Powerpoint, le logiciel de Microsoft est dans la tourmente, suite à la publication du livre de Franck Frommer consacré à l’incroyable succès de ce logiciel qui a causé un véritable tsunami médiatique et lui a valu des articles éloquents dans la presse parisienne : le Monde, Télérama, les Inrocks, l’Express …
Le sujet passionne littéralement les éditorialistes, et pour cause, Powerpoint s’impose partout (réunion, enseignement, internet …) et est utilisé par tous.
Apparu en 1987, le premier des logiciels de Présentation Assisté par Ordinateur (PréAO) est devenu en quelques années un outil incontournable , un passage obligé pour tout décideur désirant communiquer un minimum.
La révolte a commencé au début des années 2000 aux USA. Notons que la réalité américaine n’est pas la notre, problème de culture, de forme d’esprit et d’éducation de nos élites, mais soulignons qu’outre atlantique l’utilisation de Powerpoint dépasse l’entendement.
Un succés qui déborde le simple territoire de l’informatique et de l’entreprise ou les arcanes de la communication et du management pour s’étendre à tous les espaces sociaux et lieux de pouvoir. Pourtant beaucoup de présentations proposées présentent la caractéristique commune d’être longues, monotones, inintéressantes, confuses, vides de sens et souvent sans originalité !
Faut-il pour autant renoncer à Powerpoint ou apprendre à bien s’en servir ?
Plus grave encore semble t’il, l’utilisation quasi hégémonique de Powerpoint a une conséquence majeure : la forme conditionne désormais le fond de la pensée exprimée.
Une situation qui amène beaucoup de spécialistes à se mobiliser contre la « powertisation » rampante des esprits, tant il apparaît que ce logiciel en canalisant les idées, réduit la portée de la pensée et s’affranchit de toute complexité, afin d’offrir un raisonnement linéaire éloigné de toute contradiction.
Alors faut il réellement se révolter, instruire le procès de Powerpoint et de le bruler sur l’autel de nos valeurs ?
Tout n’est pas si simple cependant,
Focus sur ce logiciel et son utilisation …
Itinéraire d’un enfant trop gaté
Les créateurs de Powerpoint (Robert Gaskins et Dennis Austin) en 1987, désiraient proposer aux utilisateurs du Mac, un logiciel destiné à afficher des supports de présentation. Séduite par le potentiel du produit, la société Microsoft le rachète et dés 1989 une version PC apparaît. C’est le début d’un formidable essor, il se développe peu à peu malgré le coté peu fun du PC, jusqu’à s’imposer et devenir omniprésent dans le monde informatique des années 2000, suscitant l’arrivée d’un nouveau périphérique, le vidéo projecteur promit à un bel avenir depuis.
Le monde informatique passe d’une « culture Word », basée sur l’écrit avec une argumentation textuelle solide, argumentée, détaillée, à une « culture PowerPoint », de l’image, beaucoup plus évocatrice, synthétique et in fine réductrice.
Ce succès incroyable a plusieurs raisons :
- directement liées au logiciel, les utilisateurs mettant en avant ses qualités intrinsèques : simplicité, efficacité, mise en valeur de l’orateur et des points clé de son argumentaire,
- ou au contexte professionnel. Powerpoint apparaît à un moment clé du développement de l’entreprise et des méthodes de management. Cette dernière, autrefois compartimentée et hiérarchisée, se transforme, devient décloisonnée, collaborative, auto apprenante et évolue au rythme des nombreuses réunions mêlant tous les services. Powerpoint apporte un support de communication commun, accessible à tous, fédérateur, intégrateur qui permet de travailler dans la même direction.
Le succès est tel que le logiciel devient omniprésent, avec pour conséquence négative : l’augmentation des « présentations » (ou keynotes) de mauvaise qualité ou standardisés. Situation qui amène de nombreux consultants en management à réagir et remettre quelquefois violemment en cause l’utilisation même du logiciel : Seth Godin (Really bad Powerpoint), Edward Tufte, (Wired « Powerpoint est démoniaque ») …
Soulignons qu’aux USA, Powerpoint est un phénomène de société, le logiciel s’imposant jusque dans les états-majors de l’armée américaine (c’est l’heure des « powerpoint rangers »), une importance dont témoigne les séries télévisées (experts, 24 heures …).
Les anecdotes sur le sujet sont multiples, Powerpoint rejoint même le champ de l’Histoire aprés la prestation de Colin Powell, secrétaire d’Etat à la défense, aux Nations Unies qui a utilisé un Powerpoint pour démontrer l’existence supposée d’armes de destruction massive en Irak, à l’aide de moult effets graphiques, transitions, schémas et cartes.
En avril dernier, un général des marines en Afghanistan s’est même révolté après une présentation effectuée par un officier supérieur : « PowerPoint nous rend stupides ! ».
Dans le même ordre d’idée, le rapport d’enquête sur l’accident de la navette Columbia a dénoncé l’utilisation récurrente du logiciel par la Nasa et l’inadéquation de l’outil au traitement d’informations aussi sensibles et complexes. Des éléments d’une diapositive (ou slide), argumentaire et illustration, aurait amené certains experts à ignorer ou sous estimer un élément essentiel, entrainant la catastrophe dramatique que chacun connaît …
La standardisation des approches
Cette hégémonie interpelle, questionne et devient problématique. Ses détracteurs reprochent au logiciel de « formater » la pensée, d’anesthésier l’esprit critique, d’altérer la capacité à raisonner ou s’interroger et de neutraliser le débat d’idée.
Car pour être efficace un bon powerpoint se doit d’être court, linéaire, hiérarchisé, sans alternative, en éloignant toute contradiction, et en s’affranchissant de toute complexité superflue, qui fait perdre de la percussion au message.
Powerpoint invite aux raccourcis, la forme devient peu à peu le fond, l’accessoire devient l’essentiel, l’outil transforme la substance, et incite à penser le contenu différemment.
Problème de taille, notamment lorsque l’esprit créatif et critique manque ou répond aux abonnés absents, les argumentaires deviennent vite des slogans, souvent vides de sens, ou des tautologies, lorsqu’ils ne se limitent pas à un simple visuel destiné à jouer sur le facteur émotionnel.
Dans l’Education, les slides remplacent les polycopiés et les étudiants sont de plus en plus évalués sur leur capacité à présenter un argumentaire plutôt qu’à disserter. Le schéma traditionnel « thèse/antithèse/synthèse » qui a formaté des générations d’élites, laisse place à d’autres capacités : celle d’exposer une problématique, simple à retenir, courte, percutante, qui utilise l’image, la couleur, l’émotion et le talent de l’orateur.
Cette tendance est tout sauf un effet de mode, le livre « l’homme au deux cerveaux » (Daniel Pink) indiquant notre entrée dans une ère « conceptuelle », dans laquelle la sensibilité, l’émotion et la capacité à conceptualiser deviennent déterminantes …
Des qualités apparemment issues du cerveau droit contrairement aux qualités dominantes jusqu’alors plus tournées sur le calcul, la rationalité, la logique et l’analyse et supportées apparemment par le cerveau droit.
L’arme fatale de la pensée unique
Powerpoint est devenue dans l’arsenal des décideurs, une arme de choix, « le lavdur de cerveaux », l’arme ultime, celle qui permet de faire avaler le non comestible ou l’impensable : business plan, restructuration, réforme, RGPP… autant d’occasions de ne démontrer qu’une seule issue est possible …
L’exemple de France Telecom est éloquent : une société de Consultants répondant à la commande de la Direction a réalisé un argumentaire en 50 diapos afin d’apporter aux 4 000 managers de France Telecom les éléments de langage et l’argumentaire leur permettant de justifier la mobilité de 10 000 salariés et le départ de 22 000 autres. Dans ce cos, un cas d’étude a été évoqué et a donné lieu à un slide particulier « la résistance d’un salarié au changement », avec un titre explicite : « Le positionnement du salarié et les phases de deuil ». Chacun appréciera comme il se doit les conséquences dramatiques d’un tel diaporama et un humour noir dont beaucoup de familles se seraient passé…
Autre critique évoqué, l’importance donnée à l’orateur, placé dans une position dominante face à un public passif, captif d’un discours qu’il ne peut interrompre, à l’abri de tout débat ou controverse, certains évoquant le coté « hypnotique » du média … d’autres son reflet narcissique, très adapté à l’époque et à l’attitude de certains de nos décideurs.
Faut-il pour autant brûler PowerPoint ?
Si Powerpoint n’est qu’un outil, il est révélateur de tendances, débats ou contradictions qui secouent notre société, mais ne peut en aucun cas en être jugé responsable. Ce logiciel est à la fois un outil mal utilisé et le baromètre d’une époque ou trop souvent le superficiel d’un message remplace le fond …
La finalité de PowerPoint est d’être simple et schématique. Dans chaque diapositive la place est comptée, le champ lexical très limité et nécessite de résumer l’argumentaire ou la pensée en quelques mots, moins de 6 disent les spécialistes. Par définition, une telle présentation ne peut qu’appuyer un argumentaire ou un exposé, en aucun cas être l’exposé. Pourtant dans la majorité des cas, les intervenants se militent à lire leurs slides, avec plus ou moins de conviction et de talents pour les distribuer ensuite comme des documents de référence.
Le problème est simple, aujourd’hui, PowerPoint ne sert plus à appuyer un discours, il est devenu le discours … y compris lorsque le support multimédia n’est pas approprié au sujet abordé et nécessite un document plus détaillé.
Rappelons simplement qu’un exposé oral n’a pas la même fonction qu’un document bien rédigé. Certaines problématiques complexes nécessitent un temps d’analyse, quelquefois même un temps de méditation et non une adhésion immédiate, suggérée ou spontanée. Toutes les problèmatiques ne peuvent se réduire à quelques diapos (slides).
Une liste à puces, telle que proposée par le logiciel ne peut décrire, attester ou rendre compte de relations complexes et croisées entre forces politiques, économiques, ethniques.
Comme l’écrit joliement Garr Reynold dans son livre « Présentation Zen » (voir après)
« la technique n’est pas une fin, surtout en communication. Le logiciel est le pinceau qui suit la main du maitre, non l’inverse »
L’auteur pour fqire sens, compare d’ailleurs les « keynotes » (présentations publiques) de deux monstres de l’informatique : Steve Jobs d’Apple et Bill Gates de Microsoft. Autant la prestation du premier est un évènement attendu de tous, qui est un vrai show (« think different ») autant celle du second, est un évènement de plus sans saveur …
Avant de jeter ce logiciel, rappelons que l’art de la présentation transcende la technique et demande talent, savoir faire, sens de l’écoute et quelquefois même humilité …
En guise de conclusion
Signalons que ce débat ressemble fort à un débat du passé, nous sommes déjà dans l’aprés Powerpoint … le web 2.0, mais surtout les réseaux sociaux et les médias collaboratifs apportent une nouvelle dimension dans la communication en général, et dans l’entreprise en particulier,
mais ceci est déjà une autre histoire …
Présentation Zen
Garr Reynold est un designer américain, professeur de marketing qui vit au Japon, et propose depuis 2005 des méthodes, et réflexions sur les différentes manières de créer des présentations de qualité. Son livre « Présentations Zen » propose des conseils pratiques faciles à appliquer et des concepts théoriques qui demanderont du temps pour être approfondis. Son livre ne se focalise pas sur la technique des logiciels de préPAO, mais sur l’esprit des présentations réussies, Avertissement cependant, ce livre est truffé de « zenitude ».
C’est une vision décalée, utile et pour tout dire très rafraichissante.
Les 14 commandements de Présentation Zen
Saisir l’essence du zen n’est pas chose facile. Cette liste peut vous servir d’aide mémoire au moment de préparer votre prochaine présentation PowerPoint.
1. Le zen des présentations est une approche, non une liste de règles rigides à suivre uniformément, non un livre de recettes.
2. Souvent, il ne s’agit pas d’un problème d’outils ni de techniques complexes à maitriser mais principalement de mauvaises habitudes à perdre.
3. Les contraintes ne sont pas un ennemi mais constitue un allié de poids.
4. Pendant la préparation de l’exposé, faites preuve de retenue en conservant toujours ces trois notions à l’esprit : simplicité, clarté et concision.
5. Trouvez-vous un moment seul pour prendre du recul.
6. Si le public ne doit retenir qu’une chose, que doit-il retenir ?
7. Faites preuve de retenue durant tout l’exposé et ramenez tout au message central.
8. Une présentation va au-delà du simple exposé des faits.
9. Pensez à supprimer plus qu’à ajouter.
10. On peut simplifier en réduisant soigneusement le non-essentiel.
11. Attention, le design compte.
12. Exploitez le principe du contraste pour marquer nettement les différences entre éléments différents.
13. Pensez « effet maximal avec minimum de moyens »
14. Lors de votre prestation, tel un maître d’épée, vous devez être pris par l’action sans penser au passé, au futur, à la victoire ou à l’échec.