Mardi 26 septembre, Tribunal de Meaux, l’audience relative à l’explosion des radiateurs de Meaux débute …
Rappelons que cette catastrophe avait en octobre 2002 tué deux personnes et détruit la zone d’activités de la Halotte (cf notes précédentes) avec une violence telle, qu’on avait comparé l’explosion à celle d’AZF ! Aprés plus de quatre ans d’enquêtes, « l’heure de la vérité » est enfin venue. Deux personnes sont poursuivies, pour homicide involontaire par imprudence et destruction, le gérant de la société et son plombier.
Se retrouver au Tribunal, quatre ans aprés, a quelque chose d’étrange … Le filtre du temps, trés certainement … quatre années pour rendre justice, c’est long, trop long … Des gens sont morts, depuis, ont déménagé, la plupart des entreprises sinistrées ont repris leurs activités sur un autre site, à regret souvent, les situations des uns et des autres ont évolué entrainant aussi une autre perception des évènements.
La boucle n’est pourtant pas bouclée, loin s’en faut, jusqu’à ce jour. Une question n’a toujours pas de réponse, pourquoi cette catastrophe a t’elle eu lieu ?
Excepté les avocats des entreprises, peu de victimes sont présentes à l’audience. La majorité des sinistrés (plus de 140 !) ne s’est pas déplacé, le montant du préjudice (la franchise de l’assurance souvent) ne justifiant pas à leurs yeux les « tracasseries » (pourtant simples en fait) nécessaire pour obtenir réparation.
Pour la commune, la question de l’indemnisation est également posée, mais comment calculer le montant d’un préjudice dont l’essentiel est moral et économique ?
Car si le préjudice subi est réel, il est inestimable. Comment évaluer l’incidence financière de l’arrêt durant plus de trois ans de la commercialisation de cette zone d’activités, le départ des nombreuses entreprises sinistrées, l’abandon par les pompiers du SDIS de la construction de leur caserne (projet repris depuis fort heureusement), le décor pitoyable des bâtiments calcinés de cette zone depuis le jour de l’explosion, ou encore le temps et l’énergie passé sur ce dossier.
Etait il utile de saisir un cabinet d’avocats afin d’obtenir une indemnisation plus qu’hypothétique vu les doutes sur l’indemnisation (du fait d’un plafond largement dépassé) ? Nous avons estimé que non et simplement décompté, en interne, le nombre d’heures supplémentaires effectuées par les agents municipaux et la location du bureau occupé par la cellule de crise afin d’aider les sinistrés.
Pour nous, l’essentiel est ailleurs : connaitre la vérité afin de cerner le champ des responsabilités. Une exigence nous anime : appliquer le droit, afin d’éviter que demain, à Trilport ou ailleurs, une catastrophe du même type ne survienne encore.
Le contexte
Lors de l’audience, les débats ont permis de mieux cerner le contexte particulier de ce dossier. Le Président du Tribunal rappelant fréquemment les deux victimes de l’explosion, un homme de 42 ans et son neveu de 15 ans.
Les débats ont permis de disposer des éléments indispensables à la compréhension de ce drame. L’entreprise « Les Radiateurs de Meaux » (réparations de radiateurs de poids lourds) est dirigée par un gérant, M Romano, possèdant également une myriade de PME, : Culasses 77 (réparation de culasses et moteurs) et 32 sociétés constituée en holding, reprise à Valéo, dont une basée à Trilport (Nord Radia). Une organisation morcelée, qui lui permet de s’affranchir, en toute légalité, des différents seuils légaux définis par le Code du Travail et de limiter la représentation du personnel.
Son « groupe » connait de trés graves difficultés puisqu’il est en cessation de paiement et a entamé une procédure de liquidation et de redressement judiciaire, juste quelques semaines avant l’explosion. Il est également en délicatesse avec la DRIRE (atteintes à l’Environnement) et l’Inspection du travail (sanitaires, douche, captation de fumée) alertée par les nombreuses doléances des employés.
L’audience met rapidement en évidence, que :
– ce « décideur » a mis en place pour gérer le site de Trilport une organisation et une chaîne de décision et de responsabilité pour le moins confuse, surtout en matière de sécurité et de prévention; le personnel n’ayant reçu aucune formation ou information sur les procédures ou mesures de sécurité à prendre.
– de nombreuses tensions existent dans la société vu la situation de l’entreprise et les conditions de travail.
Pourtant l’activité industrielle de l’usine n’est pas anodine, les salariés utilisant du matériel sensible : bouteilles d’acétylène, acide chlorhydrique pour le lavage des radiateurs et 3 circuits de canalisation : eau, air comprimé, gaz propane (gaz plus lourd que l’air). Particularité : les canalisations au lieu d’être à l’extérieur traversent le local; celle de propane, notamment, en cuivre, surplombant (à 2,5 m du sol) le bac d’acide chlorhydrique. Un extracteur évacue les émanations lors de la journée de travail.
L’usine n’a pas non plus de contrat de maintenance pour sa plomberie et n’a recours à un plombier depuis sa création (en 1996) que pour des interventions ponctuelles. Ce dernier, n’intervenant officiellement entre 1996 et 2002 qu’une à deux fois par an (six à sept factures sur la période).
Les conclusions des experts
Trois expertises se sont succédées, toutes formelles sur un point : les deux victimes n’ont absolument aucun rapport avec l »explosion, « Elles étaient au mauvais endroit au mauvais moment ».
Les deux hommes récupéraient des pièces de vieux radiateurs au rebut, jetés par l’usine dans des bennes situées à l’extérieur de l’usine et accessible par la route, dans le but de de ferrailler et de revendre leur matériaux (cuivre notamment).
L’explosion est due à une fuite de propane et à une étincelle, minime. Les experts ont situé son épicentre, au centre de l’usine. Deux questions sont au coeur de leur travail : l’origine de la fuite de gaz et la cause de l’étincelle.
Plusieurs causes peuvent expliquer la fuite de gaz : la corrosion brutale d’une canalisation, un acte de malveillance, une soudure defectueuse. Seule certitude, l’explosion provient du centre du bâtiment et non de l’extérieur.
Au regard de sa violence, un acte de malveillance semble difficilement envisageable pour l’expert, car à priori suicidaire, le seuil d’explosivité ayant été atteint en moins de deux heures (délai entre la fermeture des locaux et la catastrophe). Ce constat atteste l’importance de la fuite. Dans l’aire de lavage, une canalisation de propane située à 2m50 de hauteur passe au dessus du bac d’acide chlorhydrique or dans les débris de l’explosion gardés sous scéllés, des segments de la canalisation de propane (section de 22 mm) ont été retrouvé totalement corrodée, avec des traces de corrosion visibles à l’oeil nu (60% du cuivre entamé). L’expert privilégie deux pistes : une soudure de mauvaise qualité qui aurait laché ou une nouvelle fuite.
Car le pire est à venir. Il y a eu une alerte peu de temps avant l’explosion. Le vendredi 22 septembre (soit moins d’un mois avant la catastrophe !), une fuite de propane avait conduit les ouvriers, vers les 15H, perturbés par l’odeur, à stopper la production. Le plombier (M Corbet) alerté est intervenu ssur le coup de 17h. Au regard du trou visible à l’oeil nu, ce dernier a hésité avant d’effectuer la réparation. Pressé par le Chef d’Atelier, il a colmaté la fuite en urgence, avec une soudure au lieu de remplacer la canalisation, ce qu’il aurait du faire.
A la fin de son intervention, ps tranquille, il a demandé à rencontrer M Romano pour lui faire part de ses réserves, lui donner quelques consignes de « bon sens » (comme fermer les vannes de propane chaque soir) et lui proposer d’établir un devis. Ce dernier pourtant présent dans les murs ne l’a pas rencontré. Puis plus rien … Jusqu’au jour de l’explosion …
L’expert a été ensuite interrogé par les différents avocats de la Défense (gérant de l’entreprise ou plombier), sur l’origine de la fuite ou celle de l’étincelle. Ces questions ayant pour but de déplacer le champ de responsabilité, soit vers le plombier (la qualité de la soudure), soit vers le gérant (la qualité de la canalisation).
Mais le plus regrettable est que l’expert n’a donné aucune certitude sur l’origine de l’explosion de La Halotte, le doute subsiste et subsistera vraisemblablement toujours.
Les requisitions .
Les plaidoiries des différents avocats des parties civiles ont visé à justifier les différentes demandes d’indemnisation des préjudices subis, qu’ils soient matériels ou immatériels par les entreprises : dégats, arrêts d’activités …
Intervenant à la barre au nom de la commune, j’ai insisté sur l’impact considérable de cette catastrophe pour Trilport, et souligné, un fait : si l’explosion s’était déroulé en plein jour, elle aurait viré au carnage, plus d’une centaine de personnes travaillant à proximité immédiate dont une quinzaine dans les locaux mêmes. La responsabilité de l’entrepreneur s’étend au delà de ses murs lorsque du fait de ses négligences, un incident industriel survient et atteint l’intégrité d’autrui. Il doit des comptes à la collectivité, le respect des normes de sécurité est non seulement un devoir, mais une ardente obligation. Sinon, il n’y a pas de place pour une cohabitation harmonieuse entre habitat et zone d’activité.
Trop de responsables d’entreprises se plaignent de la lourdeur des procédures « administratives », des difficultés à suivre les différentes normes de sécurité, et contournent dans le même temps par divers stratagèmes les seuils de représentativité du personnel y compris pour les structures abordant les questions d’hygiène et de sécurité. Lorsqu’un beau jour une catastrophe survient, il s’étonne, le regrette amèrement avec les larmes aux yeux, invoquant la malchance ! Trop simple …
Lors de son réquisitoire, le(a) substitut(e) du Procureur est revenu(e) sur la « coloration » de l’affaire, notamment les zones d’ombre dévoilés par l’instruction (la situation financière singulière de l’entreprise au moment de l’explosion, le nombre limité de factures entre le plombier et l’entreprise …). Insistant sur la responsabilité de l’entrepreneur dans la catastrophe, elle a rappelé un principe de Droit : un responsable doit se conduire en « Homme normalement prudent et diligent ».
Comment qualifier la conduite du gérant des radiateurs de Meaux ?
Elle a rappellé l’absence de toute mesure de prévention, de formation ou d’information à la sécurité (« chaque salarié pourvoyant à à sa propre sécurité »), les nombreuses entorses aux normes et lois signalées tant par la DRIRE, que l’Inspection de Travail, l’absence de contrat de maintenance, l’entretien au coup par coup (vu le peu de factures émises) « à l’économie », les nombreuses « négligences » constatées ( bac d’acide pas couvert, flexibles périmées, fuites nombreuses, absence de douche, sanitaires insuffisants …) et insisté sur l’absence de réaction suite à la découverte de la fuite de gaz du 22 septembre. Pour elle, le gérant aurait pu, du s’émouvoir aprés cet avertissement, à minima, et rien alors ne se serait passé, or il n’a absolument rien fait. Esitmant que du fait de son attitude il a sciemment exposer autrui à un risque d’explosion de gaz imminent dans un site où travaillent plus d’une dizaine de personnes chaque jour, le Procureur a demandé pour le gérant 12 mois de prison avec sursis et pour son plombier 10 mois de prison du fait de son intervention sur la fuite du 22 septembre.
Les avocats de la défense ont rejeté en bloc le lien de causalité entre faute reprochée et explosion; arguant qu’il n’y avait pas, au sens pénal, de faute caractérisée. Autant, ils admettent les poursuites au civil, autant ils rejettent l’audience au pénal et les réquisitions du Procureur, estimant qu’aucune faute caractérisée ne peut être reprochée à leur client.
Le jugement est mis en délibéré et sera rendu le 24 octobre à 13H30 …
Question au législateur
A Trilport, nous avons la particularité de compter sur le territoire de la commune, une usine classée Sevezo seuil bas (Recticel), et à proximité immédiate une usine classée Sevezo seuil haut (Cognis); c’est dire que nous vivons quotidiennement avec le risque industriel. Or force est de constater que si certains de nos concitoyens craignent ce type d’entreprise, ces dernières sont gérées profesionnellement et surtout soumis à des contrôles réguliers de la part des services de l’Etat. Des procédures noramlisées qui rendent compatibles une cohabitation avec une zone d’habitat.
L’explosion de La Halotte démontre que certaines entreprises, à priori sans risque, utilisent du matériel, ou des matières dangereuses, dans le cas de négligences graves et ne sont soumis à absolument aucun contrôle. Dans l’attente de la décision du Tribunal, il serait opportun que le législateur se penche sur le suivi de ce type d’entreprises, à la lumière de l’explosion de la Halotte, afin d’imposer un minimum de contrôle de la part des services de l’Etat (notamment autour de l’utilisation du propane), et d’ainsi mieux garantir la sécurité de nos concitoyens !
Notes précédentes :