C’est un véritable tsunami budgétaire qui va s’abattre sur nos territoires dans les prochains mois.
Le plan d’économies de 50 milliards lancé par le gouvernement, justifié vu l’état de nos finances publiques et le poids de la dette, impactera directement les collectivités qui y contribueront à hauteur de 11 milliards d’euros d’ici 2017 !
Mais l’ampleur de ces baisses, comme le rythme imposé par le gouvernement risque de mettre à mal les communes les plus fragilisées, une situation inacceptable !
En 2014 la baisse des dotations s’est élevée à 1,5 milliard (sur 41,5 milliards), elle atteindra l’an prochain plus du double (3,7 milliards) provoquant des dommages collatéraux évidents aux collectivités que ce soit sur :
- L’investissement, avec une baisse d’activités préjudiciable à l’emploi de proximité, vu le contexte économique local plus que dégradé,
- L’autofinancement, laminé à un niveau tel que leurs marges de manœuvre s’en trouveront plus que réduites,
- Les services dispensés aux habitants. Les communes les moins riches seront dans l’obligation d’en supprimer, c’est pourtant dans leurs territoires qu’ils sont le plus nécessaires !
De nombreuses communes, jusque là sans problème, vont se retrouver inexorablement plongées dans le rouge, et bien malgré elles ! Certaines le sont déjà bien que cela ne se sache pas encore. Rappelons que contrairement à l’Etat ou aux collectivités allemandes (au passage) les budgets de nos collectivités sont eux équilibré et leur endettement maitrisé ne finance que les dépenses d’investissement.
La mise sous tutelle par le Préfet, cas de figure exceptionnel, qui ne concernait jusque là que les villes mal gérées, risque de devenir bientôt quasi banale; ce sera alors au représentant de l’Etat de décider des dépenses à supprimer ou impôts à augmenter ! Selon l’Observatoire des Finances Locales, 600 communes sont aujourd’hui sur le fil du rasoir, risquant de basculer dans le rouge dés 2015, du fait d’un manque de ressources, l’effet domino guette …
Quoiqu’en pensent les « sages » de la Cour des Comptes ou les experts de Bercy, la réalité des collectivités territoriales est multiple, du fait des écart de richesse entre les communes. A l’égalité théorique formelle, mieux vaut selon moi l’égalité réelle qui privilégie l’équité, avec de telles décisions, nous en sommes à des années lumière !
La baisse de dotations concernera toutes les communes, mais impactera principalement celles aux recettes insuffisantes, qui n’en sont plus, pour faire image, à tailler dans le gras de leurs dépenses (représentation, communication, cabinet …), ou au niveau du muscle (baisse des investissements) mais carrément « à l’os » !
Si pour certains Maires l’interrogation est de choisir quelle dépense secondaire diminuer ou supprimer, pour d’autres le choix est plus existentiel : comment assurer la cantine, payer le personnel à la fin du mois, appliquer la réforme des rythmes scolaires, entretenir les écoles, trottoirs et routes, investir pour accueillir de nouvelles familles (écoles notamment) ou mener la transition énergétique afin de pouvoir, enfin, réaliser des économies substancielles sur le court, moyen et long terme !
C’est le refus de cette perspective qui est à l’origine de ma mobilisation, comme Maire, citoyen, membre de l’Association des Petites Villes de France. A ce titre j’ai répondu aux sollicitations de médias (France Télévision, Europe 1 …) venus m’interroger sur les conséquences concrètes de ces baisses. Prise de parole publique que j’assume vu les incidences pour la vie quotidienne de mes habitants de décisions dont je conteste à la fois l’ampleur, le rythme et plus que tout l’équité.
Les digues de solidarité que nous entretenons au quotidien à grand peine, malgré tous les aléas et obstacles placés sur notre route afin de maintenir un minimum de cohésion sociale là où c’est le plus difficile et où les communes sont trop souvent le dernier acteur public présent et actif ( « S’il n’en reste qu’un ! ») risquent de lâcher d’un coup. Ce qui serait terrible pour des habitants se considérant déjà délaissés devenant du coup encore plus «invisibles» ! Les conséquences en seront dramatiques pour des territoires délaissés dans lesquels vivent de plus en plus de familles fragilisées. Contexte que les lecteurs de ce blog connaissent ayant fait l’objet à de maintes reprises de billets consacrés à la fracture territoriale ou à la « France périphérique » (rappel de ces notes à la fin).
Pour planter le décor, rien ne vaut le réel. Aussi, avant d’explorer des perspectives d’ordre plus général et de faire des propositions concrètes (il y en a !), voici la situation d’une commune parmi d’autres, évoquée de manière synthétique mais dynamique, car un budget est avant tout une dynamique !
Ville dont je connais assez bien les caractéristiques cependant puisque c’est celle dont je suis le Maire, Trilport.
Trilport est une ville seine et marnaise de 5 000 habitants, « péri urbaine », située dans la grande couronne francilienne. Située entre Marne et Forêts et dotée d’une gare SNCF, elle bénéficie d’un magnifique patrimoine naturel, assez unique.
La ville doit, afin d’être en conformité avec la loi SRU, se développer et construire de nombreux logements sociaux, ce qui nécessitera la mise en place de structures et d’équipements, en nombre et qualité. Son endettement, malgré une politique d’équipement très active ces dernières années, reste mesuré, inférieur à la moyenne nationale.
Trilport : (717 € / habitant),
Moyenne nationale des villes de 3500 à 5000 : 800 €, de 5000 à 10 000 habitants : 881 €
Un problème de recettes, comme tant d’autres communes …
La ville a un talon d’Achille, ses recettes, deux raisons principales : le passage à l’intercommunalité qui encaisse les recettes de zones d’activités dont la ville continue cependant d’acquitter les charges d’emprunt, et la faiblesse des dotations d’Etat, de très loin inférieures à la moyenne nationale.
Trilport : 150 euros / Habitant (2013 : 736 739 €).
Moyenne nationale des villes de 3500 à 5000 : 192 € (soit – 28%), de 5000 à 10 000 habitants : 203 € (soit -35% )
Ces dotations représentent aujourd’hui 18% des recettes (4 115 760 €), 50% pour les impôts locaux alors qu’en 2004 (année à laquelle je suis devenu Maire) elles représentaient 22,5% (45% pour les impôts) !
Dotations, qui aux yeux de beaucoup d’élus reconduisent chaque année les inégalités entre français selon leur lieu de vie, ne tenant compte ni du contexte local, de la situation financière des communes au regard de ses recettes potentielles, ou des objectifs auxquels la collectivité doit répondre ! Faut il rappeler que ce sont les recettes qui déterminent la nature, la qualité et la diversité des services et équipements mis à disposition des habitants. « Dis moi combien tu gagnes et je te dirais combien tu dépenses » !
Pour faire simple, les villes abritant les sièges sociaux des entreprises ont les recettes, celles qui accueillant les familles des travailleurs les dépenses ; c’est binaire, schématique je vous l’accorde, mais cela se vérifie chaque année ! Situation qui cependant s’améliore depuis peu (2012) avec la création du Fonds de péréquation (FPIC), j’y reviendrais dans ma prochaine note, car tout n’est pas si clair !
Quid de la dépense publique ?
Le manque structurel de recettes de la commune est comblé en partie, grâce à une chasse aux subventions pro active et à un contrôle de gestion rigoureux de la dépense publique
Pour faire sens, depuis 15 ans nos dépenses (hors charges de personnel) n’ont augmenté que de 4,3 % (euros courants !) malgré l’inflation, le développement de la ville, l’arrivée de nouveaux habitants, une politique d’équipement ambitieuse et la mise en place de nouveaux services municipaux dont ceux de la jeunesse, de la Petite Enfance ou de la Police Municipale. Maire depuis 2004, je sais de quoi il en retourne.
Autre illustration, nos dépenses de fonctionnement 2013 sont inférieures à celles de 2012 ! Performance d’autant plus remarquable comparée aux services proposés aux habitants !
A Trilport la dépense par habitant s’élève à 818 euros.
Moyenne nationale des villes de 3500 à 5000 : 851 €, de 5000 à 10 000 habitants : 1 015 €
La baisse des dotations cette année atteint 30 000 € (4% des dotations) et pourrait s’élever d’ici 2017, 200 000 voir 300 000 euros (hypothèse basse ou haute) ! La commune devra faire face à l’augmentation du prix de l’énergie, l’inflation et à de nouvelles dépenses telles la mise en place des rythmes scolaires, estimée à 170 euros par enfant (pour le budget 80 000 euros / an), dont seulement 40 000 € sont pour l’instant compensés par la CAF et l’Etat et rien ne garantit la pérennité du fonds d’amorçage.
Quelles perspectives attendre ?
Je suis persuadé que les baisses de dotations prévues ne pourront être menées à terme sans conséquences dramatiques pour les français vivant dans les collectivités les moins riches, à moins d’une véritable catastrophe sociale qui est une perspective intolérable dans une république qui se doit de considérer l’équité comme valeur fondamentale. Il n’est pas acceptable que la discrimination entre citoyens selon leur lieu d’habitation s’élargisse à un tel point, la ligne de fracture est atteinte !
Faut il rappeler que les petites villes qu’elles soient rurales ou péri urbaines, ne disposent pas des structures ou dispositifs correcteurs issus de la politique de la ville dont bénéficient et c’est une bonne chose, les « grandes villes » dotées de quartiers sensibles ! Elles connaissent pourtant les mêmes difficultés et accueillent de plus en plus de familles en difficulté, toutes les dernières études et enquêtes l’attestent !
Il serait utile que les « sages » de la Cour des Comptes ou « experts » de Bercy, si prompt à semer le discrédit ou à jeter l’opprobre sur la gestion des élus locaux, arrêtent de généraliser et se limitent à commenter les conséquences, mais se penchent enfin sur les causes, dont celui du manque d’équité notamment des dotations (principalement la DGF) de l’Etat ! Ces dernières devraient tenir compte de la vie d’aujourd’hui, non des rentes de situation d’hier et surtout être plus équitable qu’égalitaire !
Est il normal, par exemple, que pour la mise en place des rythmes scolaires, les communes les plus riches, sans problème de ressources et de financement, bénéficient du même montant d’aide de l’Etat que celles ne disposant que de très peu de moyens pour assurer cette mise en place ?
J’ai une conviction forte. Le scénario initial de baisse prévu par le gouvernement ne pourra tenir sans casse sociale et territoriale, tant au niveau de l’ampleur, du rythme ou de la répartition de l’effort exigé.Il risque de mettre à mal la cohésion sociale du pays à laquelle nous sommes tous attachés. J’ai également une autre conviction, les collectivités ne peuvent s’exonérer d’un effort sérieux sur la dépense publique qui doit diminuer significativement que ce soit sur le court, le moyen et le long terme, il en va de l’intérêt supérieur du pays. Nous devons passer d’une culture de l’égalité formelle et théorique, à une culture de l’équité concrète.
Heureusement des pistes de réponse crédibles et concrètes existent, encore faut il avoir la volonté de les mettre en place, elles feront l’objet de la prochaine note …
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