J’ai croisé la route de Lucie Aubrac lors d’une conférence qu’elle donnait devant les collégiens de Trilport. Je n’oublierais jamais cette femme simple, directe, émouvante, frêle et forte à la fois, seule dans ce grand réfectoire parmi des collégiens turbulents qui sont restés subitement scotchés à leurs chaises, suspendus à ses mots, ses silences, son énergie … On aurait subitement entendu une mouche voler, une curieuse impression de recueillement !
Je n’oublierais jamais l’instant où elle a sorti de sa poche, ce trop fameux bout d’étoffe jaune délavé, fripé du poids des années, l’étoile dessinée, symbole d’un passé révolu qu’elle amenait toujours avec elle comme un signal d’alarme …
Je n’oublierais jamais cette leçon de vie, de dignité, d’humanisme et de courage …
Je garde en mémoire également, notre discussion ensuite, et les nombreuses questions qu’elle m’a posé sur la vie politique locale … C’était juste après le choc des élections de 2002, ce traumatisme qui a tant changé de choses en nous … Je n’oublierais jamais ses encouragements … « Bas toi Jean Michel, c’est bien, il faut surtout résister … » …
Résistance … Sa vie entière a été placé sous ce mot … Elle personnifiait la France que l’on aime et qui aime, terre d’accueil, de liberté, d’égalité, de fraternité, mais aussi de révolte, de courage et d’espoir … La France des « vingt et trois » de l’affiche rouge célébrée par Aragon, celle qui a remporté la Coupe du Monde, une France avec des valeurs aux antipodes du Ministère de l’Immigration et de l’identité nationale proposé par certains …
Pourquoi ?
Que Sarkozy s’empare du thème de l' »identité nationale », ne constitue pas un problème en soi … Surtout aprés les élans atlantistes et communautaristes dont il nous a gratifié toutes ces dernières années, que ce soit dans ses discours, ses postures ou attitudes, déclarations et apparitions médiatiques.
S’il peut en effet, à quelques semaines du « moment de vérité » se rapprocher de valeurs plus traditionnelles du gaullisme, n’est pas un mal. Cependant son dernier tournant stratégique est en revanche plus prés de la France de Vichy que de celle de De Gaulle ! Car sa volonté de créer un seul ministère pour prendre en charge immigration et ‘ »identité nationale » rappelle inévitablement les pires heures de notre histoire contemporaine.
Seul le régime de Vichy a développé des structures administratives destinés à protéger une conception discutable de l' »identité nationale » face aux « atteintes » représentées par une certaine catégorie d’immigration (cf l’affiche rouge, avec les membres du réseau Manoukian, les fameux « vingt et trois » , les FTP MOI …). Patrick Weil, spécialiste du sujet s’il en est, rappelle que les dénaturalisations qui se sont déroulées sous l’Occupation, visaient plus particulièrement des « émigrés d’Europe centrale dont l’assimilation était particulièrement difficile (…) avec une notable proportion d’israélites » (cf « Qu’est-ce qu’un Français »).
L’immigration est partie intégrante de notre destinée et de notre identité nationale depuis que la France est la France … La position géographique et stratégique de notre pays situé dans une zone de confluence, à la croisée des chemins doit en être sans doute une des causes principales …
Que nous le voulons ou non, nous sommes les descendants des générations de belges, polonais, italiens, espagnols, portugais, arméniens, africains, algériens qui s’y sont progressivement installés et qui ont succédés aux autres mouvements de population des siècles précédents …
Le français de souche est par définition, le résultat d’une alchimie multiple !
L’identité n’est pas non plus, un sanctuaire figé et immuable, mais un processus en marche qui s’enrichit sans cesse de nouveaux apports, pour certains plus universels : Europe, protection de la planète …
Autre question, comment trier entre bons et mauvais immigrés (ceux qui « menaçent nos fils et nos compagnes » et notre identité nationale) ? Veillons toutefois dans ce domaine à ne pas oublier l’histoire particulière de notre pays et ses liens privilégiés avec certaines terres lointaines.
En définitive, le fond de problème repose t’il plus sur une question de race, de religion, de langue ou bien plutôt sur les inégalités régnant dans certains quartiers ou ghettoïsation et communautarisme font bon ménage ? Est ce à ’Etat et au politique de définir ce que doit être notre identité nationale ? Le siècle dernier devrait en ce domaine nous apprendre retenue et prudence.
Les arguments de Nicolas Sarkozy sur l’urgence et la nécessité de créer un tel Ministère surprennent ; surtout provenant du Ministre en responsabilité depuis plus de cinq ans de ce dossier. Une période durant laquelle il a fait voter 2 lois sur ce thème, dont la dernière il y a tout juste 8 mois, qui rencontre les sérieux problèmes que l’on connaît (cf note sur parrainage) …
Surtout, que l’on ne se méprenne pas sur ma position. Ces thèmes ne sont ni de gauche, ni de droite, ils sont à la base du pacte républicain qui fédère notre pays depuis la chute du régime de Vichy et l’apport du Conseil National de la Resistance. Une thématique qui me touche plus qu’une autre car concernant mon histoire personnelle et celle de mes grands parents. Si je n’oublie pas ce que m’a apporté ce pays, je n’oublie pas d’où je viens !
Un Ministère regroupant immigration et identité nationale présenterait de plus deux dangers majeurs :
– sous entendant implicitement que l’immigration est une menace potentielle pour notre identité, il renforcerait un sentiment de xénophobie anxiogène (peur de l’autre),
– dans le même temps en rejetant l’immigré, l’étranger, il renforcerait les communautarismes …
Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa a franchi avec cette proposition, un cap inacceptable dans la course qu’il a engagé avec Le Pen. Quoiqu’il dise, avec cette mesure, il ne s’adresse pas seulement à son électorat, il reprend purement et simplement les idées et les mots du Front National. Ce faisant, il risque fort de s’y noyer … Dans cette démesure pourquoi ne pas créer un Ministère amer qui mêlerait outre celui de l’immigration, l’identité nationale et la sécurité ?
Les mots ont un sens ( racaille, Karcher (marque déposée, un communiqué publicitaire paru dans la presse récemment le reprécise), les symboles également , surtout lorsqu’ils remontent aux périodes les plus noires et les plus troubles de notre histoire …
Roland Barthes indiquait qu’il fallait se méfier du « fascisme langagier », il n’avait pas tort, le langage est également un assimilateur et un outil d’appropriation de concept. Ce faisant il banalise l’utilisation outrancière des mots, les effets de manche et de tribune, devenant du coup l’antichambre d’autres dérives plus discutables …
Et méfions nous, pour beaucoup l’original est souvent préférable à la copie …
Extraits de l’Affiche Rouge
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant