plus de 200 000 personnes vivant dans les bassins de vie du Nord Est Seine et Marnais, je suis devenu au fil des ans, et presque malgré moi, quelque peu spécialiste « es mobilités péri urbaines ».

Ce billet reprend, pour l’essentiel, la trame d’une note élaborée dans le cadre des élections régionales, aux  propositions essentiellement tournées vers le péri urbain, ce que j’assume, tant ces territoires ont trop longtemps été considérés comme de simples variables d’ajustement, alors qu’ils sont avant tout pour nous qui y vivons des terres d’épanouissement, des terres d’avenir.

Je veux souligner que beaucoup de mesures mises en place sous l’autorité de Jean Paul Huchon, dont le cadencement, ont apporté une incontestable valeur ajoutée sociale et induit de nouveaux usages. Ces mesures ont contribué, incontestablement, à changer la vie au quotidien de milliers d’usagers et ouvrir de nouvelles perspectives à des territoires qui en manquaient cruellement jusque là.
Paradoxalement, elles font apparaître en creux aujourd’hui, toutes les faiblesses et lacunes d’un réseau sous dimensionné, obsolète, qui souffre de plus de trente ans de sous investissement et d’abandon. Que ce soit au niveau des voies comme du matériel roulant. J’en veux pour preuve la multiplication quotidienne des incidents et dysfonctionnements d’aujourd’hui qui exaspèrent au plus haut point les usagers durement mis à l’épreuve depuis des années.

Les mobilités en Grande Couronne sont une priorité absolue et urgente, tant ces territoires attirent de plus en plus d’habitants et que le réseau ferré y est plus que thrombosé. Beaucoup craignent que la métropolisation en cours n’amplifie les inégalités territoriales et sociales déjà pourtant très grandes, pour faire simple, que la grande métropole n’aspire l’essentiel des moyens financiers et logistiques.
Nous savons que si aucun investissement d’envergure n’est lancé dans les prochains mois sur les réseaux sinistrés de la Grande couronne, c’est toute l’Ile de France qui risque de se retrouver paralysée demain. L’inquiétude des élus, au regard des budgets locaux plus que contraints, est que l’essentiel des moyens financiers ne se concentrent sur le seul réseau du Grand Paris Express; d’autant que ce dernier possède de sérieuses zones d’ombre : sous estimation financière des infrastructures souterraines, pas ou peu de prévision sérieuse sur le cout des reports modaux, les charges liées à la multimodalité n’apparaissant dans aucun modèle financier ! Conséquence l’addition pourrait fort être beaucoup plus salée que celle initialement envisagée.

Mes propositions ne se limitent pas aux seuls investissements lourds, mais intègrent également des actions liées aux spécificités de la dimension péri-urbaine. Je suis persuadé qu’il faut promouvoir une lecture novatrice, pro active, transverse, et prospective des enjeux, potentialités et contraintes présentes sur nos territoires. Nos réponses pour être efficaces et utiles doivent être adaptées et contextualisées, tant y mettre en place des solutions de mobilités s’apparente à de la vraie dentelle urbaine. Les situations que l’on y rencontre vont du transport de masse au « sur mesure » quasiment individualisé. .

L’urgence, vu la multiplicité des clés d’entrée, est de dégager une problématique lisible, des priorités claires, de concilier également des actions de nature différentes portant sur le court, le moyen et le long terme, tant sur l’investissement que le fonctionnement. Actions toutes liées les unes aux autres, les mobilités péri urbaines étant par nature systémiques.

Voici quelques propositions,  objectif poursuivi ?

Améliorer le quotidien des usagers vivant en grande couronne …

 

 

 

 

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Pour des usagers pressés (dans les deux sens du terme), acteurs et échelles de temporalité se confondent souvent, les spécialistes savent cependant que les décisions stratégiques prises dans les prochaines semaines ne trouveront de traduction concrète que dans plusieurs années, c’est en cela que cette période est absolument déterminante.

Le préalable afin d’éviter tout flou, rarement artistique en ce domaine, est de clarifier les missions de chaque acteur, dont principalement celles du Syndicat des Transports d’Ile de France (STIF), garant de la qualité des conditions de transport, et non représentant des opérateurs.
Le STIF fixe les orientations stratégiques, objectifs et engagements des entreprises, sur le niveau, la qualité et le coût du service rendu aux voyageurs. Les contrats signés entre le STIF et la RATP et le STIF et la SNCF donnent un cadre, dans lequel chacun assume son rôle et ses missions sur l’organisation et le développement des transports en commun en Île-de-France.
Encore faut il que les priorités affichées soient claires, assumées, que le champ des responsabilités des uns et des autres bien différencié, afin que le «c’est pas moi, c’est l’autre » en cas de problème rencontré ou de remontée du terrain (style les trains courts) cesse … Si l’opérateur, quelque qu’il soit, se doit de respecter les modalités du contrat signé avec le STIF (priorités, objectifs qualitatifs ou quantitatifs …), ce dernier se doit également de lui donner les moyens de le faire concrètement et d’assumer les choix et arbitrages effectués au préalable.

Quelques pistes de réflexion :

  • Diversifier et élargir le champ des causes de pénalités financières dues par les opérateurs : humanisation et présence en gare, nombre de wagons composant les trains lors des heures de pointe (le recours aux trains courts ne peut être que tout à fait exceptionnel), pénalisation de tout ce qui contribue à la dégradation du service.
  • Les indicateurs qualitatifs doivent présenter les performances de l’ensemble d’une ligne, non les globaliser. Les dysfonctionnements impactent le plus souvent les mêmes segments, généralement situés en fin de ligne et ressentis encore plus durement par les usagers au quotidien. Lorsqu’un habitant de Lizy s/ Ourcq entend dans une réunion que les indicateurs de la ligne P sont bons, il peut penser légitimement qu’on se moque de lui.
  • Créé un « observatoire » indépendant des opérateurs, ouvert aux usagers, accessible par internet, permettant à tout utilisateur d’obtenir le reporting des incidents, leur nature, les conséquences, les pénalités infligées et les mesures de remédiation lancées … Indiquant également de manière plus globale les dotations financières accordées aux opérateurs, les indicateurs de performance du réseau, les objectifs fixés …. La transparence doit être de mise et les responsabilités assumées.

 

Rénovation du réseau

Inévitablement ce doit être l’effort financier principal immédiat, vu l’état de délabrement du réseau, mais aussi le temps entre prise de décision et réalisation concrète ! Il doit porter sur la rénovation globale d’un réseau laissé de coté depuis plus de trente ans, excepté ces dernières années. Vu sa vétusté, c’est bien le lancement d’un plan d’investissement massif sur les lignes sinistrées de la Grande Couronne qui s’impose.

La ligne P est une bonne illustration des contrastes de l’Île-de-France à l’heure du Grand Paris. Longue de 252 km, fréquentée au quotidien par 85 000 usagers, de plus en plus nombreux, elle dessert 36 gares sur 3 départements et s’étire à plus de 90 km de Paris, allant jusqu’à Château-Thierry ou La Ferte-Milon. Plus de 6 types de matériel roulant différents cohabitent et y circulent avec des fortunes diverses, ce qui complique d’autant maintenance du matériel et bonne gouvernance de la ligne, avec pour conséquence la multiplication des problémes de gestion de parc, quelquefois quasi insolubles, vu les contraintes logistiques (remplacement de pièces en cas d’incident, pannes récurrentes …) due à la vétusté des fameux « petits gris ».

Les propositions d’actions concernant cette ligne sont des plus évidentes :

  • Deux segments ne sont toujours pas électrifiés (Provins et la Ferté Milon), ce sont les deux dernières lignes de la région à ne pas l’être. Situation d’autant plus intolérable qu’elle accentue une fracture territoriale qui se double d’une fracture sociale. Autre inconvénient majeur, et non des moindres, tant il le sera de plus en plus chaque année, cela empêche toute amélioration future de la desserte lors des heures de pointe de gares urbaines très fréquentées, comme celles de de Meaux et Trilport, avec un bassin de vie de plus de 100 000 habitants, dont la croissance démographique est en plein essor: plus d’1% l’an. Ne pas lancer rapidement les travaux d’électrification, c’est s’interdire d’agir concrètement et efficacement sur l’amélioration de l’offre dans les dix années à venir. Intolérable et inimaginable.
  • Réaliser les aménagements nécessaires (voies et quais) permettant aux gares de Trilport à la Ferté sous Jouarre (toutes électrifiées) d’être enfin desservis par les «Nouvelles Automotrices Transilien ». Il est inadmissible que cela n’ait pas été fait au préalable. Il est pour le moins paradoxal, voir scandaleux, que des rames de nouvelle génération attendent au repos, alors que dans le même temps la SNCF propose aux usagers lors des heures de pointe des trains courts au regard de la vétusté des rames y roulant !
  • Toute rénovation d’un réseau qui n’en avait pas connu depuis des décennies est source de multiples désagréments quotidiens. Les campagnes de communication en ce domaine ne présentent aucune perspective sur les raisons, logiques, étapes et phases d’amélioration successives.
    Il s’agit pourtant de rendre le réseau plus sur, fiable, performant, évolutif. Aussi il semble essentiel de présenter aux usagers l’importance stratégique de tels investissements, les améliorations qu’ils apportent à leur sécurité, à la fiabilité et aux performances de la ligne (fréquence, vitesse, incidents). Lorsque la communication n’est pas à la hauteur, comme c’est trop souvent le cas, que les chantiers de travaux se succèdent et s’éternisent, les usagers dont le quotidien est déjà très malmenés, ne ressentent plus que les contraintes. Il est dommageable que faute de communication suffisamment étayée présentant un échéancier de réalisation et des perspectives concrètes d’amélioration, des travaux de rénovation, pourtant indispensables, contribuent au sentiment général de dégradation des conditions de transport.

 

Le fait Multimodal

La véritable clé de voute de tout système complexe de mobilité, est sa porte d’entrée, constituée par les gares, qu’elle soient ferroviaires ou routières. Au delà d’un simple rôle de nœud de réseau ou d’interface, chaque gare constitue de fait un véritable écosystème local de mobilités et de multi modalités. Cela résume toute la complexité de la problématique, mais démontre également l’absolue nécessité d’apporter des réponses qui soient adaptées à un contexte et de privilégier, entre autres qualités, l’agilité, la souplesse, l’évolutivité.

Force est de constater, qu’aujourd’hui nous en sommes très éloignés :

  • Le dispositif actuel des « pôles gares » n’est pas satisfaisant : trop complexe, trop long à mettre à place, il se révèle devenir une véritable usine à gaz administrative, victime du moindre grain de sable.
    Si l’idée initiale est bonne : réunir tous les partenaires et acteurs du terrain qu’ils soient institutionnels ou opérateurs, afin d’établir un diagnostic, déterminer un plan d’action permettant de transformer une gare mono fonctionnelle en pôle multi modal, en bénéficiant de subventions accordées par le STIF. Malheureusement nombre de ces dossiers, pourtant vitaux pour le dynamisme d’un territoire, sont au point mort, des montants financiers considérables sont immobilisées de ce fait et rarement dépensés et les travaux nécessaires à l’amélioration des conditions de transport des usagers non effectués. Ce « modèle » administratif s’apparente à une véritable caricature et refroidit les élus et les acteurs les plus dynamiques, car dés qu’un « partenaire » ne veut pas jouer le jeu, c’est tout le processus qui est bloqué pour des années, si ce n’est des décennies. En terme de blocage, certains se révèlent être d’éminents spécialistes (anciennement RFF), alors que paradoxalement du fait de leurs missions, ils auraient du en être les principaux animateurs. Il faut un pilote, un arbitre, un échéancier, une gouvernance resserrée et plus que tout des décisions qui soient suivies d’actions concrètes et rapides. A mon sens, c’est tout ce dispositif qui est à mettre à plat, il est représentatif d’une vision kafkaïenne de l’inaction en matière de politique publique. Il est inadmissible que les opérateurs clés du système, détenteurs le plus souvent de fonciers stratégiques, constituent des freins plutôt que des accélérateurs en terme d’amélioration des mobilités quotidiennes des franciliens.
  • La voiture individuelle en grande couronne constitue souvent un passage obligé pour les usagers et est incontestablement une réalité des plus concrète. Elle occasionne pour les communes abritant une gare, un lot considérable de contraintes, que certaines au regard de leur taille ne peuvent assumer seules. Il est nécessaire, tout en privilégiant la desserte en transport en commun, de considérer le stationnement des voitures comme une composante à part entière de la chaine des mobilités et de privilégier en ce domaine, non une logique de site, mais une logique de ligne.
    Les élus locaux se retrouvent trop souvent abandonnés face à des problématiques à priori insolubles (stationnement, sécurisation), alors que les voitures sont liées à la gare, comme la marée à la plage. Il faut redéfinir le champ des responsabilités et financements. Il apparait opportun d’intégrer le prix du stationnement au titre de transport, de professionnaliser la gestion des parkings en privilégiant une logique de ligne (développement capacitaire, sécurisation, services ajoutées : nettoyage …), de déployer des bornes de recharge pour voiture électrique, des aires de covoiturage, des points de transport à la demande … Il faut que les opérateurs de mobilité dont c’est le job soient en capacité d’intervenir sur les périmètres à proximité des gares. Les collectivités ont besoin d’appui logistique et financier, la gestion de tels missions n’est aucunement leur vocation et fonction, surtout lorsque ces communes ne sont pas dimensionnées pour le faire et que l’essentiel des voitures qu’elles accueillent provient d’autres collectivités.
  • Le co voiturage est une piste à encourager : emplacements réservés sur les parkings, tarification préférentielle (parking offert si 3 places occupées dans la voiture …) et synergie avec des opérateurs tel BlaBlaCar
  • Le Transport à la Demande est à relancer autour de concepts innovants. Nous pouvons en 2016 apporter une réponse institutionnelle régulée à l’Uberrisation et construire un modèle économique agile et vertueux, à partir notamment d’une plate forme informatique de réservation. Le potentiel de croissance est réel et se révèle bien moins onéreux que la mise en place de lignes régulières dans des secteurs démographiques peu peuplés, sur certains créneaux horaires très décalées ou encore le week end.
  • Le secret d’une multi modalité épanouie est d’être simple, lisible par tous. Une des grandes forces du STIF est sa capacité à fédérer tous les acteurs intervenant dans la longue chaine des mobilités. La création d’un titre de transport dématérialisée, sous forme de carte à mémoire (ou paiement NFC) pour tous les services liés aux mobilités sur le territoire régional, des supports rechargeable à partir de bornes automatiques présentes dans toutes les gares (train, métro, bus) ou parkings permettra de simplifier la vie des usagers. ce système permettrait également la mise en place d’une tarification de type «Navigo Plus» intégrant des compléments (« add on ») tel qu’un abonnement parking à tarif préférentiel, locations de vélos, voitures en auto partage …
  • Accompagner le développement de nouvelles tendances sociétales, telles :
    le télétravail. La Région a contribué à soutenir la création d’un réseau de tiers lieux (télé centre, espace de co-working …) qu’il est important de pérenniser en développant leur utilisation par les entreprises, institutions et salariés : conventions et partenariats, tarifications préférentielles, labellisation, système d’abonnement, contrôle des présences effectives, centrale de réservation, paiement par la billettique transports (de type Navigo Plus). C’est autant de déplacements quotidiens en moins !
    – Les horaires décalées pour dénaturer le traffic lors des heures de pointe et diminuer la montée en charge grâce à des incitations financières, ce qui limitera la fréquentation des réseaux de transport lors de créneaux clés, du matin comme du soir, se traduira par une amélioration directe des conditions de transport. C’est une véritable révolution, certainement lente à initier qui demandera des années, mais elle est porteuse d’économies très substantielles pour la collectivité, tant en fonctionnement qu’en investissement et permettra aux usagers d’avoir des conditions de transport meilleures.

 

Les propositions ne manquent pas, tant notre marge de progression est grande. Une certitude, le fait péri urbain nous amène à revoir les schémas traditionnels de mobilités. De nouveaux concepts émergent : contextualisation, synergies, éco système, agilité … Des mots clés, des mots-concepts représentatifs de la société d’aujourd’hui basée sur l’accélération du temps, l’importance de l’information, du relationnel et de la liberté de se déplacer
Il nous faut lier le « Penser global » comme l’écrit Edgar Morin, à la « pensée complexe »,  dans le sens premier de ce mot, « complexus » signifiant « relié », « tissé ensemble »…

Tisser des liens, une image qui définit assez bien l’essence de la mobilité et de la multimodalité.

Les mobilités péri urbaines nous imposent d’apporter des réponses adaptés à chaque contexte, que ce soit celui du transport urbain de masse avec ses logiques, contraintes et repères traditionnels, pesanteurs également, mais aussi celui du « sur mesure » de la grande couronne, qui nécessite une approche plus circonstanciée et innovante, fait appel à de nouveaux modèles économiques, car déplacer quelques personnes sur des kilomètres à des heures tardives, au meilleur rapport qualité / prix demande un peu d’imagination et de créativité …